Sodome et Gomorrhe. Marcel Proust
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Название: Sodome et Gomorrhe

Автор: Marcel Proust

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ bien que, tout en niant qu’ils soient une race (dont le nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacher qu’ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leur nuire, ce qu’ils ne détestent pas, que pour s’excuser, et allant chercher, comme un médecin l’appendicite, l’inversion jusque dans l’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu’il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pas d’antichrétiens avant le Christ, que l’opprobre seul fait le crime, parce qu’il n’a laissé subsister que ceux qui étaient réfractaires à toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertu d’une disposition innée tellement spéciale qu’elle répugne plus aux autres hommes (encore qu’elle puisse s’accompagner de hautes qualités morales) que de certains vices qui y contredisent, comme le vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plus excusés du commun des hommes ; formant une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes qui souhaitent de ne pas se connaître aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de ses semblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme la portière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celui qui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre, dans le médecin, dans le prêtre, dans l’avocat qu’il est allé trouver ; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leur part d’un secret des autres que le reste de l’humanité ne soupçonne pas et qui fait qu’à eux les romans d’aventure les plus invraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque, anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat ; le prince, avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas, en sortant de chez la duchesse s’en va conférer avec l’apache ; partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée ; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône ; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés ; jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regards d’où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ils voudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifs dans leur vocabulaire, contrainte sociale légère auprès de la contrainte intérieure que leur vice, ou ce qu’on nomme improprement ainsi, leur impose non plus à l’égard des autres mais d’eux-mêmes, et de façon qu’à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice. Mais certains, plus pratiques, plus pressés, qui n’ont pas le temps d’aller faire leur marché et de renoncer à la simplification de la vie et à ce gain de temps qui peut résulter de la coopération, se sont fait deux sociétés dont la seconde est composée exclusivement d’êtres pareils à eux.

      Cela frappe chez ceux qui sont pauvres et venus de la province, sans relations, sans rien que l’ambition d’être un jour médecin ou avocat célèbre, ayant un esprit encore vide d’opinions, un corps dénué de manières et qu’ils comptent rapidement orner, comme ils achèteraient pour leur petite chambre du quartier latin des meubles d’après ce qu’ils remarqueraient et calqueraient chez ceux qui sont déjà « arrivés » dans la profession utile et sérieuse où ils souhaitent de s’encadrer et de devenir illustres ; chez ceux-là, leur goût spécial, hérité à leur insu, comme des dispositions pour le dessin, pour la musique, est peut-être, à la vérité, la seule originalité vivace, despotique – et qui tels soirs les force à manquer telle réunion utile à leur carrière avec des gens dont, pour le reste, ils adoptent les façons de parler, de penser, de s’habiller, de se coiffer. Dans leur quartier, où ils ne fréquentent sans cela que des condisciples, des maîtres ou quelque compatriote arrivé et protecteur, ils ont vite découvert d’autres jeunes gens que le même goût particulier rapproche d’eux, comme dans une petite ville se lient le professeur de seconde et le notaire qui aiment tous les deux la musique de chambre, les ivoires du moyen âge ; appliquant à l’objet de leur distraction le même instinct utilitaire, le même esprit professionnel qui les guide dans leur carrière, ils les retrouvent à des séances où nul profane n’est admis, pas plus qu’à celles qui réunissent des amateurs de vieilles tabatières, d’estampes japonaises, de fleurs rares, et où, à cause du plaisir de s’instruire, de l’utilité des échanges et de la crainte des compétitions, règne à la fois, comme dans une bourse aux timbres, l’entente étroite des spécialistes et les féroces rivalités des collectionneurs. Personne d’ailleurs, dans le café où ils ont leur table, ne sait quelle est cette réunion, si c’est celle d’une société de pêche, des secrétaires de rédaction, ou des enfants de l’Indre, tant leur tenue est correcte, leur air réservé et froid, et tant ils n’osent regarder qu’à la dérobée les jeunes gens à la mode, les jeunes « lions » qui, à quelques mètres plus loin, font grand bruit de leurs maîtresses, et parmi lesquels ceux qui les admirent sans oser lever les yeux apprendront seulement vingt ans plus tard, quand les uns seront à la veille d’entrer dans une académie et les autres de vieux hommes de cercle, que le plus séduisant, maintenant un gros et grisonnant Charlus, était en réalité pareil à eux, mais ailleurs, dans un autre monde, sous d’autres symboles extérieurs, avec des signes étrangers, dont la différence les a induits en erreur. Mais les groupements sont plus ou moins avancés ; et comme l’« Union des gauches » diffère de la « Fédération socialiste » et telle société de musique Mendelssohnienne de la Schola Cantorum, certains soirs, à une autre table, il y a des extrémistes qui laissent passer un bracelet sous leur manchette, parfois un collier dans l’évasement de leur col, forcent par leurs regards insistants, leurs gloussements, leurs rires, leurs caresses entre eux, une bande de collégiens à s’enfuir au plus vite, et sont servis, avec une politesse sous laquelle couve l’indignation, par un garçon qui, comme les soirs où il sert les dreyfusards, aurait plaisir à aller chercher la police s’il n’avait avantage à empocher les pourboires.

      C’est à ces organisations professionnelles que l’esprit oppose le goût des solitaires, et sans trop d’artifices d’une part, puisqu’il ne fait en cela qu’imiter les solitaires eux-mêmes qui croient que rien ne diffère plus du vice organisé que ce qui leur paraît à eux un amour incompris, avec quelque artifice toutefois, car ces différentes classes répondent, tout autant qu’à des types physiologiques divers, à des moments successifs d’une évolution pathologique ou seulement sociale. Et il est bien rare en effet qu’un jour ou l’autre, ce ne soit pas dans de telles organisations que les solitaires viennent se fondre, quelquefois par simple lassitude, par commodité (comme finissent ceux qui en ont été le plus adversaires par faire poser chez eux le téléphone, par recevoir les Iéna, ou par acheter chez Potin). Ils y sont d’ailleurs généralement assez mal reçus, car, dans leur vie relativement pure, le défaut d’expérience, la saturation par la rêverie où ils sont réduits, ont marqué plus fortement en eux ces caractères particuliers d’efféminement que les professionnels ont cherché à effacer. Et il faut avouer que chez certains de ces nouveaux venus, la femme n’est pas seulement intérieurement unie à l’homme, mais hideusement visible, agités qu’ils sont dans un spasme d’hystérique, par un rire aigu qui convulse leurs genoux et leurs mains, ne ressemblant pas plus au commun des hommes que ces singes à l’œil mélancolique et cerné, aux pieds prenants, qui revêtent le smoking et portent une cravate noire ; de sorte que ces nouvelles recrues sont jugées, par de moins chastes pourtant, d’une fréquentation compromettante, et leur admission difficile ; on les accepte cependant et ils bénéficient alors de ces facilités par lesquelles le commerce, les grandes entreprises, ont transformé la vie des individus, leur ont rendu accessibles des denrées jusque-là trop dispendieuses à acquérir et même difficiles à trouver, et qui maintenant les submergent СКАЧАТЬ