Sodome et Gomorrhe. Marcel Proust
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Название: Sodome et Gomorrhe

Автор: Marcel Proust

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ à Paris pour quarante-huit heures. J’ai passé chez toi, on m’a dit que tu étais ici, de sorte que c’est toi qui vaut à ma tante l’honneur de ma présence à sa fête. » C’était Saint-Loup. Je lui dis combien je trouvais la demeure belle. « Oui, ça fait assez monument historique. Moi, je trouve ça assommant. Ne nous mettons pas près de mon oncle Palamède, sans cela nous allons être happés. Comme Mme Molé (car c’est elle qui tient la corde en ce moment) vient de partir, il est tout désemparé. Il paraît que c’était un vrai spectacle, il ne l’a pas quittée d’un pas, il ne l’a laissée que quand il l’a eu mise en voiture. Je n’en veux pas à mon oncle, seulement je trouve drôle que mon conseil de famille, qui s’est toujours montré si sévère pour moi, soit composé précisément des parents qui ont le plus fait la bombe, à commencer par le plus noceur de tous, mon oncle Charlus, qui est mon subrogé tuteur, qui a eu autant de femmes que don Juan, et qui à son âge ne dételle pas. Il a été question à un moment qu’on me nomme un conseil judiciaire. Je pense que, quand tous ces vieux marcheurs se réunissaient pour examiner la question et me faisaient venir pour me faire de la morale, et me dire que je faisais de la peine à ma mère, ils ne devaient pas pouvoir se regarder sans rire. Tu examineras la composition du conseil, on a l’air d’avoir choisi exprès ceux qui ont le plus retroussé de jupons. » En mettant à part M. de Charlus, au sujet duquel l’étonnement de mon ami ne me paraissait pas plus justifié, mais pour d’autres raisons et qui devaient d’ailleurs se modifier plus tard dans mon esprit, Robert avait bien tort de trouver extraordinaire que des leçons de sagesse fussent données à un jeune homme par des parents qui ont fait les fous, ou le font encore.

      Quand l’atavisme, les ressemblances familiales seraient seules en cause, il est inévitable que l’oncle qui fait la semonce ait à peu près les mêmes défauts que le neveu qu’on l’a chargé de gronder. L’oncle n’y met d’ailleurs aucune hypocrisie, trompé qu’il est par la faculté qu’ont les hommes de croire, à chaque nouvelle circonstance, qu’il s’agit « d’autre chose », faculté qui leur permet d’adopter des erreurs artistiques, politiques, etc., sans s’apercevoir que ce sont les mêmes qu’ils ont prises pour des vérités, il y a dix ans, à propos d’une autre école de peinture qu’ils condamnaient, d’une autre affaire politique qu’ils croyaient mériter leur haine, dont ils sont revenus, et qu’ils épousent sans les reconnaître sous un nouveau déguisement. D’ailleurs, même si les fautes de l’oncle sont différentes de celles du neveu, l’hérédité peut n’en être pas moins, dans une certaine mesure, la loi causale, car l’effet ne ressemble pas toujours à la cause, comme la copie à l’original, et même, si les fautes de l’oncle sont pires, il peut parfaitement les croire moins graves.

      Quand M. de Charlus venait de faire des remontrances indignées à Robert, qui d’ailleurs ne connaissait pas les goûts véritables de son oncle, à cette époque-là, et même si c’eût encore été celle où le baron flétrissait ses propres goûts, il eût parfaitement pu être sincère, en trouvant, du point de vue de l’homme du monde, que Robert était infiniment plus coupable que lui. Robert n’avait-il pas failli, au moment où son oncle avait été chargé de lui faire entendre raison, se faire mettre au ban de son monde ? ne s’en était-il pas fallu de peu qu’il ne fût blackboulé au Jockey ? n’était-il pas un objet de risée par les folles dépenses qu’il faisait pour une femme de la dernière catégorie, par ses amitiés avec des gens, auteurs, acteurs, juifs, dont pas un n’était du monde, par ses opinions qui ne se différenciaient pas de celles des traîtres, par la douleur qu’il causait à tous les siens ? En quoi cela pouvait-il se comparer, cette vie scandaleuse, à celle de M. de Charlus qui avait su, jusqu’ici, non seulement garder, mais grandir encore sa situation de Guermantes, étant dans la société un être absolument privilégié, recherché, adulé par la société la plus choisie, et qui, marié à une princesse de Bourbon, femme éminente, avait su la rendre heureuse, avait voué à sa mémoire un culte plus fervent, plus exact qu’on n’a l’habitude dans le monde, et avait ainsi été aussi bon mari que bon fils !

      « Mais es-tu sûr que M. de Charlus ait eu tant de maîtresses ? » demandai-je, non certes dans l’intention diabolique de révéler à Robert le secret que j’avais surpris, mais agacé cependant de l’entendre soutenir une erreur avec tant de certitude et de suffisance. Il se contenta de hausser les épaules en réponse à ce qu’il croyait de ma part de la naïveté. « Mais d’ailleurs, je ne l’en blâme pas, je trouve qu’il a parfaitement raison. » Et il commença à m’esquisser une théorie qui lui eût fait horreur à Balbec (où il ne se contentait pas de flétrir les séducteurs, la mort lui paraissant le seul châtiment proportionné au crime). C’est qu’alors il était encore amoureux et jaloux. Il alla jusqu’à me faire l’éloge des maisons de passe. « Il n’y a que là qu’on trouve chaussure à son pied, ce que nous appelons au régiment son gabarit. » Il n’avait plus pour ce genre d’endroits le dégoût qui l’avait soulevé à Balbec quand j’avais fait allusion à eux, et, en l’entendant maintenant, je lui dis que Bloch m’en avait fait connaître, mais Robert me répondit que celle où allait Bloch devait être « extrêmement purée, le paradis du pauvre ». « Ça dépend, après tout : où était-ce ? » Je restai dans le vague, car je me rappelai que c’était là, en effet, que se donnait pour un louis cette Rachel que Robert avait tant aimée. « En tout cas, je t’en ferai connaître de bien mieux, où il va des femmes épatantes. » En m’entendant exprimer le désir qu’il me conduisît le plus tôt possible dans celles qu’il connaissait et qui devaient, en effet, être bien supérieures à la maison que m’avait indiquée Bloch, il témoigna d’un regret sincère de ne le pouvoir pas cette fois puisqu’il repartait le lendemain. « Ce sera pour mon prochain séjour, dit-il. Tu verras, il y a même des jeunes filles, ajouta-t-il d’un air mystérieux. Il y a une petite demoiselle de… je crois d’Orgeville, je te dirai exactement, qui est la fille de gens tout ce qu’il y a de mieux ; la mère est plus ou moins née La Croix-l’Évêque, ce sont des gens du gratin, même un peu parents, sauf erreur, à ma tante Oriane. Du reste, rien qu’à voir la petite, on sent que c’est la fille de gens bien (je sentis s’étendre un instant sur la voix de Robert l’ombre du génie des Guermantes qui passa comme un nuage, mais à une grande hauteur et ne s’arrêta pas). Ça m’a tout l’air d’une affaire merveilleuse. Les parents sont toujours malades et ne peuvent s’occuper d’elle. Dame, la petite se désennuie, et je compte sur toi pour lui trouver des distractions, à cette enfant ! – Oh ! quand reviendras-tu ? – Je ne sais pas ; si tu ne tiens pas absolument à des duchesses (le titre de duchesse étant pour l’aristocratie le seul qui désigne un rang particulièrement brillant, comme on dirait, dans le peuple, des princesses), dans un autre genre il y a la première femme de chambre de Mme Putbus. »

      À ce moment, Mme de Surgis entra dans le salon de jeu pour chercher ses fils. En l’apercevant, M. de Charlus alla à elle avec une amabilité dont la marquise fut d’autant plus agréablement surprise, que c’est une grande froideur qu’elle attendait du baron, lequel s’était posé de tout temps comme le protecteur d’Oriane et, seul de la famille – trop souvent complaisante aux exigences du duc à cause de son héritage et par jalousie à l’égard de la duchesse – tenait impitoyablement à distance les maîtresses de son frère. Aussi Mme de Surgis eût-elle fort bien compris les motifs de l’attitude qu’elle redoutait chez le baron, mais ne soupçonna nullement ceux de l’accueil tout opposé qu’elle reçut de lui. Il lui parla avec admiration du portrait que Jacquet avait fait d’elle autrefois. Cette admiration s’exalta même jusqu’à un enthousiasme qui, s’il était en partie intéressé pour empêcher la marquise de s’éloigner de lui, pour « l’accrocher », comme Robert disait des armées ennemies dont on veut forcer les effectifs à rester engagés sur un certain point, était peut-être aussi sincère. Car si chacun se plaisait à admirer dans les fils le port de reine et les yeux de Mme de Surgis, le baron pouvait éprouver un plaisir inverse, mais aussi vif, à retrouver ces charmes réunis en faisceau chez leur mère, comme en un portrait qui n’inspire pas lui-même de désirs, mais nourrit, de l’admiration esthétique qu’il inspire, ceux qu’il réveille. СКАЧАТЬ