Название: Le crime de l'Opéra 1
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Qu’avez-vous donc à me dire?
– Que je me décide à entrer dans la magistrature.
– Je comprends que, pour m’annoncer cette grave nouvelle, vous m’ayez fait manquer l’Opéra. Alors vous allez être obligé de mettre une robe noire et de couper vos moustaches.
– Non, pas encore. Je vais débuter comme attaché au parquet. Mais je vais être forcé de réformer ma façon de vivre.
D’un regard clair et froid comme une lame d’épée, madame d’Orcival interrogea le visage de son amant.
– C’est une rupture que vous me notifiez en ces termes gracieux, demanda-t-elle après un court silence.
– Une séparation, dit le jeune homme en s’inclinant.
– Le mot est plus honnête. Ce que vous faites ne l’est pas.
Gaston tressaillit sous l’injure, mais il se contint assez pour répondre avec calme:
– Vous n’avez jamais cru, je pense, que nos relations dussent être éternelles. J’ai toujours agi avec vous en galant homme; je vous quitte parce que la carrière que je veux suivre m’y force, et je sais à quoi m’oblige cette pénible nécessité.
– Vous voulez dire que, demain, dans le dernier bouquet de gardénias que je recevrai, vous mettrez un chèque à mon ordre. Je vous le renverrai, mon cher. Je ne veux pas de votre argent sans vous. Qu’en ferais-je? Je suis riche, et s’il me plaît de vous donner un successeur, je n’aurai pas besoin de le prendre pour sa fortune… pas plus que je ne vous avais pris pour la vôtre.
Gaston s’inclina sans répondre. La scène du Polonais l’avait cuirassé contre les reproches et contre les flatteries.
– C’est sans doute votre oncle, le juge, qui vous a mis en tête la vertueuse idée de lui succéder un jour, reprit Julia. Et vous osez prétendre qu’il n’a pas décidé aussi de vous marier! L’un ne va pas sans l’autre. Un garçon n’est jamais magistrat qu’à moitié.
– Vous oubliez que mon oncle est célibataire.
– À telles enseignes que vous comptez bien hériter de lui un jour. Raison de plus pour qu’il tienne à vous confier le soin de perpétuer son nom dans la robe. À la seconde génération, les Darcy dont vous serez le père mettront une apostrophe après le d.
Gaston sentit que la patience allait lui manquer, et il fit un mouvement pour sortir.
Julia s’était levée en pied. Ses yeux lançaient des éclairs.
– Mon cher, dit-elle d’une voix qui sifflait entre ses dents blanches, je sais maintenant ce que vous valez… et je plains la femme que vous épouserez, à moins qu’elle ne vous traite comme j’aurais dû vous traiter. Et c’est ce qu’elle fera certainement. Vous n’êtes pas de la race de ceux qu’on aime, monsieur Gaston Darcy.
Puis, changeant de ton tout à coup:
– Serait-ce la belle Havanaise, la veuve aux six cent mille livres de rente, qui met des pompons rouges à ses chevaux, et qui mène à quatre mieux qu’un cocher anglais, la marquesa de Barancos? On m’a dit que vous lui faisiez une cour assidue. Vous n’êtes pas le seul, et…
Darcy n’y tint plus. Il ouvrit brusquement la porte du boudoir, traversa le salon en courant et ne s’arrêta qu’au bas de l’escalier pour prendre son chapeau et son pardessus. Mariette avait été consignée dans la chambre à coucher par madame d’Orcival. Les autres domestiques faisaient la fête à la cuisine. Il sortit de l’hôtel sans rencontrer personne.
Pendant qu’il descendait à grands pas le boulevard Malesherbes, Julia, debout, accoudée sur la console qui portait le groupe de Clodion, disait tout bas:
– Quittée! il m’a quittée! Sotte que j’étais! je le prenais pour un niais et je m’imaginais que je l’emmènerais un jour à m’épouser. Pourquoi pas? Éva est bien devenue princesse Gloukof, et elle avait commencé plus mal que moi. Sa mère était marchande de pommes. Oui, mais Darcy n’est pas Russe. Darcy est un bourgeois de Paris, inaccessible à l’entraînement. Il me glisse entre les doigts au moment où je croyais le tenir. C’est bien fait. Cela m’apprendra à viser plus haut. Mais quelqu’un l’a poussé à rompre. Je saurai qui, et je me vengerai… Oui, je me vengerai de lui, de son oncle, de son ami Nointel…
Et, comme illuminée par une inspiration subite:
– Golymine m’y aidera. Il m’aime, celui-là, et il ne recule devant rien. J’ai bien choisi mon heure en vérité pour le congédier!… Mais il ne tient qu’à moi de renouer avec lui… il est encore à Paris, car il ne savait pas que je refuserais de le suivre, et il était ici il y a vingt minutes. Si je lui écrivais? Oui, mais j’ai oublié son adresse… il en a changé si souvent depuis six mois. Elle doit être sur la carte qu’il a laissée hier, quand j’ai refusé de le recevoir. Où est-elle, cette carte?… Ah! je me rappelle que Mariette l’a posée sur la table de Boulle qui est au milieu de la galerie.
Quand madame d’Orcival voulait une chose, l’action suivait vite l’idée. Elle prit aussitôt le chemin du hall qui se trouvait à l’autre bout de l’appartement du premier étage. Le salon était éclairé; le hall ne l’était pas. Elle s’était donc armée d’un flambeau.
En y entrant, elle fut assez surprise d’y trouver une bougie qui brûlait, placée sur un dressoir. La lueur incertaine de cette bougie pénétrait à peine dans les hautes et profondes embrasures des fenêtres à vitraux gothiques, et lorsque Julia arriva devant la dernière, elle crut entrevoir un homme collé contre les carreaux armoriés.
Elle n’était pas peureuse. Elle avança et, en reconnaissant à sa pelisse de fourrures cet homme qui avait l’air d’écouter à la fenêtre, elle s’écria:
– Golymine! que faites-vous ici? que signifie…
Et presque aussitôt:
– Pendu! murmura-t-elle. Il s’est pendu!
Sa main laissa tomber le flambeau qu’elle portait, et son sang se glaça dans ses veines.
La salle était immense. Le plafond se perdait dans l’ombre, et la bougie qui achevait de se consumer sur le dressoir éclairait l’embrasure de ses lueurs mourantes. L’obscurité complète eût été moins effrayante que ces reflets intermittents qui, par moments, illuminaient les traits convulsés de Golymine, et, par moments, laissaient à peine entrevoir la hideuse silhouette d’un pendu.
Julia avait reculé d’horreur, et elle restait appuyée contre la boiserie de la bibliothèque, pâle, tremblante, les mains crispées, les yeux fixes.
Elle voulait crier, et la voix lui manquait. Elle voulait fuir, et la terreur la clouait sur place. Elle voulait détourner sa vue de ce cadavre accroché, et elle le regardait malgré elle. Il la fascinait.
C’était bien Golymine. L’enragé Slave avait tenu sa promesse, et ses dernières paroles vibraient encore aux oreilles de madame d’Orcival: «Vous saurez ce que vaut la malédiction d’un mort.»
Elle les comprenait СКАЧАТЬ