Название: Résurrection (Roman)
Автор: León Tolstoi
Издательство: Bookwire
Жанр: Философия
isbn: 4064066373573
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Cette messe de nuit devait rester toujours, pour Nekhludov, un des plus doux et des plus forts souvenirs de sa vie.
Quand, après une longue course dans les ténèbres qu’éclairait seulement, par places, la blancheur de la neige, il pénétra enfin dans la cour de l’église, le service était déjà commencé.
Les paysans, reconnaissant dans le cavalier le neveu de Marie Ivanovna, le conduisirent dans un endroit sec ou il pût descendre, emmenèrent son cheval, et lui ouvrirent la porte de l’église. L’église était déjà pleine de monde.
Sur la droite se tenaient les hommes. Les vieux, en vestes qu’eux-mêmes avaient cousues, les jambes entourées de bandes de toile blanche; les jeunes, en vestes de drap neuves, une écharpe claire autour des reins, de grandes bottes aux pieds. Sur la gauche se tenaient les femmes, la tête couverte de fichus de soie, vêtues de camisoles de velours, avec des manches rouge vif et des jupes bleues, vertes, rouges, les pieds chaussés de souliers ferrés. Les plus vieilles s’étaient placées dans le fond, modestement, avec leurs fichus blancs et leurs vestes grises. Et entre elles et les femmes plus jeunes s’étaient rangés les enfants, en grande toilette.
Les hommes faisaient des signes de croix; les femmes, surtout les vieilles, les yeux obstinément fixés sur l’icône entourée de cierges, appuyaient tour à tour, d’une pression vigoureuse, leurs doigts repliés sur leur front, leurs deux épaules, et leur ventre, tandis que leurs lèvres ne cessaient de murmurer des prières. Les enfants, imitant les grandes personnes, priaient avec zèle, surtout quand ils sentaient les regards de leurs parents arrêtés sur eux. L’iconostase d’or étincelait de lumière, ayant autour d’elle de grands cierges enveloppés d’or. Le candélabre, lui aussi, était tout garni de cierges. Et des deux chœurs s’élevaient les chants joyeux des chanteurs de bonne volonté; le mugissement des basses s’alliait au soprano aigu des enfants.
Nekhludov s’avança dans l’église. Au milieu se tenait l’aristocratie. Il y avait là un propriétaire avec sa femme et son fils, ce dernier habillé en matelot; il y avait le Stanovoï, le télégraphiste, un marchand chaussé de bottes à hautes tiges, le staroste avec sa médaille, et, à droite de l’ambon, derrière la femme du propriétaire, se tenait Matrena Pavlovna, vêtue d’une robe de couleurs changeantes, les épaules recouvertes d’un châle rayé. Katucha était près d’elle. Elle était en robe blanche avec un corsage plissé. Une ceinture bleue entourait sa taille, et Nekhludov vit qu’elle avait mis un nœud rouge dans ses cheveux noirs.
Tout avait un air de fête; tout était solennel, gai et beau: et le prêtre avec sa chasuble d’argent traversée d’une croix d’or, et le diacre et le sacristain avec leurs étoles brodées d’or et d’argent, et les chants joyeux des chantres amateurs, et la façon dont, à tout instant, le prêtre levait un cierge pour bénir l’assistance, et la façon dont tout le monde répétait, d’instant en instant: «Christ est ressuscité! Christ est ressuscite!» Tout cela était beau, mais plus belle que tout cela était Katucha, avec sa robe blanche et sa ceinture bleue, et son nœud rouge dans ses cheveux noirs.
Nekhludov sentait que, sans se retourner, elle le voyait. Il passa près d’elle pour aller vers l’autel. Il n’avait rien à lui dire, mais il imagina pourtant de lui dire, en passant près d’elle:
— Ma tante vous prévient qu’on ne soupera qu’après la seconde messe.
Le jeune sang de Katucha, comme toujours quand elle apercevait Nekhludov, se répandit sur son visage, et ses yeux noirs s’arrêtèrent sur lui, souriants et heureux.
— Oui, je sais, — répondit-elle.
Dans cet instant, le sacristain, qui traversait la foule pour faire la quête, passa près de Katucha et, sans la voir, la frôla de son étole. Il avait voulu, par déférence, s’écarter devant Nekhludov, et c’est ainsi qu’il avait frôlé Katucha. Mais Nekhludov fut stupéfait de voir que ce sacristain ne comprenait pas que tout ce qui se faisait dans l’église, tout ce qui se faisait dans le monde, ne se faisait que pour Katucha, et qu’elle seule ne pouvait pas rester inaperçue, puisqu’elle était le centre de l’univers entier. C’est pour elle que brillait de l’or de l’iconostase, pour elle que brûlaient les cierges du candélabre; c’est pour elle que s’élevaient tous ces chants joyeux: «La Pâque du Seigneur! Hommes, réjouissez-vous!» Et tout ce qu’il y avait de bon et de beau sur la terre n’était que pour elle. Et Katucha, sans doute, devait comprendre que tout cela était pour elle. C’est ce que sentait Nekhludov quand il voyait les formes gracieuses de la jeune fille, dessinées par la robe blanche, et ce visage plein d’une joie recueillie, dont l’expression lui disait que tout ce qui chantait en lui devait chanter aussi en elle.
Dans l’intervalle qui séparait la première messe de la seconde, Nekhludov sortit de l’église. La foule s’écartait devant lui et le saluait. Les uns le reconnaissaient, d’autres demandaient: «Qui est-ce?» Sur le parvis il s’arrêta. Les mendiants l’entourèrent: il leur distribua toute la petite monnaie qu’il put trouver dans ses poches, et il se mit à descendre l’escalier de la cour.
Déjà la nuit était devenue plus claire, mais le soleil ne paraissait pas encore. La foule, sortant de l’église, envahissait le parvis et la cour; mais Katucha ne se montrait toujours pas, et Nekhludov revint en arrière, pour l’attendre.
La foule continuait à sortir; les dalles résonnaient sous les clous des chaussures. Un vieillard à la tête branlante, l’ancien cuisinier de Marie Ivanovna, arrêta Nekhludov, l’embrassa trois fois; puis sa femme, une petite vieille toute ridée, lui tendit un œuf peint en jaune safran. Derrière eux s’approcha en souriant un jeune et musculeux moujik, vêtu d’une veste neuve avec une ceinture verte.
— Christ est ressuscité! — dit-il avec un bon sourire dans ses yeux; et, passant ses bras au cou de Nekhludov, il le baisa trois fois en pleine bouche, lui chatouillant le visage de sa petite barbe frisée, en même temps qu’il l’imprégnait de son odeur de moujik.
Pendant que Nekhludov, après s’être laissé embrasser par le moujik, recevait de lui un œuf peint en couleur cannelle, il vit sortir de l’église la robe changeante de Matrena Pavlovna, et puis la chère petite tête noire avec le nœud rouge.
Katucha l’aperçut tout de suite, à travers la foule qui les séparait; et il vit que, de nouveau, elle rougissait.
Arrivée sur le parvis, elle s’arrêta pour donner des sous aux mendiants. Un des mendiants, un malheureux qui avait une grande plaie rouge à la place du nez, s’approcha d’elle. Elle prit quelque chose dans sa robe; puis, s’avançant vers lui, sans aucun signe de répulsion, trois fois elle l’embrassa. Et tandis qu’elle embrassait le mendiant, ses yeux rencontrèrent ceux de Nekhludov. C’était comme s’ils lui eussent demandé: «Est-ce bien ce que je fais là? — Mais oui, bien-aimée, tout est bien, tout est beau, je t’aime!»
Les deux femmes descendirent les marches, et Nekhludov alla au-devant d’elles. Il n’avait pas l’intention de leur souhaiter la Pâque, mais il ne pouvait s’empêcher d’approcher de Katucha.
— Christ est ressuscité! — dit Matrena Pavlovna avec un signe de tête, et un sourire, et une voix qui donnaient à entendre que, ce jour-là, tous étaient égaux; après quoi, s’étant essuyé la bouche avec son mouchoir, elle la tendit au jeune homme.
— En vérité, il est ressuscité! — répondit Nekhludov, et il l’embrassa.
Il jeta un regard sur Katucha; elle rougit de nouveau, et s’avança tout contre lui.
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