Название: Mademoiselle de Bressier
Автор: Delpit Albert
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Vivant! vivant! qu'il fût vivant! Infirme ou captif, ou les jambes coupées, mais vivant! Qu'elle pût encore baiser son front, baiser ses lèvres, entendre sa voix, sourire à son regard! Elle fuyait dans la nuit, emportant avec elle, dans sa course, le ressouvenir du hideux spectacle, frissonnant à la pensée qu'elle reconnaîtrait peut-être son Pierre au milieu de ces tas de chair humaine. Vivant! qu'il fût vivant! Elle ne souhaitait plus que cela! Comme le cœur est ambitieux, mon Dieu! et se forge d'insensés désirs! L'obscurité grandissante l'empêchait de poursuivre sa lugubre recherche. Elle arrivait sur un pont. Et elle n'osait pas s'arracher au sinistre champ de bataille. Il lui semblait que quelque chose d'elle-même restait là-bas, parmi ces corps couchés. La malheureuse! Toute sa croyance s'émiettait. Elle continuait sa route pour faire son devoir jusqu'au bout; parce qu'elle devait compte à son fils de la tâche accomplie. Mais il lui semblait impossible que Pierre fût sorti vivant de cette effroyable boucherie!
A l'entrée du pont, une petite maison de garde, vide. Elle s'affala contre la porte. Machinalement, elle croisa les mains, et pria. La prière naïve, éplorée et sincère de l'enfant du peuple, qui ne croit pas que tout est fini quand c'est fini, et qui demande quelque chose de meilleur à quelqu'un de plus grand.
Enfin, pour la dixième fois, elle reprit courage. Toujours poursuivie par son désir d'avoir des nouvelles, elle traversa le pont. Tout le monde n'avait pas fui ce pays dévasté. Chez certains êtres, la crainte du pillage domine la crainte de la mort. Deux ou trois maisons étaient encore occupées. Un brave homme, un de ces propriétaires tenaces qui aiment leurs murailles mieux que leur chair, restait immobile à la croisée. Une lumière brillait derrière lui dans la chambre, et sa figure triste apparaissait dans l'encadrement gris de la fenêtre. Soudain, il aperçut cette femme qui venait à lui.
– Est-ce que vous savez où a eu lieu la bataille? demanda-t-elle.
L'homme, étendant la main, fit un grand geste découragé dans l'espace.
– Par ici, et par là, tenez! Ce matin, quand j'ai vu arriver les soldats, je suis reparti pour Versailles. Seigneur Dieu! je ne croyais pas retrouver ma maison debout! Est-ce que vous cherchez quelqu'un?
– Mon mari, balbutia-t-elle.
– Il est de la Commune?
– Oui.
– Je ne sais pas grand'chose. Cependant, un officier de ligne m'a raconté que les Parisiens perdaient relativement peu de monde. Il paraît qu'on a fait beaucoup, mais beaucoup de prisonniers. A votre place, moi, j'irais à Versailles. Là-bas, vous êtes sûre de recueillir un renseignement sûr.
– Merci, Monsieur.
La malheureuse reprenait sa route, cette route interminable, ce chemin de croix qui n'en finissait plus. Pouvait-elle faire autre chose? Non. Blessé ou prisonnier, Pierre serait à Versailles. Mais elle se traînait maintenant comme un oiseau dont l'aile est fracassée. La foi ne la soutenait plus. Une courbature morale aggravait sa lassitude physique. Il lui fallut trois heures pour achever le voyage. Et quel voyage, mon Dieu! pour une femme harassée, n'ayant plus de jambes, n'ayant plus d'énergie. Elle s'arrêtait, défaillante; elle soufflait un peu, puis elle recommençait. Ça ne finirait donc jamais? Elle n'arriverait donc pas? Eh bien, non. Le découragement ne triompherait pas de sa volonté. Il fallait qu'elle touchât à son but, dût-elle en mourir. Elle le devait à son mari et à son fils, ces deux êtres qu'elle adorait. Comment! elle disait souvent qu'elle donnerait sa vie pour eux, et elle faiblirait dans l'accomplissement de sa tâche sacrée? Elle tendit ses nerfs dans un effort suprême; et tout ce qu'il y a de force de résistance chez une créature humaine, se réveilla chez cette femme robuste.
Versailles, en mai 1871, offrait aux psychologues un spectacle étrange et pittoresque. Le conte de la Belle au bois dormant se transportait subitement dans la réalité cruelle. La cité de Louis XIV s'éveillait tout à coup de son sommeil séculaire et se déguisait en cité contemporaine. Les députés, les curieux, les diplomates, les journalistes, les patriotes et les indifférents, s'y précipitaient les uns après les autres. Ceux-ci pour voir, ceux-là pour savoir, quelques-uns pour recevoir. Un Coblentz en miniature. Mais un Coblentz où la raison dominait, parce que tout le monde s'y mettait d'accord pour sauver le pays menacé. La ville paisible prenait les allures d'un petit Paris. On se couchait tard; on rencontrait par les rues des promeneurs peu pressés de regagner l'étroit et incommode logis où l'affluence des réfugiés les entassait. Dans les cafés, ouverts très tard, regorgeant de monde, on bavardait, on maudissait la guerre civile; et les bruits les plus invraisemblables trouvaient toujours des crédules prêts à les accepter.
Françoise allait à travers les rues, à travers les places publiques, à travers les avenues, regardant, écoutant, ne comprenant pas ce qu'on disait. Elle s'arrêtait devant les cafés, espérant entendre un mot, un seul, qui fixerait son destin. La créature humaine est ainsi. Elle s'imagine toujours que ses petites douleurs occupent la grande foule égoïste. Qui donc, parmi tout ce monde, pouvait penser à Pierre Rosny, garde national obscur, perdu dans la tourbe des armées parisiennes? Françoise n'y songeait pas. Il lui semblait que tous ces gens qui parlaient devaient parler de Pierre; que les lèvres remuaient pour prononcer le nom de Pierre. Elle n'osait aborder personne; elle s'accotait contre un mur, l'œil fixe, attendant tout d'un hasard, maintenant. Cependant, l'heure fuyait, les promeneurs se faisaient plus rares; les cafés se fermaient lentement, les uns après les autres. Françoise reprit le chemin de la place d'Armes, et machinalement elle se laissa tomber sur un des bancs de l'avenue. La nuit l'enveloppait; une nuit très calme. L'ombre dissimulait cette malheureuse créature; et lentement, un sommeil profond s'emparait d'elle. La tête à demi couverte par son châle, elle dormait, de ce sommeil lourd de la bête épuisée chez qui l'esprit est vaincu par la chair. Elle dormait, réparant ses forces, sans rêver, ne sentant pas le froid qui la gagnait. Quelques heures de repos: heureusement, quelques heures d'oubli! Jusqu'au petit matin, elle resta là, immobile. Brusquement elle ouvrit les yeux, ne sachant pas où elle se trouvait; le souvenir aussi s'éveillait, le souvenir lancinant, atroce. Peu à peu, la vie recommença, graduellement renouvelée; des troupes de soldats passaient, des maraîchers des environs arrivaient, conduisant leurs voitures cahotées. Françoise se leva, toute transie, et fit quelques pas pour dégourdir ses jambes glacées. Elle toussait; sa poitrine prise l'oppressait. Elle s'arrêta tout à coup devant la Préfecture. Un soldat sommeillait à demi au fond de sa guérite. Un fils de paysan, blond, avec des taches de rousseur. Il rêvait au pays, sans doute, à la ferme paternelle, aux bois paisiblement endormis dans le silence de la plaine; peut-être à quelque belle fille qu'il avait aimée jadis. Françoise lui mit la main sur le bras. Il fit un mouvement brusque dans sa capote à longs poils.
– Hein? quoi? que voulez-vous?
– Je vous… je vous demande pardon, balbutia-t-elle.
Par bonheur, elle tombait sur un brave garçon.
– Qu'est-ce que vous voulez, ma bonne dame? répliqua-t-il, en baissant un peu son capuchon.
– Je voulais vous prier de… de m'indiquer où est la prison?
L'officier du poste s'avançait et lui donnait tous les renseignements nécessaires. On ne permettait pas aux factionnaires de parler sous les armes. Elle trouverait la prison un peu plus loin, à droite, en suivant l'avenue. Pas moyen de se tromper: un grand bâtiment gris avec des fenêtres grillées. Et comme un artilleur passait, traînant la jambe, l'officier lui cria:
– Eh! là-bas! conduisez donc la bourgeoise à la prison. Ça ne vous dérangera pas beaucoup: elle ne sait pas, cette femme.
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