Les confessions. Jean-Jacques Rousseau
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Название: Les confessions

Автор: Jean-Jacques Rousseau

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ que le regret de mes fautes devait s’irriter, en me reprochant que tout mon malheur était mon ouvrage. Rien de tout cela. Je venais pour la première fois de ma vie d’être enfermé pendant plus de deux mois; le premier sentiment que je goûtai fut celui de la liberté que j’avais recouvrée. Après un long esclavage, redevenu maître de moi-même et de mes actions, je me voyais au milieu d’une grande ville abondante en ressources, pleine de gens de condition dont mes talents et mon mérite ne pouvaient manquer de me faire accueillir sitôt que j’en serais connu. J’avais de plus tout le temps d’attendre, et vingt francs que j’avais dans ma poche me semblaient un trésor qui ne pouvait s’épuiser. J’en pouvais disposer à mon gré sans rendre compte à personne. C’était la première fois que je m’étais vu si riche. Loin de me livrer au découragement et aux larmes, je ne fis que changer d’espérances, et l’amour-propre n’y perdit rien. Jamais je ne me sentis tant de confiance et de sécurité; je croyais déjà ma fortune faite, et je trouvais beau de n’en avoir l’obligation qu’à moi seul.

      La première chose que je fis fut de satisfaire ma curiosité en parcourant toute la ville, quand ce n’eût été que pour faire un acte de ma liberté. J’allais voir monter la garde; les instruments militaires me plaisaient beaucoup. Je suivis des processions; j’aimais le faux-bourdon des prêtres; j’allai voir le palais du roi; j’en approchais avec crainte; mais voyant d’autres gens entrer, je fis comme eux; on me laissa faire. Peut-être dus-je cette grâce au petit paquet que j’avais sous le bras. Quoi qu’il en soit, je conçus une grande opinion de moi-même, en me trouvant dans ce palais; déjà je m’en regardais presque comme un habitant. Enfin, à force d’aller et venir, je me lassai; j’avais faim, il faisait chaud: j’entrai chez une marchande de laitage; on me donna de la giunca, du lait caillé, et avec deux grisses de cet excellent pain de Piémont, que j’aime plus qu’aucun autre, je fis pour mes cinq ou six sols un des bons dîners que j’aie faits de mes jours.

      Il fallut chercher un gîte. Comme je savais déjà assez de piémontais pour me faire entendre, il ne me fut pas difficile à trouver, et j’eus la prudence de le choisir plus selon ma bourse que selon mon goût. On m’enseigna dans la rue du Pô la femme d’un soldat qui retirait à un sol par nuit des domestiques hors de service.

      Je trouvai chez elle un grabat vide, et je m’y établis. Elle était jeune et nouvellement mariée, quoiqu’elle eût déjà cinq ou six enfants. Nous couchâmes tous dans la même chambre, la mère, les enfants, les hôtes; et cela dura de cette façon tant que je restai chez elle. Au demeurant c’était une bonne femme, jurant comme un charretier, toujours débraillée et décoiffée, mais douce de cœur, officieuse, qui me prit en amitié, et qui même me fut utile.

      Je passai plusieurs jours à me livrer uniquement au plaisir de l’indépendance et de la curiosité. J’allais errant dedans et dehors la ville, furetant, visitant tout ce qui me paraissait curieux et nouveau; et tout l’était pour un jeune homme sortant de sa niche, qui n’avait jamais vu de capitale. J’étais surtout fort exact à faire ma cour, et j’assistais régulièrement tous les matins à la messe du roi. Je trouvais beau de me voir dans la même chapelle avec ce prince et sa suite: mais ma passion pour la musique, qui commençait à se déclarer, avait plus de part à mon assiduité que la pompe de la cour, qui, bientôt vue et toujours la même, ne frappe pas longtemps. Le roi de Sardaigne avait alors la meilleure symphonie de l’Europe. Somis, Desjardins, les Bezuzzi y brillaient alternativement. Il n’en fallait pas tant pour attirer un jeune homme que le jeu du moindre instrument, pourvu qu’il fût juste, transportait d’aise. Du reste, je n’avais pour la magnificence qui frappait mes yeux qu’une admiration stupide et sans convoitise. La seule chose qui m’intéressât dans tout l’éclat de la cour était de voir s’il n’y aurait point là quelque jeune princesse qui méritât mon hommage, et avec laquelle je pusse faire un roman.

      Je faillis en commencer un dans un état moins brillant, mais où, si je l’eusse mis à fin, j’aurais trouvé des plaisirs mille fois plus délicieux.

      Quoique je vécusse avec beaucoup d’économie, ma bourse insensiblement s’épuisait. Cette économie, au reste, était moins l’effet de la prudence que d’une simplicité de goût que même aujourd’hui l’usage des grandes tables n’a point altéré. Je ne connaissais pas et je ne connais pas encore de meilleure chère que celle d’un repas rustique. Avec du laitage, des œufs, des herbes, du fromage, du pain bis et du vin passable, on est toujours sûr de me bien régaler; mon bon appétit fera le reste, quand un maître d’hôtel et des laquais autour de moi ne me rassasieront pas de leur importun aspect. Je faisais alors de beaucoup meilleurs repas, avec six ou sept sols de dépense, que je ne les ai faits depuis à six ou sept francs. J’étais donc sobre, faute d’être tenté de ne pas l’être: encore ai-je tort d’appeler tout cela sobriété, car j’y mettais toute la sensualité possible. Mes poires, ma giunca, mon fromage, mes grisses, et quelques verres d’un gros vin de Montferrat à couper par tranches, me rendaient le plus heureux des gourmands. Mais encore avec tout cela pouvait-on voir la fin de vingt livres. C’était ce que j’apercevais plus sensiblement de jour en jour, et, malgré l’étourderie de mon âge, mon inquiétude sur l’avenir alla bientôt jusqu’à l’effroi. De tous mes châteaux en Espagne, il ne me resta que celui de chercher une occupation qui me fît vivre, encore n’était-il pas facile à réaliser. Je songeai à mon ancien métier; mais je ne le savais pas assez pour aller travailler chez un maître, et les maîtres mêmes n’abondaient pas à Turin. Je pris donc, en attendant mieux, le parti d’aller m’offrir de boutique en boutique pour graver un chiffre ou des armes sur de la vaisselle, espérant tenter les gens par le bon marché en me mettant à leur discrétion. Cet expédient ne fut pas fort heureux. Je fus presque partout éconduit, et ce que je trouvais à faire était si peu de chose, qu’à peine y gagnai-je quelques repas. Un jour, cependant, passant d’assez bon matin dans la Contra nova, je vis, à travers les vitres d’un comptoir, une jeune marchande de si bonne grâce et d’un air si attirant, que, malgré ma timidité près des dames, je n’hésitai pas d’entrer et de lui offrir mon petit talent. Elle ne me rebuta point, me fit asseoir, conter ma petite histoire, me plaignit, me dit d’avoir bon courage, et que les bons chrétiens ne m’abandonneraient pas; puis, tandis qu’elle envoyait chercher chez un orfèvre du voisinage, les outils dont j’avais dit avoir besoin, elle monta dans sa cuisine et m’apporta elle-même à déjeuner. Ce début me parut de bon augure; la suite ne le démentit pas. Elle parut contente de mon petit travail, encore plus de mon petit babil quand je me fus un peu rassuré; car elle était brillante et parée, et, malgré son air gracieux, cet éclat m’en avait imposé. Mais son accueil plein de bonté, son ton compatissant, ses manières douces et caressantes me mirent bientôt à mon aise. Je vis que je réussissais, et cela me fit réussir davantage. Mais quoique Italienne, et trop jolie pour n’être pas un peu coquette, elle était pourtant si modeste, et moi si timide, qu’il était difficile que cela vînt sitôt à bien. On ne nous laissa pas le temps d’achever l’aventure. Je ne m’en rappelle qu’avec plus de charmes les courts moments que j’ai passés auprès d’elle, et je puis dire y avoir goûté dans leurs prémices les plus doux ainsi que les plus purs plaisirs de l’amour.

      C’était une brune extrêmement piquante, mais dont le bon naturel peint sur son joli visage rendait la vivacité touchante. Elle s’appelait Mme Basile. Son mari, plus âgé qu’elle et passablement jaloux, la laissait, durant ses voyages, sous la garde d’un commis trop maussade pour être séduisant, et qui ne laissait pas d’avoir des prétentions pour son compte, qu’il ne montrait guère que par sa mauvaise humeur. Il en prit beaucoup contre moi, quoique j’aimasse à l’entendre jouer de la flûte, dont il jouait assez bien. Ce nouvel Égisthe grognait toujours quand il me voyait entrer chez sa dame: il me traitait avec un dédain qu’elle lui rendait bien. Il semblait même qu’elle se plût, pour le tourmenter, à me caresser en sa présence, et cette sorte de vengeance, quoique fort de mon goût, l’eût été bien plus dans le tête-à-tête. Mais elle ne la poussait pas jusque-là, ou du moins ce n’était pas de la même manière. Soit qu’elle me trouvât trop jeune, soit qu’elle ne СКАЧАТЬ