Les derniers jours de Pékin. Pierre Loti
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Название: Les derniers jours de Pékin

Автор: Pierre Loti

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de fer. Jusqu’à l’horizon, il y en a toujours, des tourelles, des mâtures, des fumées, – et c’est la très étonnante escadre internationale, avec tout ce qu’elle traîne de satellites à ses côtés: torpilleurs, transports, et légion de paquebots.

      Ce Bengali, où je vais m’embarquer pour un jour, est l’un des petits bâtiments français, constamment chargés de troupes et de matériel de guerre, qui, depuis un mois, font le pénible et lassant va-et-vient entre les transports ou les affrétés arrivant de France et le port de Takou, par-dessus la barre du Peï-Ho.

      Aujourd’hui, il est bondé de zouaves, le Bengali, de braves zouaves arrivés hier de Tunisie, et qui s’en vont, insouciants et joyeux, vers la funèbre terre chinoise; ils sont serrés sur le pont, serrés à tout touche, avec de bonnes figures gaies et des yeux grands ouverts – pour voir enfin cette Chine qui les préoccupe depuis des semaines et qui est là tout près, derrière l’horizon…

      Suivant le cérémonial d’usage, le Bengali en appareillant doit passer à poupe du Redoutable, pour le salut à l’amiral. La musique l’attend, à l’arrière du cuirassé, prête à lui jouer quelqu’un de ces airs de marche dont les soldats se grisent. Et, quand nous passons près du gros vaisseau, presque dans son ombre, tous les zouaves – ceux qui reviendront et ceux qui doivent mourir – tous, pendant que leurs clairons sonnent aux champs, agitent leurs bonnets rouges, avec des hourras, pour ce navire qui représente ici la France à leurs yeux et pour cet amiral qui, du haut de sa galerie, lève sa casquette en leur honneur.

      Au bout d’une demi-heure environ, la Chine apparaît.

      Et jamais rivage d’une laideur plus féroce n’a surpris et glacé de pauvres soldats nouveaux venus. Une côte basse, une terre grise toute nue, sans un arbre ni un herbage. Et partout des forts de taille colossale, du même gris que la terre; des masses aux contours géométriques, percées d’embrasures de canon. Jamais entrée de pays n’a présenté un attirail militaire plus étalé ni plus agressif; sur les deux bords de l’horrible fleuve aux eaux bourbeuses, ces forts se dressent pareils, donnant le sentiment d’un lieu imprenable et terrible, – laissant entendre aussi que cette embouchure, malgré ses misérables alentours, est d’une importance de premier ordre, est la clef d’un grand État, mène à quelque cité immense, peureuse et riche, – comme Pékin a dû être.

      De près, les murs des deux premiers grands forts, éclaboussés, troués, déchiquetés par les obus, laissent voir des brèches profondes, témoignent de furieuses et récentes batailles.

      (On sait comment, le jour de la prise de Takou, ils ont tiré à bout portant l’un sur l’autre. Par miracle, un obus français qu’avait lancé le Lion était tombé au milieu de l’un d’eux, amenant l’explosion de son énorme poudrière et l’affolement de ses canonniers jaunes: les Japonais, alors, s’étaient emparés de ce fort-là, pour ouvrir un feu imprévu sur celui d’en face, et aussitôt la déroute chinoise avait été commencée. Sans ce hasard, sans cet obus et cette panique, toutes les canonnières européennes mouillées dans le Peï-Ho étaient inévitablement perdues; le débarquement des forces alliées devenait impossible ou problématique, et la face de la guerre était changée.)

      Nous avançons maintenant dans le fleuve, remuant l’eau vaseuse et infecte où flottent des immondices de toute sorte, des carcasses le ventre gonflé, des cadavres humains et des cadavres de bêtes. Et les deux rives sinistres nous montrent, au soleil déclinant du soir, un défilé de ruines, une désolation uniformément noire et grise: terre, cendre et charpentes calcinées. Plus rien, que des murs crevés, des écroulements, des décombres.

      Sur ce fleuve aux eaux empestées, une animation fiévreuse, un encombrement au milieu duquel nous avons peine à nous frayer passage. Des jonques par centaines, portant chacune les couleurs et, écrit à l’arrière, le nom de la nation qui l’emploie: France, Italia, United States, etc., en grandes lettres par-dessus des diableries et des inscriptions chinoises. Et une innombrable flottille de remorqueurs, de chalands, de charbonniers, de paquebots.

      De même, sur les affreuses berges, sur la terre et sur la vase, parmi les détritus et les bêtes mortes, une activité de fourmilière. Des soldats de toutes les armées d’Europe, au milieu d’un peuple de coolies menés à la baguette, débarquant des munitions, des tentes, des fusils, des fourgons, des mulets, des chevaux: une confusion encore jamais vue, d’uniformes, de ruines, de canons, de débris et d’approvisionnements de toute espèce. Et un vent glacé, qui se lève avec le soir, fait frissonner, après le soleil encore chaud du jour, apporte tout à coup la tristesse de l’hiver…

      Devant les ruines d’un quartier où flotte le pavillon de France, le Bengali accoste la lugubre rive, et nos zouaves débarquent, un peu décontenancés par cet accueil sombre que leur fait la Chine. En attendant qu’on leur ait trouvé quelque gîte, assemblés sur une sorte de place qui est là, ils allument par terre des feux que le vent tourmente, et ils font chauffer le petit repas du soir, dans l’obscurité, sans chansons et en silence, parmi les tourbillons d’une infecte poussière.

      Au milieu des plaines désertes qui nous envoient cette poussière-là, ce froid, ces rafales, la ville envahie de soldats s’étend dévastée et noire, sent partout la peste et la mort.

      Une petite rue centrale, rebâtie à la hâte en quelques jours, avec de la boue, des débris de charpentes et du fer, est bordée de louches cabarets. Des gens accourus on ne sait d’où, métis de toutes les races, y vendent aux soldats de l’absinthe, des poissons salés, de mortelles liqueurs. On s’y enivre et on y joue du couteau.

      En dehors de ce quartier qui s’improvise, Takou n’existe plus. Rien que des pans de muraille, des toitures carbonisées, des tas de cendre. Et des cloaques sans nom où croupissent ensemble les hardes, les chiens crevés, les crânes avec les chevelures.

* * * * *

      Couché à bord du Bengali, où le commandant m’a offert l’hospitalité. Des coups de fusil isolés traversent de temps à autre le silence nocturne, et, vers le matin, entendus en demi-sommeil, d’horribles cris, poussés sur la berge par des gosiers de Chinois.

      Vendredi 12 octobre.

      Levé à la pointe de l’aube, pour aller prendre le chemin de fer, qui marche encore jusqu’à Tien-Tsin, et même un peu au delà. – Ensuite, les Boxers ayant détruit la voie, je continuerai je ne sais encore comment, en charrette chinoise, en jonque ou à cheval, et, avant six ou sept jours, à ce que l’on vient de me dire, je ne puis compter voir les grands murs de Pékin. J’emporte un ordre de service, afin que l’on me donne ma ration de campagne aux gîtes d’étape en passant; sans cela je risquerais de mourir de faim dans ce pays dévasté. J’ai pris le moins possible de bagage, rien qu’une cantine légère. Et un seul compagnon de route, un fidèle serviteur amené de France.

      A la gare, où j’arrive comme le soleil se lève, retrouvé tous les zouaves d’hier, sac au dos. Pas de billets à prendre pour ce chemin de fer-là: tout ce qui est militaire y monte par droit de conquête. En compagnie de soldats cosaques et de soldats japonais, dans des voitures aux carreaux brisés où le vent fait rage, nos mille zouaves parviennent à se loger. Je trouve place avec leurs officiers, – et bientôt, au milieu du pays funèbre, nous évoquons ensemble des souvenirs de cette Afrique où ils étaient, des nostalgies de Tunis et d’Alger la Blanche…

      Deux heures et demie de route dans la morne plaine. D’abord, ce n’est que de la terre grise comme à Takou; ensuite, cela devient des roseaux, des herbages fripés par la gelée. Et il y a partout d’immenses taches rouges, comme des traînées de sang, dues à la floraison automnale d’une espèce de plante de marais. Sur l’horizon de ce désert, on voit s’agiter des myriades d’oiseaux migrateurs, semblables à des nuées qui s’élèvent, tourbillonnent СКАЧАТЬ