Название: Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке
Автор: Пьер Луис
Издательство: КАРО
Жанр: Исторические любовные романы
Серия: Littérature classique (Каро)
isbn: 978-5-9925-1514-5
isbn:
– Don Mateo, vous l’aimez donc?
L’Espagnol se passa la main sur le front et murmura:
Écoutez-moi, je vous en conjure. Écoutez-moi. Il n’y a qu’un instant, vous me disiez encore que j’étais un homme d’excellent conseil. Je n’accepte pas ce jugement. Je n’en ai pas besoin, pour vous parler ainsi. J’oublie aussi l’affection que j’ai pour vous, et qui suffirait bien, cependant, à expliquer mon insistance… Oh! non, tout est bien fini. Je ne l’aime ni ne la hais plus. La chose est passée. Tout s’efface…
– Ainsi, je ne vous blesserai pas personnellement si je m’abstiens de suivre vos avis? Je vous ferais volontiers un sacrifice de ce genre; mais je n’ai pas à m’en faire à moi-même… Quelle est votre réponse?
Mateo regarda André; puis, changeant tout à coup l’expression de ses traits il lui dit sur un ton de boutade:
– Monsieur, il ne faut jamais aller au premier rendez-vous que donne une femme.
– Et pourquoi?
– Parce qu’elle n’y vient pas.
André, à qui ce mot rappelait un souvenir particulier, ne put s’empêcher de sourire.
– C’est quelquefois vrai, dit-il.
– Très souvent. Et si, par hasard, elle vous attendait en ce moment, soyez sûr que votre absence ne ferait que déterminer son inclination pour vous.
André réfléchit, et sourit de nouveau.
– Cela veut dire?…
– …Que sans faire aucune personnalité, et quand la jeune femme à laquelle vous vous intéressez se nommerait Lola Vasquez ou Rosario Lucena, je vous conseille de reprendre le fauteuil où vous étiez tout à l’heure et de ne le plus quitter sans raison sérieuse. Nous allons fumer des cigares en buvant des sirops glacés. C’est un mélange qui n’est pas très connu dans les restaurants de Paris, mais qui se fait d’un bout à l’autre de l’Amérique espagnole. Vous me direz tout à l’heure si vous goûtez pleinement la fumée du havane mêlée au sucre frais.»
Un court silence suivit. Tous deux s’étaient assis de chaque côté d’une petite table qui portait des puros et des cendriers ronds.
– Et maintenant, de quoi parlerons-nous? interrogea don Mateo.
André fit un geste qui signifiait:
Vous le savez bien.
– Je commence donc», dit Mateo d’une voix plus basse; et la feinte gaieté qu’il avait découverte un moment s’éteignit sous un nuage durable.
IV. Apparition d’une petite moricaude dans un paysage polaire
Il y a trois ans, monsieur, je n’avais pas encore les cheveux gris que vous me voyez. J’avais trente-sept ans; je m’en croyais vingt-deux; à aucun instant de ma vie je n’avais senti passer ma jeunesse et personne encore ne m’avait fait comprendre qu’elle approchait de sa fin.
On vous a dit que j’étais coureur: c’est faux. Je respectais trop l’amour pour fréquenter les arrière-boutiques, et je n’ai presque jamais possédé une femme que je n’eusse aimée passionnément. Si je vous nommais celles-là, vous seriez surpris de leur petit nombre. Dernièrement encore, en faisant de mémoire le compte facile, je songeais que je n’avais jamais eu de maîtresse blonde. J’aurai toujours ignoré ces pâles objets du désir.
Ce qui est vrai, c’est que l’amour n’a pas été pour moi une distraction ou un plaisir, un passe-temps comme pour quelques-uns. Il a été ma vie même. Si je supprimais de mon souvenir les pensées et les actions qui ont eu la femme pour but, il n’y resterait plus rien, que le vide.
Ceci dit, je puis maintenant vous conter ce que je sais de Concha Perez.
C’était donc il y a trois ans, trois ans et demi, en hiver. Je revenais de France, un 26 décembre, par un froid terrible, dans l’express qui passe vers midi le pont de la Bidassoa. La neige, déjà fort épaisse sur Biarritz et Saint-Sébastien, rendait presque impraticable la traversée du Guipuzcoa. Le train s’arrêta deux heures à Zumarraga, pendant que des ouvriers déblayaient hâtivement la voie; puis il repartit pour stopper une seconde fois, en pleine montagne, et trois heures furent nécessaires à réparer le désastre d’une avalanche. Toute la nuit, ceci recommença. Les vitres du wagon lourdement feutrées de neige assourdissaient le bruit de la marche et nous passions au milieu d’un silence à qui le danger donnait un caractère de grandeur.
Le lendemain matin, arrêt devant Avila. Nous avions huit heures de retard, et depuis un jour entier nous étions à jeun. Je demande à un employé si l’on peut descendre; il me crie:
– Quatre jours d’arrêt. Les trains ne passent plus.
Connaissez-vous Avila? C’est là qu’il faut envoyer les gens qui croient morte la vieille Espagne. Je fis porter mes malles dans une fonda où don Quichotte aurait pu loger; des pantalons de peau à franges étaient assis sur des fontaines; et le soir, quand des cris dans les rues nous apprirent que le train repartait tout à coup, la diligence à mules noires qui nous traîna au galop dans la neige en manquant vingt fois de culbuter était certainement la même qui mena jadis de Burgos à l’Escorial les sujets du roi Philippe Quint.
Ce que j’achève de vous dire en quelques minutes, monsieur, cela dura quarante heures.
Aussi, quand, vers huit heures du soir, en pleine nuit d’hiver et me privant de dîner pour la seconde fois, je repris mon coin à l’arrière, alors je me sentis envahi par un ennui démesuré. Passer une troisième nuit en wagon avec les quatre Anglais endormis qui me suivaient depuis Paris, c’était au-dessus de mon courage. Je laissai mon sac dans le filet, et, emportant ma couverture, je pris place comme je pus dans un compartiment d’une classe inférieure qui était plein de femmes espagnoles.
Un compartiment, je devrais dire quatre, car tous communiquaient à hauteur d’appui. Il y avait là des femmes du peuple, quelques marins, deux religieuses, trois étudiants, une gitane et un garde civil. C’était, comme vous le voyez, un public mêlé. Tous ces gens parlaient à la fois et sur le ton le plus aigu. Je n’étais pas assis depuis un quart d’heure et déjà je connaissais la vie de tous mes voisins. Certaines personnes se moquent des gens qui se livrent ainsi. Pour moi, je n’observe jamais sans pitié le besoin qu’ont les âmes simples de crier leurs peines dans le désert.
Tout à coup le train s’arrêta. Nous passions la Sierra de Guadarrama, à quatorze cents mètres d’altitude. Une nouvelle avalanche venait de barrer la route. Le train essaya de reculer: un autre éboulement lui barrait le retour. Et la neige ne cessait pas d’ensevelir lentement les wagons.
C’est un récit de Norvège, que je vous conte là, n’est-il pas vrai? Si nous avions été en pays protestant, les gens se seraient mis à genoux en recommandant leur âme à Dieu; mais, hors les journées de tonnerre, nos Espagnols ne craignent pas les vengeances soudaines du ciel. Quand ils apprirent que le convoi était décidément bloqué, ils s’adressèrent à la gitane, et lui demandèrent de danser.
Elle dansa. СКАЧАТЬ