Название: Germinal
Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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– C’est ce garçon que j’ai embauché ce matin, expliqua Maheu tout de suite. As-tu une de tes deux chambres libre, et veux-tu lui faire crédit d’une quinzaine?
La face large de Rasseneur exprima subitement une grande défiance. Il examina d’un coup d’œil Étienne et répondit, sans se donner la peine de témoigner un regret:
– Mes deux chambres sont prises. Pas possible.
Le jeune homme s’attendait à ce refus; et il en souffrit pourtant, il s’étonna du brusque ennui qu’il éprouvait à s’éloigner. N’importe, il s’en irait, quand il aurait ses trente sous. Le mineur qui buvait à une table était parti. D’autres, un à un, entraient toujours se décrasser la gorge, puis se remettaient en marche du même pas déhanché. C’était un simple lavage, sans joie ni passion, le muet contentement d’un besoin.
– Alors, il n’y a rien? demanda d’un ton particulier Rasseneur à Maheu, qui achevait sa bière à petits coups.
Celui-ci tourna la tête et vit qu’Étienne seul était là.
– Il y a qu’on s’est chamaillé encore… Oui, pour le boisage.
Il conta l’affaire. La face du cabaretier avait rougi, une émotion sanguine la gonflait, lui sortait en flammes de la peau et des yeux. Enfin, il éclata.
– Ah bien! s’ils s’avisent de baisser les prix, ils sont fichus.
Étienne le gênait. Cependant, il continua, en lui lançant des regards obliques. Et il avait des réticences, des sous-entendus, il parlait du directeur, M. Hennebeau, de sa femme, de son neveu le petit Négrel, sans les nommer, répétant que ça ne pouvait pas continuer ainsi, que ça devait casser un de ces quatre matins. La misère était trop grande, il cita les usines qui fermaient, les ouvriers qui s’en allaient. Depuis un mois, il donnait plus de six livres de pain par jour. On lui avait dit, la veille, que M. Deneulin, le propriétaire d’une fosse voisine, ne savait comment tenir le coup. Du reste, il venait de recevoir une lettre de Lille, pleine de détails inquiétants.
– Tu sais, murmura-t-il, ça vient de cette personne que tu as vue ici un soir.
Mais il fut interrompu. Sa femme entrait à son tour, une grande femme maigre et ardente, le nez long, les pommettes violacées. Elle était en politique beaucoup plus radicale que son mari.
– La lettre de Pluchart, dit-elle. Ah! s’il était le maître, celui-là, ça ne tarderait pas à mieux aller!
Étienne écoutait depuis un instant, comprenait, se passionnait, à ces idées de misère et de revanche.
Ce nom, jeté brusquement, le fit tressaillir. Il dit tout haut, comme malgré lui:
– Je le connais, Pluchart.
On le regardait, il dut ajouter:
– Oui, je suis machineur, il a été mon contremaître, à Lille… Un homme capable, j’ai causé souvent avec lui.
Rasseneur l’examinait de nouveau; et il y eut, sur son visage, un changement rapide, une sympathie soudaine. Enfin, il dit à sa femme:
– C’est Maheu qui m’amène Monsieur, un herscheur à lui, pour voir s’il n’y a pas une chambre en haut, et si nous ne pourrions pas faire crédit d’une quinzaine.
Alors, l’affaire fut conclue en quatre paroles. Il y avait une chambre, le locataire était parti le matin. Et le cabaretier, très excité, se livra davantage, tout en répétant qu’il demandait seulement le possible aux patrons, sans exiger, comme tant d’autres, des choses trop dures à obtenir. Sa femme haussait les épaules, voulait son droit, absolument.
– Bonsoir, interrompit Maheu. Tout ça n’empêchera pas qu’on descende, et tant qu’on descendra, il y aura du monde qui en crèvera… Regarde, te voilà gaillard, depuis trois ans que tu en es sorti.
– Oui, je me suis beaucoup refait, déclara Rasseneur complaisamment.
Étienne alla jusqu’à la porte, remerciant le mineur qui partait; mais celui-ci hochait la tête, sans ajouter un mot, et le jeune homme le regarda monter péniblement le chemin du coron. Mme Rasseneur, en train de servir des clients, venait de le prier d’attendre une minute, pour qu’elle le conduira à sa chambre, où il se débarbouillerait. Devait-il rester? Une hésitation l’avait repris, un malaise qui lui faisait regretter la liberté des grandes routes, la faim au soleil, soufferte avec la joie d’être son maître. Il lui semblait qu’il avait vécu là des années, depuis son arrivée sur le terri, au milieu des bourrasques, jusqu’aux heures passées sous la terre, à plat ventre dans les galeries noires. Et il lui répugnait de recommencer, c’était injuste et trop dur, son orgueil d’homme se révoltait, à l’idée d’être une bête qu’on aveugle et qu’on écrase.
Pendant qu’Étienne se débattait ainsi, ses yeux, qui erraient sur la plaine immense, peu à peu l’aperçurent. Il s’étonna, il ne s’était pas figuré l’horizon de la sorte, lorsque le vieux Bonnemort le lui avait indiqué du geste, au fond des ténèbres. Devant lui, il retrouvait bien le Voreux, dans un pli de terrain, avec ses bâtiments de bois et de briques, le criblage goudronné, le beffroi couvert d’ardoises, la salle de la machine et la haute cheminée d’un rouge pâle, tout cela tassé, l’air mauvais. Mais, autour des bâtiments, le carreau s’étendait, et il ne se l’imaginait pas si large, changé en un lac d’encre par les vagues montantes du stock de charbon, hérissé des hauts chevalets qui portaient les rails des passerelles, encombré dans un coin de la provision des bois, pareille à la moisson d’une forêt fauchée. Vers la droite, le terri barrait la vue, colossal comme une barricade de géants, déjà couvert d’herbe dans sa partie ancienne, consumé à l’autre bout par un feu intérieur qui brûlait depuis un an, avec une fumée épaisse, en laissant à la surface, au milieu du gris blafard des schistes et des grès, de longues traînées de rouille sanglante. Puis, les champs se déroulaient, des champs sans fin de blé et de betteraves, nus à cette époque de l’année, des marais aux végétations dures, coupés de quelques saules rabougris, des prairies lointaines, que séparaient des files maigres de peupliers. Très loin, de petites taches blanches indiquaient des villes, Marchiennes au nord, Montsou au midi; tandis que la forêt de Vandame, à l’est, bordait l’horizon de la ligne violâtre de ses arbres dépouillés. Et, sous le ciel livide, dans le jour bas de cet après-midi d’hiver, il semblait que tout le noir du Voreux, toute la poussière volante de la houille se fût abattue sur la plaine, poudrant les arbres, sablant les routes, ensemençant la terre.
Étienne regardait, et ce qui le surprenait surtout, c’était un canal, la rivière de la Scarpe canalisée, qu’il n’avait pas vu dans la nuit. Du Voreux à Marchiennes, ce canal allait droit, un ruban d’argent mat de deux lieues, une avenue bordée de grands arbres, élevée au-dessus des bas terrains, filant à l’infini avec la perspective de ses berges vertes, de son eau pâle où glissait l’arrière vermillonné des péniches. Près de la fosse, il y avait un embarcadère, des bateaux amarrés, que les berlines des passerelles emplissaient directement. Ensuite, le canal faisait un coude, coupait de biais les marais; et toute l’âme de cette plaine rase paraissait être là, dans cette eau géométrique qui la traversait comme une grande route, charriant la houille et le fer.
Les regards d’Étienne СКАЧАТЬ