Les derniers jours de Pékin. Pierre Loti
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Название: Les derniers jours de Pékin

Автор: Pierre Loti

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ à tâtons dans l’espace d’une nuit, et, sur la berge, quelques pauvres sacs pleins de terre et de sable: tout ce qu’ils avaient pour barrer le passage aux tortionnaires, qui leur grimaçaient la mort, à six mètres à peine, au-dessus d’un pan de mur.

      Ensuite vient le «cimetière», c’est-à-dire le coin de jardin qu’ils avaient adopté pour y grouper leurs morts, – avant les jours plus affreux où il fallait les enfouir çà ou là, en cachant bien la place, de peur qu’on ne vînt les violer, comme c’est ici l’atroce coutume. Un lamentable petit cimetière, au sol foulé et écrasé dans les combats à bout portant, aux arbustes fracassés, hachés par la mitraille. On y enterrait sous le feu des Chinois, et un vieux prêtre à barbe blanche, – devenu depuis un martyr dont la tête fut traînée dans les ruisseaux, – y disait tranquillement les prières devant les fosses, malgré tout ce qui sifflait dans l’air autour de lui, tout ce qui fouettait et cassait les branches.

      Vers les derniers jours, leur cimetière, tant ils avaient perdu de terrain peu à peu, était devenu la «zone contestée», et ils tremblaient pour leurs morts; les ennemis s’étaient avancés jusqu’à la bordure; on se regardait et on se tuait de tout près, par-dessus le sommeil de ces braves, si hâtivement couchés dans la terre. S’ils avaient franchi ce cimetière, les Chinois, et escaladé le frêle petit retranchement suprême, en sacs de sable, en gravier dans des rideaux cousus, alors, pour tous ceux qui restaient là, c’était l’horrible torture au milieu des musiques et des rires, l’horrible dépeçage, les ongles d’abord arrachés, les pieds tenaillés, les entrailles mises dehors, et la tête ensuite, au bout d’un bâton, promenée par les rues.

      On les attaquait de tous les côtés et par tous les moyens, souvent aux heures les plus imprévues de la nuit. Et c’était presque toujours avec des cris, avec des fracas soudains de trompes et de tam-tams. Autour d’eux, des milliers d’hommes à la fois venaient hurler à la mort, – et il faut avoir entendu des hurlements de Chinois pour imaginer ces voix-là, dont le timbre seul vous glace. Ou bien des gongs assemblés sous les murs leur faisaient un vacarme de grand orage.

      Parfois, d’un trou subitement ouvert dans une maison voisine, sortait sans bruit et s’allongeait, comme une chose de mauvais rêve, une perche de vingt ou trente pieds, avec du feu au bout, de l’étoupe et du pétrole enflammés, et cela venait s’appuyer contre les charpentes de leurs toits, pour sournoisement les incendier. C’est ainsi du reste qu’une nuit furent brûlée les écuries de la légation.

      On les attaquait aussi par en dessous; ils entendaient des coups sourds frappés dans la terre et comprenaient qu’on les minait, que les tortionnaires allaient surgir du sol, ou bien encore les faire sauter. Et il fallait, coûte que coûte, creuser aussi, tenter d’établir des contremines pour conjurer ce péril souterrain. Un jour cependant, vers midi, en deux terribles détonations qui soulevèrent des trombes de plâtras et de poussière, la légation de France sauta, ensevelissant à demi sous ses décombres le lieutenant de vaisseau qui commandait la défense et un groupe de ses marins. – Mais ce ne fut point la fin encore; ils sortirent de cette cendre et de ces pierres qui les couvraient jusqu’aux épaules, ils sortirent excepté deux, deux braves matelots qui ne reparurent plus, et la lutte fut continuée, presque désespérément, dans des conditions toujours plus effroyables.

* * * * *

      Elle restait là quand même, la gentille étrangère, qui aurait si bien pu s’abriter ailleurs, à la légation d’Angleterre par exemple, où s’étaient réfugiés la plupart des ministres avec leurs familles; au moins les balles n’y arrivaient pas, on y était au centre même du quartier défendu par quelques poignées de braves et on s’y sentait en sécurité tant que les barricades tiendraient encore. Mais non, elle restait là, et continuait son rôle admirable, en ce point brûlant qu’était la légation de France, – point qui représentait d’ailleurs la clef, la pierre d’angle de tout le quadrilatère européen, et dont la perte eut amené le désastre général.

      Une fois, ils virent, avec leurs longues-vues, afficher un édit de l’Impératrice, en grandes lettres sur papier rouge, ordonnant de cesser le feu contre les étrangers. (Ce qu’ils ne virent pas, c’est que les hommes chargés de l’affichage étaient écharpés par la foule.) Une sorte d’accalmie, d’armistice s’ensuivit quand même, on les attaqua avec moins de violence.

      Ils voyaient aussi des incendies partout, ils entendaient des fusillades entre Chinois, des canonnades et de longs cris; des quartiers entiers flambaient; on s’entre-tuait autour d’eux dans la ville fermée; des rages y fermentaient comme en un pandémonium, – et on suffoquait à présent, on étouffait à respirer l’odeur des cadavres.

      Des espions venaient parfois leur vendre des renseignements, toujours faux d’ailleurs et contradictoires, sur cette armée de secours, qu’ils attendaient d’heure en heure avec une croissante angoisse. On leur disait: «Elle est ici, elle est là, elle avance.» Ou bien: «Elle a été battue et elle recule.» Et toujours elle persistait à ne point paraître.

      Que faisait donc l’Europe? Est-ce qu’on les abandonnait? Ils continuaient de se détendre, presque sans espérance, si diminués maintenant, et dans un espace si restreint! Ils se sentaient comme enserrés chaque jour davantage par la torture chinoise et l’horrible mort.

      Les choses essentielles commençaient à manquer. Il fallait économiser sur tout, en particulier sur les balles; d’ailleurs, on devenait des sauvages, – et, quand on capturait des Boxers, des incendiaires, au lieu de les fusiller, on leur fracassait le crâne à bout portant avec un revolver.

      Un jour, enfin, leurs oreilles, toujours tendues au bruit des batailles extérieures, perçurent une canonnade continue, sourde et profonde, en dehors de ces grands remparts noirs dont ils apercevaient au loin les créneaux, au-dessus de tout, et qui les enfermaient comme dans un cercle dantesque: on bombardait Pékin!… Ce ne pouvait être que les armées d’Europe, venues à leur secours!

      Cependant une dernière épouvante troublait encore leur joie. Est-ce qu’on n’allait pas tenter contre eux un suprême assaut pour les anéantir avant l’entrée des troupes alliées?

      En effet, on les attaqua furieusement, et cette journée finale, cette veille de la délivrance coûta encore la vie à un de nos officiers, le capitaine Labrousse, qui alla rejoindre le commandant de nos amis autrichiens dans le glorieux petit cimetière de la légation. Mais ils résistèrent… Et, tout à coup, plus personne autour d’eux, plus une tête de Chinois sur les barricades ennemies; le vide et le silence dans leurs abords dévastés: les Boxers étaient en fuite, et les alliés entraient dans la ville!…

* * * * *

      Ce premier soir de mon arrivée à Pékin est triste comme les soirs de la route, mais plus banalement triste, avec plus d’ennui. Les ouvriers viennent de finir les murs de ma chambre; les plâtres frais y répandent leur humidité ruisselante, on y a froid jusqu’aux os, et comme il n’y a rien là dedans, mon serviteur étend par terre mon étroit matelas de la jonque, puis se met en devoir d’organiser une table avec de vieilles caisses. Mes hôtes ont la bonté aussi de me faire monter à la hâte et allumer un poêle à charbon, – et voici que cela achève d’évoquer pour moi un rêve de misère européenne, dans quelque taudis de faubourg… Comment soupçonner que l’on est en Chine, ici, et à Pékin, tout près des enceintes mystérieuses, des palais pleins de merveilles?…

      Quant au ministre de France, que j’ai besoin de voir pour lui faire les communications de l’amiral, j’apprends qu’il est allé, n’ayant plus de toit, demander asile à la légation d’Espagne; de plus, qu’il a la fièvre typhoïde – épidémique à cause de l’eau partout empoisonnée – et que personne en ce moment ne peut lui parler. Mon séjour dans ce gîte mouillé menace de se prolonger plus que je ne pensais. Et mélancoliquement, à travers les vitres que des buées СКАЧАТЬ