De la terre à la lune. Jules Verne
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Название: De la terre à la lune

Автор: Jules Verne

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ aux portes, chacun cherchant gagner les premiers rangs, tous avides de connaître l’importante communication du président Barbicane, se poussant, se bousculant, s’écrasant avec cette liberté d’action particulière aux masses élevées dans les idées du «self government»[8].

      Ce soir-là, un étranger qui se fût trouvé à Baltimore n’eût pas obtenu, même à prix d’or, de pénétrer dans la grande salle; celle-ci était exclusivement réservée aux membres résidants ou correspondants; nul autre n’y pouvait prendre place, et les notables de la cité, les magistrats du conseil des «selectmen»[9] avaient dû se mêler à la foule de leurs administrés, pour saisir au vol les nouvelles de l’intérieur.

      Cependant l’immense «hall» offrait aux regards un curieux spectacle. Ce vaste local était merveilleusement approprié à sa destination. De hautes colonnes formées de canons superposés auxquels d’épais mortiers servaient de base soutenaient les fines armatures de la voûte, véritables dentelles de fonte frappées à l’emporte-pièce. Des panoplies d’espingoles, de tromblons, d’arquebuses, de carabines, de toutes les armes à feu anciennes ou modernes s’écartelaient sur les murs dans un entrelacement pittoresque. Le gaz sortait pleine flamme d’un millier de revolvers groupés en forme de lustres, tandis que des girandoles de pistolets et des candélabres faits de fusils réunis en faisceaux, complétaient ce splendide éclairage. Les modèles de canons, les échantillons de bronze, les mires criblées de coups, les plaques brisées au choc des boulets du Gun-Club, les assortiments de refouloirs et d’écouvillons, les chapelets de bombes, les colliers de projectiles, les guirlandes d’obus, en un mot, tous les outils de l’artilleur surprenaient l’œil par leur étonnante disposition et laissaient à penser que leur véritable destination était plus décorative que meurtrière.

      A la place d’honneur, on voyait, abrité par une splendide vitrine, un morceau de culasse, brisé et tordu sous l’effort de la poudre, précieux débris du canon de J.-T. Maston.

      A l’extrémité de la salle, le président, assisté de quatre secrétaires, occupait une large esplanade. Son siège, élevé sur un affût sculpté, affectait dans son ensemble les formes puissantes d’un mortier de trente-deux pouces; il était braqué sous un angle de quatre-vingt-dix degrés et suspendu à des tourillons, de telle sorte que le président pouvait lui imprimer, comme aux «rocking-chairs»[10], un balancement fort agréable par les grandes chaleurs. Sur le bureau, vaste plaque de tôle supportée par six caronades, on voyait un encrier d’un goût exquis, fait d’un biscaïen délicieusement ciselé, et un timbre détonation qui éclatait, à l’occasion, comme un revolver. Pendant les discussions véhémentes, cette sonnette d’un nouveau genre suffisait à peine à couvrir la voix de cette légion d’artilleurs surexcités.

      Devant le bureau, des banquettes disposées en zigzags, comme les circonvallations d’un retranchement, formaient une succession de bastions et de courtines où prenaient place tous les membres du Gun-Club, et ce soir-là, on peut le dire, «il y avait du monde sur les remparts». On connaissait assez le président pour savoir qu’il n’eût pas dérangé ses collègues sans un motif de la plus haute gravité.

      Impey Barbicane était un homme de quarante ans, calme, froid, austère, d’un esprit éminemment sérieux et concentré; exact comme un chronomètre, d’un tempérament à toute épreuve, d’un caractère inébranlable; peu chevaleresque, aventureux cependant, mais apportant des idées pratiques jusque dans ses entreprises les plus téméraires; l’homme par excellence de la Nouvelle-Angleterre, le Nordiste colonisateur, le descendant de ces Têtes-Rondes si funestes aux Stuarts, et l’implacable ennemi des gentlemen du Sud, ces anciens Cavaliers de la mère patrie. En un mot, un Yankee coulé d’un seul bloc.

      Barbicane avait fait une grande fortune dans le commerce des bois; nommé directeur de l’artillerie pendant la guerre, il se montra fertile en inventions; audacieux dans ses idées, il contribua puissamment aux progrès de cette arme, et donna aux choses expérimentales un incomparable élan.

      C’était un personnage de taille moyenne, ayant, par une rare exception dans le Gun-Club, tous ses membres intacts. Ses traits accentués semblaient tracés à l’équerre et au tire-ligne, et s’il est vrai que, pour deviner les instincts d’un homme, on doive le regarder de profil, Barbicane, vu ainsi, offrait les indices les plus certains de l’énergie, de l’audace et du sang-froid.

      En cet instant, il demeurait immobile dans son fauteuil, muet, absorbé, le regard en dedans, abrité sous son chapeau à haute forme, cylindre de soie noire qui semble vissé sur les crânes américains.

      Ses collègues causaient bruyamment autour de lui sans le distraire; ils s’interrogeaient, ils se lançaient dans le champ des suppositions, ils examinaient leur président et cherchaient, mais en vain, à dégager l’X de son imperturbable physionomie.

      Lorsque huit heures sonnèrent à l’horloge fulminante de la grande salle, Barbicane, comme s’il eût été mû par un ressort, se redressa subitement; il se fit un silence général, et l’orateur, d’un ton un peu emphatique, prit la parole en ces termes:

      «Braves collègues, depuis trop longtemps déjà une paix inféconde est venue plonger les membres du Gun-Club dans un regrettable désœuvrement. Après une période de quelques années, si pleine d’incidents, il a fallu abandonner nos travaux et nous arrêter net sur la route du progrès. Je ne crains pas de le proclamer à haute voix, toute guerre qui nous remettrait les armes à la main serait bien venue…

      – Oui, la guerre! s’écria l’impétueux J.-T. Maston.

      – Écoutez! écoutez! répliqua-t-on de toutes parts.

      – Mais la guerre, dit Barbicane, la guerre est impossible dans les circonstances actuelles, et, quoi que puisse espérer mon honorable interrupteur, de longues années s’écouleront encore avant que nos canons tonnent sur un champ de bataille. Il faut donc en prendre son parti et chercher dans un autre ordre d’idées un aliment à l’activité qui nous dévore!

      L’assemblée sentit que son président allait aborder le point délicat. Elle redoubla d’attention.

      «Depuis quelques mois, mes braves collègues, reprit Barbicane, je me suis demandé si, tout en restant dans notre spécialité, nous ne pourrions pas entreprendre quelque grande expérience digne du XIXe siècle, et si les progrès de la balistique ne nous permettraient pas de la mener à bonne fin. J’ai donc cherché, travaillé, calculé, et de mes études est résultée cette conviction que nous devons réussir dans une entreprise qui paraîtrait impraticable à tout autre pays. Ce projet, longuement élaboré, va faire l’objet de ma communication; il est digne de vous, digne du passé du Gun-Club, et il ne pourra manquer de faire du bruit dans le monde!

      – Beaucoup de bruit? s’écria un artilleur passionné.

      – Beaucoup de bruit dans le vrai sens du mot, répondit Barbicane.

      – N’interrompez pas! répétèrent plusieurs voix.

      – Je vous prie donc, braves collègues, reprit le président, de m’accorder toute votre attention.

      Un frémissement courut dans l’assemblée. Barbicane, ayant d’un geste rapide assuré son chapeau sur sa tête, continua son discours d’une voix calme:

      «Il n’est aucun de vous, braves collègues, qui n’ait vu la Lune, ou tout au moins, qui n’en ait entendu parler. Ne vous étonnez pas si je viens vous entretenir ici de l’astre des nuits. Il nous est peut-être réservé d’être les Colombs de ce СКАЧАТЬ



<p>8</p>

Gouvernement personnel.

<p>9</p>

Administrateurs de la ville élus par la population.

<p>10</p>

Chaises à bascule en usage aux États-Unis.