Sodome et Gomorrhe. Marcel Proust
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Название: Sodome et Gomorrhe

Автор: Marcel Proust

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ continuité sans lacune. D’un peu près, on voyait que cette continuité, en apparence toute linéaire, était assurée à tous les points de l’ascension du jet, partout où il aurait dû se briser, par l’entrée en ligne, par la reprise latérale d’un jet parallèle qui montait plus haut que le premier et était lui-même, à une plus grande hauteur, mais déjà fatigante pour lui, relevé par un troisième. De près, des gouttes sans force retombaient de la colonne d’eau en croisant au passage leurs sœurs montantes, et, parfois déchirées, saisies dans un remous de l’air troublé par ce jaillissement sans trêve, flottaient avant d’être chavirées dans le bassin. Elles contrariaient de leurs hésitations, de leur trajet en sens inverse, et estompaient de leur molle vapeur la rectitude et la tension de cette tige, portant au-dessus de soi un nuage oblong fait de mille gouttelettes, mais en apparence peint en brun doré et immuable, qui montait, infrangible, immobile, élancé et rapide, s’ajouter aux nuages du ciel. Malheureusement un coup de vent suffisait à l’envoyer obliquement sur la terre ; parfois même un simple jet désobéissant divergeait et, si elle ne s’était pas tenue à une distance respectueuse, aurait mouillé jusqu’aux moelles la foule imprudente et contemplative.

      Un de ces petits accidents, qui ne se produisaient guère qu’au moment où la brise s’élevait, fut assez désagréable. On avait fait croire à Mme d’Arpajon que le duc de Guermantes – en réalité non encore arrivé – était avec Mme de Surgis dans les galeries de marbre rose où on accédait par la double colonnade, creusée à l’intérieur, qui s’élevait de la margelle du bassin. Or, au moment où Mme d’Arpajon allait s’engager dans l’une des colonnades, un fort coup de chaude brise tordit le jet d’eau et inonda si complètement la belle dame que, l’eau dégoulinante de son décolletage dans l’intérieur de sa robe, elle fut aussi trempée que si on l’avait plongée dans un bain. Alors, non loin d’elle, un grognement scandé retentit assez fort pour pouvoir se faire entendre à toute une armée et pourtant prolongé par période comme s’il s’adressait non pas à l’ensemble, mais successivement à chaque partie des troupes ; c’était le grand-duc Wladimir qui riait de tout son cœur en voyant l’immersion de Mme d’Arpajon, une des choses les plus gaies, aimait-il à dire ensuite, à laquelle il eût assisté de toute sa vie. Comme quelques personnes charitables faisaient remarquer au Moscovite qu’un mot de condoléances de lui serait peut-être mérité et ferait plaisir à cette femme qui, malgré sa quarantaine bien sonnée, et tout en s’épongeant avec son écharpe, sans demander le secours de personne, se dégageait malgré l’eau qui souillait malicieusement la margelle de la vasque, le Grand-Duc, qui avait bon cœur, crut devoir s’exécuter et, les derniers roulements militaires du rire à peine apaisés, on entendit un nouveau grondement plus violent encore que l’autre. « Bravo, la vieille ! » s’écriait-il en battant des mains comme au théâtre. Mme d’Arpajon ne fut pas sensible à ce qu’on vantât sa dextérité aux dépens de sa jeunesse. Et comme quelqu’un lui disait, assourdi par le bruit de l’eau, que dominait pourtant le tonnerre de Monseigneur : « Je crois que Son Altesse Impériale vous a dit quelque chose », « Non ! c’était à Mme de Souvré », répondit-elle.

      Je traversai les jardins et remontai l’escalier où l’absence du Prince, disparu à l’écart avec Swann, grossissait autour de M. de Charlus la foule des invités, de même que, quand Louis XIV n’était pas à Versailles, il y avait plus de monde chez Monsieur, son frère. Je fus arrêté au passage par le baron, tandis que derrière moi deux dames et un jeune homme s’approchaient pour lui dire bonjour.

      « C’est gentil de vous voir ici », me dit-il, en me tendant la main. « Bonsoir madame de la Trémoïlle, bonsoir ma chère Herminie. » Mais sans doute le souvenir de ce qu’il m’avait dit sur son rôle de chef dans l’hôtel Guermantes lui donnait le désir de paraître éprouver à l’endroit de ce qui le mécontentait, mais qu’il n’avait pu empêcher, une satisfaction à laquelle son impertinence de grand seigneur et son égaillement d’hystérique donnèrent immédiatement une forme d’ironie excessive : « C’est gentil, reprit-il, mais c’est surtout bien drôle. » Et il se mit à pousser des éclats de rire qui semblèrent à la fois témoigner de sa joie et de l’impuissance où la parole humaine était de l’exprimer. Cependant que certaines personnes, sachant combien il était à la fois difficile d’accès et propre aux « sorties » insolentes, s’approchaient avec curiosité et, avec un empressement presque indécent, prenaient leurs jambes à leur cou. « Allons, ne vous fâchez pas, me dit-il, en me touchant doucement l’épaule, vous savez que je vous aime bien. Bonsoir Antioche, bonsoir Louis-René. Avez-vous été voir le jet d’eau ? me demanda-t-il sur un ton plus affirmatif que questionneur. C’est bien joli, n’est-ce pas ? C’est merveilleux. Cela pourrait être encore mieux, naturellement, en supprimant certaines choses, et alors il n’y aurait rien de pareil, en France. Mais tel que c’est, c’est déjà parmi les choses les mieux. Bréauté vous dira qu’on a eu tort de mettre des lampions, pour tâcher de faire oublier que c’est lui qui a eu cette idée absurde. Mais, en somme, il n’a réussi que très peu à enlaidir. C’est beaucoup plus difficile de défigurer un chef-d’œuvre que de le créer. Nous nous doutions du reste déjà vaguement que Bréauté était moins puissant qu’Hubert Robert. »

      Je repris la file des visiteurs qui entraient dans l’hôtel. « Est-ce qu’il y a longtemps que vous avez vu ma délicieuse cousine Oriane ? » me demanda la Princesse qui avait depuis peu déserté son fauteuil à l’entrée, et avec qui je retournais dans les salons. « Elle doit venir ce soir, je l’ai vue cet après-midi, ajouta la maîtresse de maison. Elle me l’a promis. Je crois du reste que vous dînez avec nous deux chez la reine d’Italie, à l’ambassade, jeudi. Il y aura toutes les Altesses possibles, ce sera très intimidant. » Elles ne pouvaient nullement intimider la princesse de Guermantes, de laquelle les salons en foisonnaient et qui disait : « Mes petits Cobourg » comme elle eût dit : « Mes petits chiens ». Aussi, Mme de Guermantes dit-elle : « Ce sera très intimidant », par simple bêtise, qui, chez les gens du monde, l’emporte encore sur la vanité. À l’égard de sa propre généalogie, elle en savait moins qu’un agrégé d’histoire. Pour ce qui concernait ses relations, elle tenait à montrer qu’elle connaissait les surnoms qu’on leur avait donnés. M’ayant demandé si je dînais la semaine suivante chez la marquise de la Pommelière, qu’on appelait souvent « la Pomme », la Princesse, ayant obtenu de moi une réponse négative, se tut pendant quelques instants. Puis, sans aucune autre raison qu’un étalage voulu d’érudition involontaire, de banalité et de conformité à l’esprit général, elle ajouta : « C’est une assez agréable femme, la Pomme ! »

      Tandis que la Princesse causait avec moi, faisaient précisément leur entrée le duc et la duchesse de Guermantes ! Mais je ne pus d’abord aller au-devant d’eux, car je fus happé au passage par l’ambassadrice de Turquie, laquelle, me désignant la maîtresse de maison que je venais de quitter, s’écria en m’empoignant par le bras : « Ah ! quelle femme délicieuse que la Princesse ! Quel être supérieur à tous ! Il me semble que si j’étais un homme, ajouta-t-elle, avec un peu de bassesse et de sensualité orientales, je vouerais ma vie à cette céleste créature. » Je répondis qu’elle me semblait charmante en effet, mais que je connaissais plus sa cousine la duchesse. « Mais il n’y a aucun rapport, me dit l’ambassadrice. Oriane est une charmante femme du monde qui tire son esprit de Mémé et de Babal, tandis que Marie-Gilbert, c’est quelqu’un. »

      Je n’aime jamais beaucoup qu’on me dise ainsi sans réplique ce que je dois penser des gens que je connais. Et il n’y avait aucune raison pour que l’ambassadrice de Turquie eût sur la valeur de la duchesse de Guermantes un jugement plus sûr que le mien. D’autre part, ce qui expliquait aussi mon agacement contre l’ambassadrice, c’est que les défauts d’une simple connaissance, et même d’un ami, sont pour nous de vrais poisons, contre lesquels nous sommes heureusement « mithridatés ».

      Mais, sans apporter le moindre appareil de comparaison scientifique et parler d’anaphylaxie, СКАЧАТЬ