Les Diaboliques. Barbey d'Aurevilly
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Название: Les Diaboliques

Автор: Barbey d'Aurevilly

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ même, de quelque voyageur, ahuri de sommeil, qui baissait une glace et criait dans la nuit, rendue plus sonore à force de silence : « Où sommes-nous donc, postillon ?… » rien de vivant ne s’entendait et ne se voyait autour et dans cette voiture pleine de gens qui dormaient, en cette ville endormie, où peut-être quelque rêveur, comme moi, cherchait, à travers la vitre de son compartiment, à discerner la façade des maisons estompée par la nuit, ou suspendait son regard et sa pensée à quelque fenêtre éclairée encore à cette heure avancée, en ces petites villes aux mœurs réglées et simples, pour qui la nuit était faite surtout pour dormir. La veille d’un être humain, – ne fût-ce qu’une sentinelle, – quand tous les autres êtres sont plongés dans cet assoupissement qui est l’assoupissement de l’animalité fatiguée, a toujours quelque chose d’imposant. Mais l’ignorance de ce qui fait veiller derrière une fenêtre aux rideaux baissés, où la lumière indique la vie et la pensée, ajoute la poésie du rêve à la poésie de la réalité. Du moins, pour moi, je n’ai jamais pu voir une fenêtre, – éclairée la nuit, – dans une ville couchée, par laquelle je passais, – sans accrocher à ce cadre de lumière un monde de pensées, – sans imaginer derrière ces rideaux des intimités et des drames… Et maintenant, oui, au bout de tant d’années, j’ai encore dans la tête de ces fenêtres qui y sont restées éternellement et mélancoliquement lumineuses, et qui me font dire souvent, lorsqu’en y pensant, je les revois dans mes songeries :

      « Qu’y avait-il donc derrière ces rideaux ? »

      Eh bien ! une de celles qui me sont restées le plus dans la mémoire (mais tout à l’heure vous en comprendrez la raison) est une fenêtre d’une des rues de la ville de ***, par laquelle nous passions cette nuit-là. C’était à trois maisons – vous voyez si mon souvenir est précis – au-dessus de l’hôtel devant lequel nous relayions ; mais cette fenêtre, j’eus le loisir de la considérer plus de temps que le temps d’un simple relais. Un accident venait d’arriver à une des roues de notre voiture, et on avait envoyé chercher le charron qu’il fallut réveiller. Or, réveiller un charron, dans une ville de province endormie, et le faire lever pour resserrer un écrou à une diligence qui n’avait pas de concurrence sur cette ligne-là, n’était pas une petite affaire de quelques minutes… Que si le charron était aussi endormi dans son lit qu’on l’était dans notre voiture, il ne devait pas être facile de le réveiller… De mon coupé, j’entendais à travers la cloison les ronflements des voyageurs de l’intérieur, et pas un des voyageurs de l’impériale, qui, comme on le sait, ont la manie de toujours descendre dès que la diligence arrête, probablement (car la vanité se fourre partout en France, même sur l’impériale des voitures) pour montrer leur adresse à remonter, n’était descendu… Il est vrai que l’hôtel devant lequel nous nous étions arrêtés était fermé. On n’y soupait point. On avait soupé au relais précédent. L’hôtel sommeillait, comme nous. Rien n’y trahissait la vie. Nul bruit n’en troublait le profond silence… si ce n’est le coup de balai, monotone et lassé, de quelqu’un (homme ou femme… on ne savait ; il faisait trop nuit pour bien s’en rendre compte) qui balayait alors la grande cour de cet hôtel muet, dont la porte cochère restait habituellement ouverte. Ce coup de balai traînard, sur le pavé, avait aussi l’air de dormir, ou du moins d’en avoir diablement envie ! La façade de l’hôtel était noire comme les autres maisons de la rue où il n’y avait de lumière qu’à une seule fenêtre… cette fenêtre que précisément j’ai emportée dans ma mémoire et que j’ai là, toujours, sous le front !… La maison, dans laquelle on ne pouvait pas dire que cette lumière brillait, car elle était tamisée par un double rideau cramoisi dont elle traversait mystérieusement l’épaisseur, était une grande maison qui n’avait qu’un étage, – mais placé très haut…

      – C’est singulier ! – fit le comte de Brassard, comme s’il se parlait à lui-même, on dirait que c’est toujours le même rideau !

      Je me retournai vers lui, comme si j’avais pu le voir dans notre obscur compartiment de voiture ; mais la lampe, placée sous le siège du cocher, et qui est destinée à éclairer les chevaux et la route, venait justement de s’éteindre… Je croyais qu’il dormait, et il ne dormait pas, et il était frappé comme moi de l’air qu’avait cette fenêtre ; mais, plus avancé que moi, il savait, lui, pourquoi il l’était !

      Or, le ton qu’il mit à dire cela – une chose d’une telle simplicité ! – était si peu dans la voix de mon dit vicomte de Brassard et m’étonna si fort, que je voulus avoir le cœur net de la curiosité qui me prit tout à coup de voir son visage, et que je fis partir une allumette comme si j’avais voulu allumer mon cigare. L’éclair bleuâtre de l’allumette coupa l’obscurité.

      Il était pâle, non pas comme un mort… mais comme la Mort elle-même.

      Pourquoi pâlissait-il ?… Cette fenêtre, d’un aspect si particulier, cette réflexion et cette pâleur d’un homme qui pâlissait très peu d’ordinaire, car il était sanguin, et l’émotion, lorsqu’il était ému, devait l’empourprer jusqu’au crâne, le frémissement que je sentis courir dans les muscles de son puissant biceps, touchant alors contre mon bras dans le rapprochement de la voiture, tout cela me produisit l’effet de cacher quelque chose… que moi, le chasseur aux histoires, je pourrais peut-être savoir en m’y prenant bien.

      – Vous regardiez donc aussi cette fenêtre, capitaine, et même vous la reconnaissiez ? – lui dis-je de ce ton détaché qui semble ne pas tenir du tout à la réponse et qui est l’hypocrisie de la curiosité.

      – Parbleu ! si je la reconnais ! fit-il de sa voix ordinaire, richement timbrée et qui appuyait sur les mots.

      Le calme était déjà revenu dans ce dandy, le plus carré et le plus majestueux des dandys, lesquels – vous le savez ! – méprisent toute émotion, comme inférieure, et ne croient pas, comme ce niais de Gœthe, que l’étonnement puisse jamais être une position honorable pour l’esprit humain.

      – Je ne passe pas par ici souvent, – continua donc, très tranquillement, le vicomte de Brassard, – et même j’évite d’y passer. Mais il est des choses qu’on n’oublie point. Il n’y en a pas beaucoup, mais il y en a. J’en connais trois : le premier uniforme qu’on a mis, la première bataille où l’on a donné, et la première femme qu’on a eue. Eh bien ! pour moi, cette fenêtre est la quatrième chose que je ne puisse pas oublier.

      Il s’arrêta, baissa la glace qu’il avait devant lui… Etait-ce pour mieux voir cette fenêtre dont il me parlait ?… Le conducteur était allé chercher le charron et ne revenait pas. Les chevaux de relais, en retard, n’étaient pas encore arrivés de la poste. Ceux qui nous avaient traînés, immobiles de fatigue, harassés, non dételés, la tête pendant dans leurs jambes, ne donnaient pas même sur le pavé silencieux le coup de pied de l’impatience, en rêvant de leur écurie. Notre diligence endormie ressemblait à une voiture enchantée, figée par la baguette des fées, à quelque carrefour de clairière, dans la forêt de la Belle-au-Bois dormant.

      – Le fait est, – dis-je, – que pour un homme d’imagination, cette fenêtre a de la physionomie.

      – Je ne sais pas ce qu’elle a pour vous, – reprit le vicomte de Brassard, – mais je sais ce qu’elle a pour moi. C’est la fenêtre de la chambre qui a été ma première chambre de garnison. J’ai habité là… Diable ! il y a tout à l’heure trente-cinq ans ! derrière ce rideau… qui semble n’avoir pas été changé depuis tant d’années, et que je trouve éclairé, absolument éclairé, comme il l’était quand…

      Il s’arrêta encore, réprimant sa pensée ; mais je tenais à la faire sortir.

      – Quand vous étudiiez votre tactique, capitaine, dans vos premières veilles de sous-lieutenant ?

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