Souvenirs d'égotisme autobiographie et lettres inédites publiées par Casimir Stryienski. Stendhal
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СКАЧАТЬ Beyle n’en resta pas moins, aux yeux de la société de la rue d’Anjou, l’amant de la cantatrice.

      L’opinion qu’on avait de Stendhal était toujours extrême—il a eu de vrais amis et de vrais ennemis; les amis étaient ceux qui le connaissaient—les ennemis ceux qui le connaissaient mal. Sainte-Beuve, qui ne peut être accusé de tendresse pour Beyle, nous donne là-dessus un précieux témoignage. «Que cet homme, qui passait pour méchant auprès de ceux qui le connaissaient peu, était aimé de ses amis! Que je sais de lui des traits délicats et d’une âme toute libérale![17]» Et les mêmes amis, les mêmes ennemis existent, encore aujourd’hui, qu’on peut diviser en catégories analogues.

      Beyle raconte, dans la Vie de Henri Brulard, que chez certaines personnes, il ne pouvait plus dire qu’il avait vu passer un cabriolet jaune dans la rue sans avoir le malheur d’offenser mortellement les hypocrites et même les niais. Il eut à subir de réels affronts: madame de Lamartine, à Florence, évita de le recevoir[18]. Cette réputation, exagérée à plaisir, lui valut le surnom de Méphistophélès, que lui donnèrent quelques-uns de ses amis. «Au fond, dit-il, je surprenais ou scandalisais toutes mes connaissances; j’étais un monstre ou un dieu.»

      Et ces jugements sur l’homme ressemblaient fort aux jugements qu’on portait sur le littérateur.

      Ainsi, pour bien des gens, Beyle n’était qu’un ignorant. Il n’avait pas, il est vrai, une science très sûre, mais au moins il avait beaucoup d’esprit et incontestablement beaucoup d’idées personnelles, quoique discutables parfois. Il n’apprenait jamais aux autres que ce qu’il avait senti ou éprouvé lui-même—est-ce là pourtant un mérite médiocre? Au sujet de cette réputation d’ignorance il raconte une jolie anecdote: «Un des étonnements du comte Daru était que je pusse écrire une page qui fît plaisir à quelqu’un. Un jour, il acheta de Delaunay, qui me l’a dit, un petit ouvrage de moi qui, à cause de l’épuisement de l’édition, se vendait quarante francs. Son étonnement fut à mourir de rire, dit le libraire.

      —«Comment! quarante francs!

      —«Oui, M. le comte, et par grâce; et vous ferez plaisir au marchand en ne le prenant pas à ce prix.

      —«Est-il possible! disait l’Académicien en levant les yeux au ciel: Cet enfant, ignorant comme une carpe!

      «Il était parfaitement de bonne foi. Les gens des antipodes, regardant la lune lorsqu’elle n’a qu’un petit croissant pour nous, se disent: Quelle admirable clarté! la lune est presque pleine! M. le comte Daru, membre de l’Académie française, associé de l’Académie des sciences, etc., etc., et moi nous regardions le cœur de l’homme, la nature, etc., de côtés opposés.»

      Et par ce petit récit, ne pouvons-nous pas, en même temps, nous faire une idée de la conversation de Beyle? N’est-ce pas là un charmant spécimen de sa façon ingénieuse d’expliquer les choses, ce qui pour lui est presque toujours s’expliquer soi-même.

      C’est dans cet égoïsme psychologique qu’il excelle, et nous ne lui en ferons pas un reproche.

      Un de ses amis nous dit, dans une notice peu connue: «Jamais il ne sut ce que c’était que l’esprit préparé. Il inventait en causant tout ce qu’il disait... il trouvait à chaque instant de ces traits imprévus qui ne peuvent être le résultat de l’étude[19].»

      L’anecdote sur le comte Daru ne répond-elle pas à ce joli signalement que nous donne Arnould Frémy?

      Beyle n’avait pas porte ouverte seulement chez M. de Tracy—Mme Cabanis ou la Pasta, il était encore reçu chez M. Cuvier, chez Mme Ancelot, chez le baron Gérard, chez Mme de Castellane, où il rencontre Thiers qu’il trouve trop effronté, bavard, Mignet, sans esprit, Béranger qu’il admire pour son caractère, Aubernon et Beugnot. Mais il sera plus intéressant de parler des dimanches de Delécluze, le critique d’art des Débats, où Stendhal se montre sous un jour nouveau.

       Table des matières

      Chez Etienne Delécluze, Beyle devait rencontrer la société qui lui convenait. Dans le salon de la rue d’Anjou, il était glacé par la froideur de M. de Tracy, chez Mme Cabanis, gêné par le ton bourgeois; et enfin, chez la Pasta il se laissait aller au «bonheur du silence»;—il lui suffisait d’écouter les autres et d’entendre bourdonner à ses oreilles ces syllabes milanaises qui l’attendrissaient.

      Aux réunions de Delécluze, il trouva enfin la liberté d’allure et le franc parler dont il avait besoin pour être tout à fait lui-même.

      Ces réceptions du dimanche, composées d’hommes exclusivement, étaient fort suivies et très brillantes. Nous le savons non seulement par Beyle, mais par Delécluze qui, dans ses Souvenirs de soixante années, nomme tous ses amis—et la seule liste de ces personnes prouve combien il dut se dépenser d’esprit dans le modeste appartement du journaliste.

      On y voyait J.-J. Ampère, le critique en voyage, comme il s’est intitulé dans quelques-uns de ses livres où il initiait les français aux littératures étrangères; Albert Stapfer, l’élève de Guizot; Sautelet, cet intelligent libraire-éditeur, qui eut une fin tragique à laquelle Mérimée fait allusion dans sa brochure sur Stendhal; Paul-Louis Courier, dont les conseils encouragèrent Beyle à publier Racine et Shakespeare; le baron de Mareste l’homme du monde de ce cénacle de gens de lettres, où il avait un rôle charmant: écouter et comprendre; Adrien de Jussieu, le silencieux botaniste qui était la galerie et disait en prenant congé du maître de la maison: «Ils ont été bien amusants aujourd’hui» ou «ça n’a pas été aussi amusant que dimanche dernier.» Et enfin, the last and not the least, Prosper Mérimée, que Beyle avait rencontré, en 1821, chez Joseph Lingay, le professeur de rhétorique du futur auteur de Colomba. La première impression de Stendhal ne fut pas très favorable. «Pauvre jeune homme en redingote grise et si laid avec son nez retroussé» dit-il de Mérimée. Et il ajoute: «ce jeune homme avait quelque chose d’effronté et d’extrêmement déplaisant, ses yeux petits et sans expression avaient un air toujours le même et cet air était méchant. Telle fut la première vue du meilleur de mes amis actuels. Je ne suis pas trop sûr de son cœur, mais je suis sûr de ses talents.»

      «Je ne sais, dit Stendhal, qui me mena chez M. de L’Etang—(c’est le pseudonyme transparent qu’il donne à Delécluze).—Il s’était fait donner un exemplaire de l’Histoire de la Peinture en Italie, sous prétexte d’un compte-rendu dans le Lycée—un de ces journaux éphémères qu’avait créé à Paris le succès de l’Edinburgh Review.

      «Il désira me connaître, on me mena donc chez M. de. L’Etang, un dimanche à deux heures. C’est à cette heure incommode qu’il recevait. Il tenait donc académie au sixième étage d’une maison qui lui appartenait à lui et à ses sœurs, rue Gaillon.» Beyle se trompe, il ne faut jamais trop se fier à lui quand il s’agit de «descriptions matérielles,»—la maison de Delécluze était rue de Chabanais, au coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs et l’appartement au quatrième. Mais continuons: «De ses petites fenêtres, on ne voyait qu’une forêt de cheminées en plâtre noirâtre. C’est pour moi une des vues les plus laides, mais les quatre petites chambres qu’habitait M. de L’Etang étaient ornées de gravures et d’objets d’art curieux et agréables. Il y avait un superbe portrait du cardinal de Richelieu que je regardais souvent. A côté était la grosse figure lourde, pesante, niaise de Racine. C’était avant d’être aussi gras que ce grand poète СКАЧАТЬ