Название: Borgia
Автор: Michel Zevaco
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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La dame s’était vivement levée. D’un geste lent, elle décou-vrit son visage…
– La comtesse Alma ! s’exclama l’homme sourdement.
– Autrefois, Rodrigue, vous m’appeliez Honorata ! répondit faiblement la femme.
– Madame, reprit l’homme, il n’y a ici ni Rodrigue, ni Hono-rata… je ne vois que la comtesse Alma… une femme ennemie de notre Église… et je ne suis moi-même qu’un pauvre pécheur qui passe les derniers jours de sa vie à demander pardon de ses er-reurs au Tout-Puissant miséricordieux… Mais asseyez-vous, ma-dame…
La femme obéit, tremblante. Des larmes vinrent poindre à ses yeux. L’homme l’observait de son regard aigu, fouilleur.
– Dix-sept ans ! murmura la dame en jetant les yeux autour d’elle. Voilà dix-sept ans que, pour la dernière fois, je pénétrai ici… Vous parlez de vos fautes… Mais qui me pardonnera la mienne !…
– Dieu est grand, madame…
Et, la tête baissée, les mains jointes, l’homme attendit, sans poser une question…
– Oui ! reprit la dame, depuis ces temps éloignés, je souffre, je pleure ; femme parjure, infidèle, j’ai trahi mes devoirs… une minute d’orgueil et d’ambition m’a jetée dans vos bras… oh ! j’ai été cruellement punie ! L’enfant… cette enfant que, lâche jusqu’au bout, j’abandonnai au seuil d’une église… que de fois j’ai songé à la pauvre petite abandonnée !… que de fois aussi je me suis dit que les malheurs qui ont frappé notre maison n’étaient qu’un juste châtiment de mon crime !…
– Dieu est juste, madame…
– Est-ce à vous de me dire cela ! s’écria la comtesse Alma dans un élan de révolte… Vous, Rodrigue, qui m’avez conseillé l’abandon de l’enfant ! Vous par qui la maison des Alma a souf-fert comme ont souffert toutes les nobles maisons d’Italie ! Ro-drigue !
– Le pape n’est pas responsable des fautes de l’amant.
– Oui, répondit amèrement la comtesse, oui, Saint-Père… en effet, vous n’êtes plus Rodrigue, et je ne suis plus Honorata… C’est donc au Saint-Père que je m’adresse… c’est au souverain pontife que va mon humble prière…
– Parlez, ma fille, et s’il est en mon pouvoir de vous soula-ger, je le ferai…
– Saint-Père, reprit la comtesse d’une voix qu’elle s’efforçait en vain d’affermir, s’il ne s’agissait que de moi, j’aurais tôt fait de renoncer à ce monde… Un cloître se refermerait comme une porte de tombeau sur ma honte…
– C’est là une belle résolution, fit vivement le pape.
– Mais je n’ai pas le droit de l’exécuter !… S’il ne s’agissait que du comte Alma, sa faiblesse morale s’accommoderait vite de ce que Votre Sainteté pourrait lui offrir en échange de la citadelle de Monteforte.
– Le comte Alma, interrompit le pape avec la même vivaci-té, peut être sûr de trouver à Rome, au Vatican même, une splen-dide situation quand il lui plaira de quitter son nid d’aigle… Je vous autorise à le lui dire…
– Je n’ai pas besoin de l’en informer, Saint-Père… le comte sait tout ce qu’il gagnerait à se soumettre… Et souvent il y songe !…
– Eh bien ! Qui l’empêche ? Je lui ouvrirai mes bras !
– Qui l’empêche de rendre Monteforte ? Qui m’empêche, moi, de m’enterrer vivante dans un cloître ? C’est ma fille… C’est Béatrix…
– Une enfant ! Je la doterai magnifiquement. Je la créerai princesse. Je ferai plus encore pour elle… Je lui chercherai un parti qui peut prétendre dès maintenant à la main d’une fille de roi. Et l’homme que je lui destine montera peut-être lui-même sur un trône… Ainsi votre fille deviendra reine ! Reine, entendez-vous, Honorata !…
– Votre Sainteté vient de m’appeler « Honorata ! »
– Cela m’a échappé !
– Et quel est, reprit la comtesse Alma, ce parti que vous of-fririez à Béatrix ?…
Le pape se redressa et, avec une sorte de solennité :
– Il s’appelle César Borgia, duc de Valentinois… en atten-dant mieux…
– Votre fils ?…
– Lui-même ! Ah ! comtesse, croyez que je vous donne en ce jour une preuve d’affection singulière entre toutes…
– Vous ne connaissez pas Béatrix !… Le sang que je lui ai transmis, c’est du sang des Sforce. Mais alors que j’ai pu l’oublier, moi, ce sang coule dans ses veines avec une impétuosité qui m’effraie… Vous croyez sans doute, Saint-Père, que le comte Alma a défendu Monteforte, la seule forteresse qui ait résisté à César Borgia, vainqueur des Romagnes. Tout le monde le croit… Eh bien ! ce fut Béatrix qui enflamma la garnison, ce fut elle qui prépara l’échec de votre fils… Et aujourd’hui encore, elle est prête à se battre.
Le pape garda longtemps le silence, tandis que la comtesse pleurait à ses pieds. Puis, par une manœuvre dont il avait l’habitude et l’habileté, il répondit par une question à la supplica-tion de l’infortunée.
– Ainsi, dit-il, vous refusez ce mariage entre César et Béa-trix ?…
La comtesse releva la tête, surprise :
– Je ne le refuse pas… il est impossible… Béatrix a contre vous tous une haine qu’elle a héritée des Sforce…
– Que la volonté du Seigneur s’accomplisse !
– Saint-Père, j’attends votre décision. Quelle réponse vais-je porter à Monteforte ?
– Hélas ! ma fille… Je ne puis rien sur César. Depuis long-temps il a échappé à mon influence. Ses guerres, il les a faites contre mon gré. Je crois que nulle puissance au monde ne l’empêchera de marcher sur Monteforte…
La comtesse se releva lentement. Elle jeta un dernier regard désespéré sur le pape.
– Adieu, Rodrigue ! dit-elle.
– Dieu vous protège, ma fille ! répondit le pape.
Honorata, comtesse Alma, sortit d’un pas chancelant. À peine se fut-elle éloignée, que le pape se redressa.
– Per bacco ! murmura-t-il. Quel spectre ! Voilà une visite à laquelle je ne m’attendais guère…
Le vieillard eut un sourire aigu. Alors, il poussa une portière et pénétra dans une pièce voisine. Là, dans la pénombre, un homme était assis.
C’était César Borgia, César lui-même, que le pape avait amené avec lui au moment où on lui avait remis le crucifix d’or de la comtesse Alma.
– Eh bien, tu as entendu ? demanda le vieux Borgia.
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