Название: Histoire de la peinture en Italie
Автор: Stendhal
Издательство: Bookwire
Жанр: Документальная литература
isbn: 4064066079215
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Florence, république sans constitution, mais où l'horreur de la tyrannie enflammait tous les cœurs, avait cette liberté orageuse, mère des grands caractères. Le gouvernement représentatif n'étant pas encore inventé, ses plus grands citoyens ne purent trouver la liberté et fondre les factions. Sans cesse il fallait courir aux armes contre les nobles; mais c'est l'avilissement, et non le danger, qui tue le génie dans un peuple.
Côme de Médicis, l'un des plus riches négociants de la ville, né en 1389, peu après les premiers restaurateurs des arts, se fit aimer comme son père[26], en protégeant le peuple contre les nobles. Ceux-ci s'emparèrent de lui, n'eurent pas le caractère de le tuer, et l'exilèrent. Il revint, et à son tour les exila.
Par la terreur et la consternation publique[27], au moyen d'une police inexorable, mais toutefois en ne faisant tomber que peu de têtes[28], il maintint la supériorité de sa faction, et fut roi dans Florence. Suivant le principe de ce gouvernement, il songea d'abord à amuser ses sujets, et à leur rendre ennuyeuse la chose publique. Ne voulant rien mettre au hasard, il ne prit aucun titre. Des richesses égales à celles des plus grands rois furent employées d'abord à corrompre les citoyens[29], ensuite à protéger les arts naissants, à rassembler des manuscrits, à recueillir les savants grecs que les Turcs chassaient de Constantinople (1453).
Côme, le père de la patrie, mourut en 1464, car tel est son nom dans l'histoire, qui s'empare indifféremment de tous les moyens de distinguer les gens. Les badauds en concluent qu'il fut adorable. Le bonheur des Médicis est d'avoir trouvé après eux un préjugé ami. Le bon public, qui croit les Robertson, les Roscoe, et autres gens qui ont leur fortune à faire, a vu, dans Côme un Washington, un usurpateur tout sucre et tout miel, je ne sais quelle espèce de personnage moralement impossible. Mais il y a erreur. Il faut savoir que le patelinage jésuitique ne fut trouvé qu'un siècle plus tard. Côme de Médicis, au lieu d'affecter la sensibilité des princes modernes, répondit tout naturellement à un citoyen qui lui représentait qu'il dépeuplait la ville: «J'aime mieux la dépeupler que la perdre[30].»
Son fils Pierre, qui eut l'insolence d'un roi, sans l'être tout à fait, se fit bien vite chasser.
Son petit-fils, Laurent le Magnifique, fut à la fois un grand prince, un homme heureux et un homme aimable. Il régna plutôt à force de finesse qu'en abaissant trop le caractère national; il avait horreur, comme homme d'esprit, des plats courtisans, qu'il aurait dû récompenser comme monarque. Négociant immensément riche, comme son aïeul, passant sa vie avec les gens les plus remarquables de son siècle, les Politien, les Calcondile, les Marcille, les Lascaris, il fut inventeur en politique. La balance des pouvoirs est de lui; il assura autant que possible l'indépendance des petits États d'Italie[31]. On est allé jusqu'à dire que, s'il ne fût pas mort à quarante-deux ans, Charles VIII n'eût jamais passé les Alpes.
Il aima le jeune Michel-Ange, qu'il traita comme un fils; souvent il le faisait appeler pour jouir de son enthousiasme, et lui voir admirer les médailles et les antiquités qu'il rassemblait avec passion. Côme avait protégé les arts sans s'y connaître; Laurent, s'il n'eût été le plus grand prince de son temps, se serait trouvé l'un des premiers poëtes; il eut sa récompense: le sort fit naître ou se développer sous ses yeux les artistes sublimes qui ont illustré son pays, Léonard de Vinci, André del Sarto, Fra Bartolomeo, Daniel de Volterre[32].
Il régnait directement sur la Toscane et sur le reste de l'Italie par l'admiration qu'il inspirait aux princes et aux peuples. Bientôt après, son fils Léon fut le maître d'un autre grand État. L'imagination peut s'amuser à suivre le roman des beaux-arts, et se demander jusqu'où ils seraient allés, si Laurent eût vécu les années de son grand-père, et s'il eût vu son fils Léon X atteindre l'âge ordinaire des papes. La mort prématurée de Raphaël eût peut-être été réparée. Peut-être le Corrége se serait vu surpassé par ses élèves. Il faut des milliers de siècles avant de ramener une telle chance.
VENISE.
Tandis que les rives de l'Arno voyaient renaître les trois arts du dessin, la peinture seule renaissait à Venise.
Ces deux événements ne s'entr'aidèrent point; ils auraient eu lieu l'un sans l'autre.
Venise aussi était riche et puissante; mais son gouvernement, aristocratie sévère, était bien éloigné de l'orageuse démocratie des Florentins. De temps à autre le peuple voyait avec effroi tomber la tête de quelque noble; mais jamais il ne s'avisa de conspirer pour la liberté. Ce gouvernement, chef-d'œuvre de politique et de balance des pouvoirs, si l'on ne voit que les nobles par qui et pour qui il avait été fait, ne fut envers le reste du peuple qu'une tyrannie soupçonneuse et jalouse, qui, tremblant toujours devant ses sujets, encourageait parmi eux le commerce, les arts et la volupté. Un seul fait montre la richesse de l'Italie et la pauvreté de l'Europe[33]. Quand tous les souverains réunis par la ligue de Cambrai cherchèrent à détruire les Vénitiens, le roi de France empruntait à quarante pour cent, tandis que Venise, à deux doigts de sa perte, trouva tout l'argent dont elle eut besoin au modique intérêt de cinq pour cent.
Ce fut dans toute la force de cette aristocratie qui faisait des conquêtes, et par conséquent souffrait encore quelque énergie, que les Titien, les Giorgion, les Paul Véronèse, naquirent dans les États de terre ferme de la république. Il semble qu'à Venise la religion, traitée en rivale et non pas en complice par la tyrannie, ait eu moins de part qu'ailleurs au perfectionnement de la peinture. Les tableaux les plus nombreux qu'André del Sarto, Léonard de Vinci et Raphaël nous aient laissés, sont des madones. La plupart des tableaux des Giorgion et des Titien représentent de belles femmes nues. Il était de mode, parmi les nobles Vénitiens, de faire peindre leurs maîtresses déguisées en Vénus de Médicis.
ROME.
La peinture, née au sein de deux républiques opulentes, au milieu des pompes de la religion, et d'une extrême liberté de mœurs, fut appelée aux bords du Tibre par des souverains qui, parvenant tard au trône, n'y siégeant qu'un instant, et ne laissant pas de famille, ont en général la passion d'élever dans Rome quelque monument qui y conserve leur mémoire. Les plus grands d'entre eux appelèrent à leur cour le Bramante, Michel-Ange et Raphaël. En entrant dans ces palais immenses de Monte-Cavallo et du Vatican, le voyageur est étonné de trouver sur le moindre banc de bois le nom et les armes du pape qui l'a fait faire[34]. Au milieu des pompes de la grandeur, la misère de l'humanité montre tout à coup sa main décharnée. Ces souverains ont horreur de l'oubli profond où ils vont tomber en quittant le trône et la vie.
Leur gouvernement, que nous voyons de nos jours un despotisme doux et timide, fut une monarchie conquérante dans les temps brillants de la peinture, sous Alexandre VI, Jules II et Léon X.
Alexandre réussit à humilier les grandes familles de Rome. Jusqu'à lui, СКАЧАТЬ