Название: L'île mystérieuse
Автор: Jules Verne
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Cette odeur, aisément reconnaissable, avait suffi à l’ingénieur pour deviner ce qu’était cette fumée qui, tout d’abord, avait dû l’inquiéter, et non sans raison.
«Ce feu, dit-il, ou plutôt cette fumée, c’est la nature seule qui en fait les frais. Il n’y a là qu’une source sulfureuse, qui nous permettra de traiter efficacement nos laryngites.
– Bon! s’écria Pencroff. Quel malheur que je ne sois pas enrhumé!»
Les colons se dirigèrent alors vers l’endroit d’où s’échappait la fumée. Là, ils virent une source sulfurée sodique, qui coulait assez abondamment entre les roches, et dont les eaux dégageaient une vive odeur d’acide sulfhydrique, après avoir absorbé l’oxygène de l’air.
Cyrus Smith, y trempant la main, trouva ces eaux onctueuses au toucher. Il les goûta, et reconnut que leur saveur était un peu douceâtre. Quant à leur température, il l’estima à quatre-vingt-quinze degrés Fahrenheit (35 degrés centigrades au-dessus de zéro). Et Harbert lui ayant demandé sur quoi il basait cette évaluation:
«Tout simplement, mon enfant, dit-il, parce que, en plongeant ma main dans cette eau, je n’ai éprouvé aucune sensation de froid ni de chaud. Donc, elle est à la même température que le corps humain, qui est environ de quatre-vingt-quinze degrés.»
Puis, la source sulfurée n’offrant aucune utilisation actuelle, les colons se dirigèrent vers l’épaisse lisière de la forêt, qui se développait à quelques centaines de pas.
Là, ainsi qu’on l’avait présumé, le ruisseau promenait ses eaux vives et limpides entre de hautes berges de terre rouge, dont la couleur décelait la présence de l’oxyde de fer. Cette couleur fit immédiatement donner à ce cours d’eau le nom de Creek-Rouge.
Ce n’était qu’un large ruisseau, profond et clair, formé des eaux de la montagne, qui, moitié rio, moitié torrent, ici coulant paisiblement sur le sable, là grondant sur des têtes de roche ou se précipitant en cascade, courait ainsi vers le lac sur une longueur d’un mille et demi et une largeur variable de trente à quarante pieds. Ses eaux étaient douces, ce qui devait faire supposer que celles du lac l’étaient aussi. Circonstance heureuse, pour le cas où l’on trouverait sur ses bords une demeure plus convenable que les Cheminées.
Quant aux arbres qui, quelques centaines de pieds en aval, ombrageaient les rives du creek, ils appartenaient pour la plupart aux espèces qui abondent dans la zone modérée de l’Australie ou de la Tasmanie, et non plus à celles de ces conifères qui hérissaient la portion de l’île déjà explorée à quelques milles du plateau de Grande-vue. À cette époque de l’année, au commencement de ce mois d’avril, qui représente dans cet hémisphère le mois d’octobre, c’est-à-dire au début de l’automne, le feuillage ne leur manquait pas encore. C’étaient plus particulièrement des casuarinas et des eucalyptus, dont quelques-uns devaient fournir au printemps prochain une manne sucrée tout à fait analogue à la manne d’Orient. Des bouquets de cèdres australiens s’élevaient aussi dans les clairières, revêtues de ce haut gazon que l’on appelle «tussac» dans la Nouvelle-Hollande; mais le cocotier, si abondant sur les archipels du Pacifique, semblait manquer à l’île, dont la latitude était sans doute trop basse.
«Quel malheur! dit Harbert, un arbre si utile et qui a de si belles noix!»
Quant aux oiseaux, ils pullulaient entre ces ramures un peu maigres des eucalyptus et des casuarinas, qui ne gênaient pas le déploiement de leurs ailes. Kakatoès noirs, blancs ou gris, perroquets et perruches, au plumage nuancé de toutes les couleurs, «rois», d’un vert éclatant et couronnés de rouge, loris bleus, «blues-mountains», semblaient ne se laisser voir qu’à travers un prisme, et voletaient au milieu d’un caquetage assourdissant.
Tout à coup, un bizarre concert de voix discordantes retentit au milieu d’un fourré. Les colons entendirent successivement le chant des oiseaux, le cri des quadrupèdes, et une sorte de clappement qu’ils auraient pu croire échappé aux lèvres d’un indigène. Nab et Harbert s’étaient élancés vers ce buisson, oubliant les principes de la prudence la plus élémentaire. Très heureusement, il n’y avait là ni fauve redoutable, ni indigène dangereux, mais tout simplement une demi-douzaine de ces oiseaux moqueurs et chanteurs, que l’on reconnut être des «faisans de montagne.» Quelques coups de bâton, adroitement portés, terminèrent la scène d’imitation, ce qui procura un excellent gibier pour le dîner du soir.
Harbert signala aussi de magnifiques pigeons, aux ailes bronzées, les uns surmontés d’une crête superbe, les autres drapés de vert, comme leurs congénères de Port-Macquarie; mais il fut impossible de les atteindre, non plus que des corbeaux et des pies, qui s’enfuyaient par bandes. Un coup de fusil à petit plomb eût fait une hécatombe de ces volatiles, mais les chasseurs en étaient encore réduits, comme armes de jet, à la pierre, comme armes de hast, au bâton, et ces engins primitifs ne laissaient pas d’être très insuffisants.
Leur insuffisance fut démontrée plus clairement encore, quand une troupe de quadrupèdes, sautillant, bondissant, faisant des sauts de trente pieds, véritables mammifères volants, s’enfuirent par-dessus les fourrés, si prestement et à de telles hauteurs, qu’on aurait pu croire qu’ils passaient d’un arbre à l’autre, comme des écureuils.
«Des kangourous! s’écria Harbert.
– Et cela se mange? répliqua Pencroff.
– Préparé à l’étuvée, répondit le reporter, cela vaut la meilleure venaison!…»
Gédéon Spilett n’avait pas achevé cette phrase excitante, que le marin, suivi de Nab et d’Harbert, s’était lancé sur les traces des kangourous. Cyrus Smith les rappela, vainement. Mais ce devait être vainement aussi que les chasseurs allaient poursuivre ce gibier élastique, qui rebondissait comme une balle. Après cinq minutes de course, ils étaient essoufflés, et la bande disparaissait dans le taillis.
Top n’avait pas eu plus de succès que ses maîtres.
«Monsieur Cyrus, dit Pencroff, lorsque l’ingénieur et le reporter l’eurent rejoint, Monsieur Cyrus, vous voyez bien qu’il est indispensable de fabriquer des fusils. Est-ce que cela sera possible?
– Peut-être, répondit l’ingénieur, mais nous commencerons d’abord par fabriquer des arcs et des flèches, et je ne doute pas que vous ne deveniez aussi adroits à les manier que des chasseurs australiens.
– Des flèches, des arcs! dit Pencroff avec une moue dédaigneuse. C’est bon pour des enfants!
– Ne faites pas le fier, ami Pencroff, répondit le reporter. Les arcs et les flèches ont suffi, pendant des siècles, à ensanglanter le monde. La poudre n’est que d’hier, et la guerre est aussi vieille que la race humaine, – malheureusement!
– C’est ma foi vrai, Monsieur Spilett, répliqua le marin, et je parle toujours trop vite. Faut m’excuser!»
Cependant, Harbert, tout à sa science favorite, l’histoire naturelle, fit un retour sur les kangourous, en disant:
«Du reste, nous avons eu affaire là à l’espèce la plus difficile à prendre. C’étaient des géants à longue fourrure grise; mais, si je ne me trompe, il existe des kangourous noirs et rouges, des kangourous de rochers, des kangourous-rats, dont il est plus aisé de s’emparer. On СКАЧАТЬ