Les confessions. Jean-Jacques Rousseau
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les confessions - Jean-Jacques Rousseau страница 24

Название: Les confessions

Автор: Jean-Jacques Rousseau

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ moins.

      Comme on ne m’avait guère examiné sur mes petits talents, et qu’on ne me supposait que ceux que m’avait donnés la nature, il ne paraissait pas, malgré ce que le comte de Gouvon m’avait pu dire, qu’on songeât à tirer parti de moi. Des affaires vinrent à la traverse, et je fus à peu près oublié. Le marquis de Breil, fils du comte de Gouvon, était alors ambassadeur à Vienne. Il survint des mouvements à la cour qui se firent sentir dans la famille, et l’on y fut quelques semaines dans une agitation qui ne laissait guère le temps de penser à moi. Cependant jusque-là je m’étais peu relâché. Une chose me fit du bien et du mal, en m’éloignant de toute dissipation extérieure, mais en me rendant un peu plus distrait sur mes devoirs.

      Mlle de Breil était une jeune personne à peu près de mon âge, bien faite, assez belle, très blanche, avec des cheveux très noirs, et, quoique brune, portant sur son visage cet air de douceur des blondes auquel mon cœur n’a jamais résisté. L’habit de cour, si favorable aux jeunes personnes, marquait sa jolie taille, dégageait sa poitrine et ses épaules, et rendait son teint encore plus éblouissant par le deuil qu’on portait alors. On dira que ce n’est pas à un domestique de s’apercevoir de ces choses-là. J’avais tort, sans doute; mais je m’en apercevais toutefois, et même je n’étais pas le seul. Le maître d’hôtel et les valets de chambre en parlaient quelquefois à table avec une grossièreté qui me faisait cruellement souffrir. La tête ne me tournait pourtant pas au point d’être amoureux tout de bon. Je ne m’oubliais point; je me tenais à ma place, et mes désirs même ne s’émancipaient pas. J’aimais à voir Mlle de Breil, à lui entendre dire quelques mots qui marquaient de l’esprit, du sens, de l’honnêteté: mon ambition, bornée au plaisir de la servir, n’allait point au-delà de mes droits. À table j’étais attentif à chercher l’occasion de les faire valoir. Si son laquais quittait un moment sa chaise, à l’instant on m’y voyait établi: hors de là je me tenais vis-à-vis d’elle; je cherchais dans ses yeux ce qu’elle allait demander, j’épiais le moment de changer son assiette. Que n’aurais-je point fait pour qu’elle daignât m’ordonner quelque chose, me regarder, me dire un seul mot! Mais point: j’avais la mortification d’être nul pour elle; elle ne s’apercevait pas même que j’étais là. Cependant, son frère, qui m’adressait quelquefois la parole à table, m’ayant dit je ne sais quoi de peu obligeant, je lui fis une réponse si fine et si bien tournée, qu’elle y fit attention, et jeta les yeux sur moi. Ce coup d’œil, qui fut court, ne laissa pas de me transporter. Le lendemain, l’occasion se présenta d’en obtenir un second, et j’en profitai. On donnait ce jour-là un grand dîner, où, pour la première fois, je vis avec beaucoup d’étonnement le maître d’hôtel servir l’épée au côté et le chapeau sur la tête. Par hasard on vint à parler de la devise de la maison de Solar qui était sur la tapisserie avec les armoiries: Tel fiert qui ne tue pas. Comme les Piémontais ne sont pas pour l’ordinaire consommés dans la langue française, quelqu’un trouva dans cette devise une faute d’orthographe, et dit qu’au mot fiert il ne fallait point de t.

      Le vieux comte de Gouvon allait répondre; mais ayant jeté les yeux sur moi, il vit que je souriais sans oser rien dire: il m’ordonna de parler. Alors je dis que je ne croyais pas que le t fût de trop, que fiert était un vieux mot français qui ne venait pas du nom ferus, fier, menaçant, mais du verbe ferit, il frappe, il blesse; qu’ainsi la devise ne me paraissait pas dire: Tel menace, mais tel frappe qui ne tue pas.

      Tout le monde me regardait et se regardait sans rien dire. On ne vit de la vie un pareil étonnement. Mais ce qui me flatta davantage fut de voir clairement sur le visage de Mlle de Breil un air de satisfaction. Cette personne si dédaigneuse daigna me jeter un second regard qui valait tout au moins le premier; puis, tournant les yeux vers son grand-papa, elle semblait attendre avec une sorte d’impatience la louange qu’il me devait, et qu’il me donna en effet si pleine et entière et d’un air si content, que toute la table s’empressa de faire chorus. Ce moment fut court, mais délicieux à tous égards. Ce fut un de ces moments trop rares qui replacent les choses dans leur ordre naturel, et vengent le mérite avili des outrages de la fortune. Quelques minutes après, Mlle de Breil, levant derechef les yeux sur moi, me pria, d’un ton de voix aussi timide qu’affable, de lui donner à boire. On juge que je ne la fis pas attendre; mais en approchant je fus saisi d’un tel tremblement, qu’ayant trop rempli le verre, je répandis une partie de l’eau sur l’assiette et même sur elle. Son frère me demanda étourdiment pourquoi je tremblais si fort. Cette question ne servit pas à me rassurer, et Mlle de Breil rougit jusqu’au blanc des yeux.

      Ici finit le roman où l’on remarquera, comme avec Mme Basile, et dans toute la suite de ma vie, que je ne suis pas heureux dans la conclusion de mes amours. Je m’affectionnai inutilement à l’antichambre de Mme de Breil: je n’obtins plus une seule marque d’attention de la part de sa fille. Elle sortait et rentrait sans me regarder, et moi, j’osais à peine jeter les yeux sur elle. J’étais même si bête et si maladroit, qu’un jour qu’elle avait en passant laissé tomber son gant, au lieu de m’élancer sur ce gant que j’aurais voulu couvrir de baisers, je n’osai sortir de ma place, et je laissai ramasser le gant par un gros butor de valet que j’aurais volontiers écrasé. Pour achever de m’intimider, je m’aperçus que je n’avais pas le bonheur d’agréer à Mme de Breil. Non seulement elle ne m’ordonnait rien, mais elle n’acceptait jamais mon service; et deux fois, me trouvant dans son antichambre, elle me demanda d’un ton fort sec si je n’avais rien à faire. Il fallut renoncer à cette chère antichambre. J’en eus d’abord du regret, mais les distractions vinrent à la traverse, et bientôt je n’y pensai plus.

      J’eus de quoi me consoler du dédain de Mme de Breil par les bontés de son beau-père, qui s’aperçut enfin que j’étais là. Le soir du dîner dont j’ai parlé, il eut avec moi un entretien d’une demi-heure, dont il parut content et dont je fus enchanté. Ce bon vieillard, quoique homme d’esprit, en avait moins que Mme de Vercellis, mais il avait plus d’entrailles, et je réussis mieux auprès de lui. Il me dit de m’attacher à l’abbé de Gouvon son fils, qui m’avait pris en affection; que cette affection, si j’en profitais, pouvait m’être utile, et me faire acquérir ce qui me manquait pour les vues qu’on avait sur moi. Dès le lendemain matin je volai chez M. l’abbé. Il ne me reçut point en domestique; il me fit asseoir au coin de son feu, et, m’interrogeant avec la plus grande douceur, il vit bientôt que mon éducation, commencée sur tant de choses, n’était achevée sur aucune. Trouvant surtout que j’avais peu de latin, il entreprit de m’en enseigner davantage. Nous convînmes que je me rendrais chez lui tous les matins, et je commençai dès le lendemain. Ainsi, par une de ces bizarreries qu’on trouvera souvent dans le cours de ma vie, en même temps au-dessus et au-dessous de mon état, j’étais disciple et valet dans la même maison, et dans ma servitude j’avais cependant un précepteur d’une naissance à ne l’être que des enfants des rois.

      M. l’abbé de Gouvon était un cadet destiné par sa famille à l’épiscopat, et dont par cette raison l’on avait poussé les études plus qu’il n’est ordinaire aux enfants de qualité. On l’avait envoyé à l’université de Sienne, où il avait resté plusieurs années et dont il avait rapporté une assez forte dose de cruscantisme pour être à peu près à Turin ce qu’était jadis à Paris l’abbé de Dangeau. Le dégoût de la théologie l’avait jeté dans les belles-lettres, ce qui est très ordinaire en Italie à ceux qui courent la carrière de la prélature. Il avait bien lu les poètes; il faisait passablement des vers latins et italiens. En un mot il avait le goût qu’il fallait pour former le mien et mettre quelque choix dans le fatras dont je m’étais farci la tête. Mais, soit que mon babil lui eût fait quelque illusion sur mon savoir, soit qu’il ne pût supporter l’ennui du latin élémentaire, il me mit d’abord beaucoup trop haut; et à peine m’eut-il fait traduire quelques fables de Phèdre, qu’il me jeta dans Virgile, où je n’entendais presque rien. J’étais destiné, comme on verra dans la suite, à rapprendre souvent le latin et à ne le savoir jamais. Cependant je travaillais СКАЧАТЬ