Les confessions. Jean-Jacques Rousseau
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Название: Les confessions

Автор: Jean-Jacques Rousseau

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ mais tout autre que je ne suis. Le parti que j’ai pris d’écrire et de me cacher est précisément celui qui me convenait. Moi présent, on n’aurait jamais su ce que je valais, on ne l’aurait pas soupçonné même; et c’est ce qui est arrivé à Mme Dupin, quoique femme d’esprit, et quoique j’aie vécu dans sa maison plusieurs années; elle me l’a dit bien des fois elle-même depuis ce temps-là. Au reste, tout ceci souffre de certaines exceptions, et j’y reviendrai dans la suite.

      La mesure de mes talents ainsi fixée, l’état qui me convenait ainsi désigné, il ne fut plus question, pour la seconde fois, que de remplir ma vocation. La difficulté fut que je n’avais pas fait mes études, et que je ne savais pas même assez de latin pour être prêtre. Mme de Warens imagina de me faire instruire au séminaire pendant quelque temps. Elle en parla au supérieur. C’était un lazariste appelé M. Gros, bon petit homme, à moitié borgne, maigre, grison, le plus spirituel et le moins pédant lazariste que j’aie connu, ce qui n’est pas beaucoup dire, à la vérité.

      Il venait quelquefois chez Maman, qui l’accueillait, le caressait, l’agaçait même, et se faisait quelquefois lacer par lui, emploi dont il se chargeait assez volontiers. Tandis qu’il était en fonction, elle courait par la chambre de côté et d’autre, faisant tantôt ceci, tantôt cela. Tiré par le lacet, M. le supérieur suivait en grondant, et disant à tout moment: «Mais, Madame, tenez-vous donc». Cela faisait un sujet assez pittoresque. M. Gros se prêta de bon cœur au projet de Maman. Il se contenta d’une pension très modique, et se chargea de l’instruction. Il ne fut question que du consentement de l’évêque, qui non seulement l’accorda, mais qui voulut payer la pension. Il permit aussi que je restasse en habit laïque jusqu’à ce qu’on pût juger, par un essai, du succès qu’on devait espérer.

      Quel changement! Il fallut m’y soumettre. J’allai au séminaire comme j’aurais été au supplice. La triste maison qu’un séminaire, surtout pour qui sort de celle d’une aimable femme! J’y portai un seul livre, que j’avais prié Maman de me prêter, et qui me fut d’une grande ressource. On ne devinera pas quelle sorte de livre c’était: un livre de musique. Parmi les talents qu’elle avait cultivés, la musique n’avait pas été oubliée. Elle avait de la voix, chantait passablement, et jouait un peu du clavecin: elle avait eu la complaisance de me donner quelques leçons de chant, et il fallut commencer de loin, car à peine savais-je la musique de nos psaumes. Huit ou dix leçons de femme, et fort interrompues, loin de me mettre en état de solfier, ne m’apprirent pas le quart des signes de la musique. Cependant j’avais une telle passion pour cet art, que je voulus essayer de m’exercer seul. Le livre que j’emportai n’était pas même des plus faciles; c’étaient les cantates de Clérambault. On concevra quelle fut mon application et mon obstination, quand je dirai que, sans connaître ni transposition, ni quantité, je parvins à déchiffrer et chanter sans faute le premier récitatif et le premier air de la cantate d’Alphée et Aréthuse; et il est vrai que cet air est scandé si juste, qu’il ne faut que réciter les vers avec leur mesure pour y mettre celle de l’air.

      Il y avait au séminaire un maudit lazariste qui m’entreprit, et qui me fit prendre en horreur le latin, qu’il voulait m’enseigner. Il avait des cheveux plats, gras et noirs, un visage de pain d’épice, une voix de buffle, un regard de chat-huant, des crins de sanglier au lieu de barbe; son sourire était sardonique; ses membres jouaient comme les poulies d’un mannequin; j’ai oublié son odieux nom; mais sa figure effrayante et doucereuse m’est bien restée, et j’ai peine à me la rappeler sans frémir. Je crois le rencontrer encore dans les corridors, avançant gracieusement son crasseux bonnet carré pour me faire signe d’entrer dans sa chambre, plus affreuse pour moi qu’un cachot. Qu’on juge du contraste d’un pareil maître pour le disciple d’un abbé de cour!

      Si j’étais resté deux mois à la merci de ce monstre, je suis persuadé que ma tête n’y aurait pas résisté. Mais le bon M. Gros, qui s’aperçut que j’étais triste, que je ne mangeais pas, que je maigrissais, devina le sujet de mon chagrin; cela n’était pas difficile. Il m’ôta des griffes de ma bête, et, par un autre contraste encore plus marqué, me remit au plus doux des hommes: c’était un jeune abbé faucigneran, appelé M. Gâtier, qui faisait son séminaire, et qui, par complaisance pour M. Gros et je crois par humanité, voulait bien prendre sur ses études le temps qu’il donnait à diriger les miennes; je n’ai jamais vu de physionomie plus touchante que celle de M. Gâtier. Il était blond, et sa barbe tirait sur le roux. Il avait le maintien ordinaire aux gens de sa province, qui, sous une figure épaisse, cachent tous beaucoup d’esprit; mais ce qui se marquait vraiment en lui était une âme sensible, affectueuse, aimante. Il y avait dans ses grands yeux bleus un mélange de douceur, de tendresse et de tristesse, qui faisait qu’on ne pouvait le voir sans s’intéresser à lui. Aux regards, au ton de ce pauvre jeune homme, on eût dit qu’il prévoyait sa destinée, et qu’il se sentait né pour être malheureux.

      Son caractère ne démentait point sa physionomie; plein de patience et de complaisance, il semblait plutôt étudier avec moi que m’instruire. Il n’en fallait pas tant pour me le faire aimer: son prédécesseur avait rendu cela très facile. Cependant, malgré tout le temps qu’il me donnait, malgré toute la bonne volonté que nous y mettions l’un et l’autre, et quoiqu’il s’y prît très bien, j’avançai peu en travaillant beaucoup. Il est singulier qu’avec assez de conception, je n’ai jamais pu rien apprendre avec des maîtres, excepté mon père et M. Lambercier. Le peu que je sais de plus, je l’ai appris seul, comme on verra ci-après. Mon esprit impatient de toute espèce de joug ne peut s’asservir à la loi du moment; la crainte même de ne pas apprendre m’empêche d’être attentif; de peur d’impatienter celui qui me parle, je feins d’entendre, il va en avant, et je n’entends rien. Mon esprit veut marcher à son heure, il ne peut se soumettre à celle d’autrui.

      Le temps des ordinations étant venu, M. Gâtier s’en retourna diacre dans sa province. Il emporta mes regrets, mon attachement, ma reconnaissance. Je fis pour lui des vœux qui n’ont pas été plus exaucés que ceux que j’ai faits pour moi-même. Quelques années après j’appris qu’étant vicaire dans une paroisse, il avait fait un enfant à une fille, la seule dont, avec un cœur très tendre, il eût jamais été amoureux. Ce fut un scandale effroyable dans un diocèse administré très sévèrement. Les prêtres, en bonne règle, ne doivent faire des enfants qu’à des femmes mariées. Pour avoir manqué à cette loi de convenance, il fut mis en prison, diffamé, chassé. Je ne sais s’il aura pu dans la suite rétablir ses affaires; mais le sentiment de son infortune, profondément gravé dans mon cœur, me revint quand j’écrivis l’Émile, et réunissant M. Gâtier avec M. Gaime je fis de ces deux dignes prêtres l’original du Vicaire savoyard. Je me flatte que l’imitation n’a pas déshonoré mes modèles.

      Pendant que j’étais au séminaire, M. d’Aubonne fut obligé de quitter Annecy. M. l’Intendant s’avisa de trouver mauvais qu’il fît l’amour à sa femme. C’était faire comme le chien du jardinier; car, quoique Mme Corvezi fût aimable, il vivait fort mal avec elle; des goûts ultramontains la lui rendaient inutile, et il la traitait si brutalement qu’il fut question de séparation. M. Corvezi était un vilain homme, noir comme une taupe, fripon comme une chouette, et qui à force de vexations finit par se faire chasser lui-même. On dit que les Provençaux se vengent de leurs ennemis par des chansons: M. d’Aubonne se vengea du sien par une comédie; il envoya cette pièce à Mme de Warens, qui me la fit voir. Elle me plut, et me fit naître la fantaisie d’en faire une pour essayer si j’étais en effet aussi bête que l’auteur l’avait prononcé: mais ce ne fut qu’à Chambéry que j’exécutai ce projet en écrivant L’Amant de lui-même. Ainsi, quand j’ai dit dans la préface de cette pièce que je l’avais écrite à dix-huit ans, j’ai menti de quelques années.

      C’est à peu près à ce temps-ci que se rapporte un événement peu important en lui-même, mais qui a eu pour moi des suites, et qui a fait du bruit dans le monde quand je l’avais oublié. СКАЧАТЬ