Le père Goriot. Honore de Balzac
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Название: Le père Goriot

Автор: Honore de Balzac

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ existence par le seul jeu de leur imagination, et se font malheureux ou tristes par le renversement de projets qui ne vivaient encore que dans leurs désirs effrénés; s’ils n’étaient pas ignorants et timides, le monde social serait impossible. Eugène marchait avec mille précautions pour ne se point crotter, mais il marchait en pensant à ce qu’il dirait à madame de Restaud, il s’approvisionnait d’esprit, il inventait les reparties d’une conversation imaginaire, il préparait ses mots fins, ses phrases à la Talleyrand, en supposant de petites circonstances favorables à la déclaration sur laquelle il fondait son avenir. Il se crotta, l’étudiant, il fut forcé de faire cirer ses bottes et brosser son pantalon au Palais-Royal. «Si j’étais riche, se dit-il en changeant une pièce de trente sous qu’il avait prise en cas de malheur, je serais allé en voiture, j’aurais pu penser à mon aise.» Enfin il arriva rue du Helder et demanda la comtesse de Restaud. Avec la rage froide d’un homme sûr de triompher un jour, il reçut le coup d’œil méprisant des gens qui l’avaient vu traversant la cour à pied, sans avoir entendu le bruit d’une voiture à la porte. Ce coup d’œil lui fut d’autant plus sensible qu’il avait déjà compris son infériorité en entrant dans cette cour, où piaffait un beau cheval richement attelé à l’un de ces cabriolets pimpants qui affichent le luxe d’une existence dissipatrice, et sous-entendent l’habitude de toutes les félicités parisiennes. Il se mit, à lui tout seul, de mauvaise humeur. Les tiroirs ouverts dans son cerveau et qu’il comptait trouver pleins d’esprit se fermèrent, il devint stupide. En attendant la réponse de la comtesse, à laquelle un valet de chambre allait dire les noms du visiteur, Eugène se posa sur un seul pied devant une croisée de l’antichambre, s’appuya le coude sur une espagnolette, et regarda machinalement dans la cour. Il trouvait le temps long, il s’en serait allé s’il n’avait pas été doué de cette ténacité méridionale qui enfante des prodiges quand elle va en ligne droite.

      – Monsieur, dit le valet de chambre, madame est dans son boudoir et fort occupée, elle ne m’a pas répondu, mais, si monsieur veut passer au salon, il y a déjà quelqu’un.

      Tout en admirant l’épouvantable pouvoir de ces gens qui, d’un seul mot, accusent ou jugent leurs maîtres, Rastignac ouvrit délibérément la porte par laquelle était sorti le valet de chambre, afin sans doute de faire croire à ces insolents valets qu’il connaissait les êtres de la maison; mais il déboucha fort étourdiment dans une pièce où se trouvaient des lampes, des buffets, un appareil à chauffer des serviettes pour le bain, et qui menait à la fois dans un corridor obscur et dans un escalier dérobé. Les rires étouffés qu’il entendit dans l’antichambre mirent le comble à sa confusion.

      – Monsieur, le salon est par ici, lui dit le valet de chambre avec ce faux respect qui semble être une raillerie de plus.

      Eugène revint sur ses pas avec une telle précipitation qu’il se heurta contre une baignoire, mais il retint assez heureusement son chapeau pour l’empêcher de tomber dans le bain. En ce moment, une porte s’ouvrit au fond du long corridor éclairé par une petite lampe, Rastignac y entendit à la fois la voix de madame de Restaud, celle du père Goriot et le bruit d’un baiser. Il rentra dans la salle à manger, la traversa, suivit le valet de chambre, et rentra dans un premier salon où il resta posé devant la fenêtre, en s’apercevant qu’elle avait vue sur la cour. Il voulait voir si ce père Goriot était bien réellement son père Goriot. Le cœur lui battait étrangement, il se souvenait des épouvantables réflexions de Vautrin. Le valet de chambre attendait Eugène à la porte du salon, mais il en sortit tout à coup un élégant jeune homme, qui dit impatiemment: «Je m’en vais, Maurice. Vous direz à madame la comtesse que je l’ai attendue plus d’une demi-heure.» Cet impertinent, qui sans doute avait le droit de l’être, chantonna quelque roulade italienne en se dirigeant vers la fenêtre où stationnait Eugène, autant pour voir la figure de l’étudiant que pour regarder dans la cour.

      – Mais monsieur le comte ferait mieux d’attendre encore un instant, Madame a fini, dit Maurice en retournant à l’antichambre.

      En ce moment, le père Goriot débouchait près de la porte cochère par la sortie du petit escalier. Le bonhomme tirait son parapluie et se disposait à le déployer, sans faire attention que la grande porte était ouverte pour donner passage à un jeune homme décoré qui conduisait un tilbury. Le père Goriot n’eut que le temps de se jeter en arrière pour n’être pas écrasé. Le taffetas du parapluie avait effrayé le cheval, qui fit un léger écart en se précipitant vers le perron. Ce jeune homme détourna la tête d’un air de colère, regarda le père Goriot, et lui fit, avant qu’il ne sortît, un salut qui peignait la considération forcée que l’on accorde aux usuriers dont on a besoin, ou ce respect nécessaire exigé par un homme taré, mais dont on rougit plus tard. Le père Goriot répondit par un petit salut amical, plein de bonhomie. Ces événements se passèrent avec la rapidité de l’éclair. Trop attentif pour s’apercevoir qu’il n’était pas seul, Eugène entendit tout à coup la voix de la comtesse.

      – Ah! Maxime, vous vous en alliez, dit-elle avec un ton de reproche où se mêlait un peu de dépit.

      La comtesse n’avait pas fait attention à l’entrée du tilbury. Rastignac se retourna brusquement et vit la comtesse coquettement vêtue d’un peignoir en cachemire blanc, à nœuds roses, coiffée négligemment, comme le sont les femmes de Paris au matin; elle embaumait, elle avait sans doute pris un bain, et sa beauté, pour ainsi dire assouplie, semblait plus voluptueuse; ses yeux étaient humides. L’œil des jeunes gens sait tout voir: leurs esprits s’unissent aux rayonnements de la femme comme une plante aspire dans l’air des substances qui lui sont propres, Eugène sentit donc la fraîcheur épanouie des mains de cette femme sans avoir besoin d’y toucher. Il voyait, à travers le cachemire, les teintes rosées du corsage que le peignoir, légèrement entr’ouvert, laissait parfois à nu, et sur lequel son regard s’étalait. Les ressources du busc étaient inutiles à la comtesse, la ceinture marquait seule sa taille flexible, son cou invitait à l’amour, ses pieds étaient jolis dans les pantoufles. Quand Maxime prit cette main pour la baiser, Eugène aperçut alors Maxime, et la comtesse aperçut Eugène.

      – Ah! c’est vous, monsieur de Rastignac, je suis bien aise de vous voir, dit-elle d’un air auquel savent obéir les gens d’esprit.

      Maxime regardait alternativement Eugène et la comtesse d’une manière assez significative pour faire décamper l’intrus. – Ah çà! ma chère, j’espère que tu vas me mettre ce petit drôle à la porte! Cette phrase était une traduction claire et intelligible des regards du jeune homme impertinemment fier que la comtesse Anastasie avait nommé Maxime, et dont elle consultait le visage de cette intention soumise qui dit tous les secrets d’une femme sans qu’elle s’en doute. Rastignac se sentit une haine violente pour ce jeune homme. D’abord les beaux cheveux blonds et bien frisés de Maxime lui apprirent combien les siens étaient horribles. Puis Maxime avait des bottes fines et propres, tandis, que les siennes, malgré le soin qu’il avait pris en marchant, s’étaient empreintes d’une légère teinte de boue. Enfin Maxime portait une redingote qui lui serrait élégamment la taille et le faisait ressembler à une jolie femme, tandis qu’Eugène avait à deux heures et demie un habit noir. Le spirituel enfant de la Charente sentit la supériorité que la mise donnait à ce dandy, mince et grand, à l’œil clair, au teint pâle, un de ces hommes capables de ruiner des orphelins. Sans attendre la réponse d’Eugène, madame de Restaud se sauva comme à tire-d’aile dans l’autre salon, en laissant flotter les pans de son peignoir qui se roulaient et se déroulaient de manière à lui donner l’apparence d’un papillon; et Maxime la suivit. Eugène furieux suivit Maxime et la comtesse. Ces trois personnages se trouvèrent donc en présence, à la hauteur de la cheminée, au milieu du grand salon. L’étudiant savait bien qu’il allait gêner cet odieux Maxime; mais, au risque de déplaire à madame de Restaud, il voulut gêner le dandy. Tout à coup, en se souvenant d’avoir vu ce jeune homme au bal de madame de Beauséant, il devina ce qu’était Maxime pour madame de Restaud; et avec cette audace juvénile qui fait commettre de grandes СКАЧАТЬ