La Peau de chagrin. Honore de Balzac
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Название: La Peau de chagrin

Автор: Honore de Balzac

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ marqués maintenant par le fer chaud de la politique, nous allons entrer dans ce grand bagne et y perdre nos illusions. Quand on ne croit plus qu’au diable, il est permis de regretter le paradis de la jeunesse, le temps d’innocence où nous tendions dévotement la langue à un bon prêtre, pour recevoir le sacré corps de notre Seigneur Jésus-Christ. Ah! mes bons amis, si nous avons eu tant de plaisir à commettre nos premiers péchés, c’est que nous avions des remords pour les embellir et leur donner du piquant, de la saveur; tandis que maintenant…

      – Oh! maintenant, reprit le premier interlocuteur, il nous reste…

      – Quoi? dit un autre.

      – Le crime…

      – Voilà un mot qui a toute la hauteur d’une potence et toute la profondeur de la Seine, répliqua Raphaël.

      – Oh! tu ne m’entends pas. Je parle des crimes politiques. Depuis ce matin je n’envie qu’une existence, celle des conspirateurs. Demain, je ne sais si ma fantaisie durera toujours; mais ce soir la vie pâle de notre civilisation, unie comme la rainure d’un chemin de fer, fait bondir mon cœur de dégoût! Je suis épris de passion pour les malheurs de la déroute de Moscou, pour les émotions du Corsaire rouge et pour l’existence des contrebandiers. Puisqu’il n’y a plus de Chartreux en France, je voudrais au moins un Botany-Bay, une espèce d’infirmerie destinée aux petits lords Byrons, qui, après avoir chiffonné la vie comme une serviette après dîner, n’ont plus rien à faire qu’à incendier leur pays, se brûler la cervelle, conspirer pour la république, ou demander la guerre…

      – Émile, dit avec feu le voisin de Raphaël à l’interlocuteur, foi d’homme, sans la révolution de juillet, je me faisais prêtre pour aller mener une vie animale au fond de quelque campagne, et…

      – Et tu aurais lu le bréviaire tous les jours?

      – Oui.

      – Tu es un fat.

      – Nous lisons bien les journaux.

      – Pas mal! pour un journaliste. Mais, tais-toi, nous marchons au milieu d’une masse d’abonnés. Le journalisme, vois-tu, c’est la religion des sociétés modernes, et il y a progrès.

      – Comment?

      – Les pontifes ne sont pas tenus de croire, ni le peuple non plus…

      En devisant ainsi, comme de braves gens qui savaient le De Viris illustribus depuis longues années, ils arrivèrent à un hôtel de la rue Joubert.

      Émile était un journaliste qui avait conquis plus de gloire à ne rien faire que les autres n’en recueillent de leurs succès. Critique hardi, plein de verve et de mordant, il possédait toutes les qualités que comportaient ses défauts. Franc et rieur, il disait en face mille épigrammes à un ami, qu’absent, il défendait avec courage et loyauté. Il se moquait de tout, même de son avenir. Toujours dépourvu d’argent, il restait, comme tous les hommes de quelque portée, plongé dans une inexprimable paresse, jetant un livre dans un mot au nez de gens qui ne savaient pas mettre un mot dans leurs livres. Prodigue de promesses qu’il ne réalisait jamais, il s’était fait de sa fortune et de sa gloire un coussin pour dormir, courant ainsi la chance de se réveiller vieux à l’hôpital. D’ailleurs, ami jusqu’à l’échafaud, fanfaron de cynisme et simple comme un enfant, il ne travaillait que par boutade ou par nécessité.

      – Nous allons faire, suivant l’expression de maître Alcofribas, un fameux tronçon de chiere lie, dit-il à Raphaël en lui montrant les caisses de fleurs qui embaumaient et verdissaient les escaliers.

      – J’aime les porches bien chauffés et garnis de riches tapis, répondit Raphaël. Le luxe dès le péristyle est rare en France. Ici, je me sens renaître.

      – Et là-haut nous allons boire et rire encore une fois, mon pauvre Raphaël. Ah çà! reprit-il, j’espère que nous serons les vainqueurs et que nous marcherons sur toutes ces têtes-là. Puis, d’un geste moqueur, il lui montra les convives en entrant dans un salon qui resplendissait de dorures, de lumières, et où ils furent aussitôt accueillis par les jeunes gens les plus remarquables de Paris. L’un venait de révéler un talent neuf, et de rivaliser par son premier tableau avec les gloires de la peinture impériale. L’autre avait hasardé la veille un livre plein de verdeur, empreint d’une sorte de dédain littéraire, et qui découvrait à l’école moderne de nouvelles routes. Plus loin, un statuaire dont la figure pleine de rudesse accusait quelque vigoureux génie, causait avec un de ces froids railleurs qui, selon l’occurrence, tantôt ne veulent voir de supériorité nulle part, et tantôt en reconnaissent partout. Ici, le plus spirituel de nos caricaturistes, à l’œil malin, à la bouche mordante, guettait les épigrammes pour les traduire à coups de crayon. Là, ce jeune et audacieux écrivain, qui mieux que personne distillait la quintessence des pensées politiques, ou condensait en se jouant l’esprit d’un écrivain fécond, s’entretenait avec ce poète dont les écrits écraseraient toutes les œuvres du temps présent, si son talent avait la puissance de sa haine. Tous deux essayaient de ne pas dire la vérité et de ne pas mentir, en s’adressant de douces flatteries. Un musicien célèbre consolait en si bémol, et d’une voix moqueuse, un jeune homme politique récemment tombé de la tribune sans se faire aucun mal. De jeunes auteurs sans style étaient auprès de jeunes auteurs sans idées, des prosateurs pleins de poésie près de poètes prosaïques. Voyant ces êtres incomplets, un pauvre saint-simonien, assez naïf pour croire à sa doctrine, les accouplait avec charité, voulant sans doute les transformer en religieux de son ordre. Enfin, il s’y trouvait deux ou trois de ces savants destinés à mettre de l’azote dans la conversation, et plusieurs vaudevillistes prêts à y jeter de ces lueurs éphémères, qui, semblables aux étincelles du diamant, ne donnent ni chaleur ni lumière. Quelques hommes à paradoxes, riant sous cape des gens qui épousent leurs admirations ou leurs mépris pour les hommes et les choses, faisaient déjà de cette politique à double tranchant, avec laquelle ils conspirent contre tous les systèmes, sans prendre parti pour aucun. Le jugeur, qui ne s’étonne de rien, qui se mouche au milieu d’une cavatine aux Bouffons, y crie brava avant tout le monde, et contredit ceux qui préviennent son avis, était là, cherchant à s’attribuer les mots des gens d’esprit. Parmi ces convives, cinq avaient de l’avenir, une dizaine devait obtenir quelque gloire viagère; quant aux autres, ils pouvaient comme toutes les médiocrités se dire le fameux mensonge de Louis XVIII: Union et oubli. L’amphitryon avait la gaieté soucieuse d’un homme qui dépense deux mille écus; de temps en temps ses yeux se dirigeaient avec impatience vers la porte du salon, en appelant celui des convives qui se faisait attendre. Bientôt apparut un gros petit homme qui fut accueilli par une flatteuse rumeur, c’était le notaire qui, le matin même, avait achevé de créer le journal. Un valet de chambre vêtu de noir vint ouvrir les portes d’une vaste salle à manger, où chacun alla sans cérémonie reconnaître sa place autour d’une table immense. Avant de quitter les salons, Raphaël y jeta un dernier coup d’œil. Son souhait était certes bien complétement réalisé: la soie et l’or tapissaient les appartements, de riches candélabres supportant d’innombrables bougies faisaient briller les plus légers détails des frises dorées, les délicates ciselures du bronze et les somptueuses couleurs de l’ameublement; les fleurs rares de quelques jardinières artistement construites avec des bambous, répandaient de doux parfums; les draperies respiraient une élégance sans prétention; il y avait en tout je ne sais quelle grâce poétique dont le prestige devait agir sur l’imagination d’un homme sans argent.

      – Cent mille livres de rente sont un bien joli commentaire du catéchisme, et nous aident merveilleusement à mettre la morale en actions! dit-il en soupirant. Oh! oui, ma vertu ne va guère à pied. Pour moi, le vice c’est une mansarde, un habit râpé, un chapeau gris en hiver, СКАЧАТЬ