La capitaine. Emile Chevalier
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Название: La capitaine

Автор: Emile Chevalier

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ tu entendais! s’écria Emmeline surprise.

      – Comme je t’entends, ma chère sœur.

      – Et tu ne sentais pas?

      – Non, rien!

      – Se peut-il?

      – Quand, en sanglotant, ma mère et toi, vous avez dit que vous vouliez m’embrasser une dernière fois, je vous ai entendues: j’aurais voulu crier, faire un mouvement, briser ces chaînes de plomb qui me tenaient immobile; j’aurais voulu vous dire: mais je ne suis pas mort! Je vis, consolez-vous, séchez vos larmes! Je suppliais Dieu de me rendre les sens pour une minute, pour une seconde; je le conjurais de faire glisser un souffle, un seul sur mes lèvres, d’animer mon cœur d’un battement, mon sang d’une pulsation; mais je ne distinguais rien, ne recevais d’impression que par l’ouïe: un corps inerte, de glace, accessible seulement au son, emprisonnait mon esprit.

      – Oh! c’est affreux! … affreux! …

      – Oui, bien affreux! continua le jeune homme. Il ne peut y avoir de supplice comparable; car cet esprit, il avait toute sa lucidité. Je crois même que sa sensibilité avait décuplé pour la perception, l’analyse et la souffrance de douleurs qu’à l’état normal un homme ne saurait supporter.

      – Oh! tais-toi! tais-toi! tais-toi, Bertrand! dit Emmeline en cachant son visage dans ses mains.

      Mais le frère aimait à parler de lui. C’était son défaut. Il continua, en s’animant:

      – Et quand les chirurgiens eurent déposé que j’étais mort, quand vinrent les ensevelisseuses, quand j’assistai à leur conversation lugubre, quand sur ma tête retentit le marteau qui clouait mon cercueil! puis les chants funèbres, le Requiem: cette voix solennelle du prêtre, ces répons nasillards et comme ironiques des chantres et des enfants de chœur, et les gémissements des assistants sur ma fosse, et le cri déchirant de notre père, – lorsqu’on l’entraîna loin du lieu où je devais expirer, en toute connaissance de moi-même et sans pouvoir protester contre l’ignorance implacable qui me condamnait, – et la première pelletée de terre qui m’annonça que c’en était fait, que tout était fini, irrévocablement, entre ce monde et moi…

      – Quelle destinée! quelle destinée! balbutia Emmeline frémissante.

      – Jusque-là, poursuivit Bertrand, j’avais nourri quelque espoir. Je me disais que le bon Dieu serait miséricordieux, qu’il se laisserait fléchir à mes ardentes prières, que chauffée par les brûlants désirs de mon esprit, ma chair s’amollirait, qu’elle reprendrait son impressionnabilité; mais quand sur mon cercueil tombèrent ces cailloux avec un bruit sépulcral, oh! je n’eus plus que blasphème, rage et désespoir dans tout ce qui agissait encore en moi! Je ne conçois point que les derniers ressorts de l’existence ne se brisent pas en mille et mille pièces dans un pareil instant, ne durât-il qu’une tierce.

      – Tu perdis alors le sentiment?

      – Oui, tout à fait, et fort heureusement…

      – Pauvre bon frère!

      – Je serais devenu fou! Que dis-je? sais-je ce que je serais devenu? Fou! ne l’étais-je pas déjà?

      – Mais ton retour?

      – Ah! ce fut comme un réveil après un long et terrible cauchemar.

      – Je le crois bien!

      – J’étais accablé de fatigue, courbaturé dans tous mes membres. Des images flottaient confuses devant mon cerveau. Je voulus me remuer, mes mains rencontrèrent un corps dur; j’en eus peur, une peur atroce, et restai quelques moments immobile. J’avais oublié le passé; je me demandai, chose inouïe! si l’on ne m’avait pas enterré vif. Est-ce que je rêve, ou suis-je éveillé, me disais-je? Cependant ma respiration était pénible. J’avais sur la poitrine un poids qui l’étouffait, mes oreilles bourdonnaient comme si elles avaient renfermé des essaims de frelons…

      – Que tout cela est étrange!

      – Ah! bien étrange, petite sœur!

      – Mais l’air te manquait?

      – Quand j’aspirais, c’était comme si j’avais eu la bouche près d’une fournaise.

      – Il y avait de quoi mourir cette fois pour tout de bon, fit Emmeline, en lui prenant la main et la serrant doucement dans les siennes.

      – Je pensais m’évanouir et retombais dans une indicible torpeur, que ne pouvaient dissiper des sons aigus au-dessus de moi, lorsqu’un courant frais vint caresser mon visage.

      – Ah! c’était le secours…

      – Ce que c’était, pour moi, chère Emmeline, c’était la plus agréable sensation que j’eusse éprouvée jamais; je renaquis; la circulation de mon sang se rétablit. Je fus inondé d’un bien inexprimable, dont je jouissais voluptueusement sans vouloir me bouger, sans en avoir même l’idée, tant j’étais heureux, tant je me complaisais au sein de ces délices nouvelles.

      – Égoïste! dit la jeune fille en souriant.

      – Une brusque secousse, accompagnée de tortures dans tout le corps, comme si on me l’eût broyé à coups de massue, m’arracha à ce paradis.

      – C’était les résurrectionnistes qui t’enlevaient.

      – Alors je ne songeais qu’à mon martyre. Mon cerveau était toujours en feu, un véritable chaos incandescent. Mes yeux demeuraient fermés. Un froid glacial m’enveloppa subitement. Je discernai des voix humaines autour de moi. Une force indépendante de ma volonté m’obligea à me lever. Je m’en souviens parfaitement, je fis quelques pas. Le vertige me prit…

      – Grâce à Dieu, il y avait là quelqu’un pour te venir en aide, mon Bertrand; car ces poltrons d’étudiants s’étaient sauvés à qui plus vite, en te voyant ressusciter!

      – Ah! ne te moque pas d’eux, Emmeline. Je leur dois une reconnaissance éternelle.

      – C’est-à-dire, fit la jeune fille en rougissant, que cette reconnaissance tu la dois à M. Arthur.

      – Qu’est-ce que M. Arthur aurait fait si…

      – Mon cher frère, je vais te confier un secret; mais promets-moi de n’en point parler à notre ami, car il ignore que je le sais.

      – Quel est donc ce grand secret?

      – Je l’ai appris ce matin même du gardien du cimetière, en allant visiter sa femme, qui est malade.

      – Je t’écoute.

      – Tu jures de ne me pas trahir?

      – Soit, petite sœur, je te le jure, répondit gaiement Bertrand.

      – Eh bien, en s’enfuyant, les étudiants ont fait du bruit; attiré par ce bruit, le gardien du cimetière est sorti et il a trouvé M. Arthur et son domestique, qui te rapportaient à la maison.

      – Tout cela n’est pas fort mystérieux.

      – Attends! je n’ai СКАЧАТЬ