Thaïs. Anatole France
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Название: Thaïs

Автор: Anatole France

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066076375

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СКАЧАТЬ d'elles, grande, blanche, les yeux clos, une bandelette au front, un sceptre à la main, chantait; sa voix remplissait d'harmonie le stérile rivage; elle disait les dieux et les héros. De petits diables verts lui perçaient les lèvres et la gorge avec des fers rouges. Et l'ombre d'Homère chantait encore. Non loin, le vieil Anaxagore, chauve et chenu, traçait au compas des figures sur la poussière. Un démon lui versait de l'huile bouillante dans l'oreille sans pouvoir interrompre la méditation du sage. Et le moine découvrit une foule de personnes qui, sur la sombre rive, le long du fleuve ardent, lisaient ou méditaient avec tranquillité, ou conversaient en se promenant, comme des maîtres et des disciples, à l'ombre des platanes de l'Académie. Seul, le vieillard Timoclès se tenait à l'écart et secouait la tête comme un homme qui nie. Un ange de l'abîme agitait une torche sous ses yeux et Timoclès ne voulait voir ni l'ange ni la torche.

      Muet de surprise à ce spectacle, Paphnuce se tourna vers la bête. Elle avait disparu, et le moine vit à la place du Sphinx une femme voilée, qui lui dit:

      —Regarde et comprends: Tel est l'entêtement de ces infidèles, qu'ils demeurent dans l'enfer victimes des illusions qui les séduisaient sur la terre. La mort ne les a pas désabusés, car il est bien clair qu'il ne suffit pas de mourir pour voir Dieu. Ceux-là qui ignoraient la vérité parmi les hommes, l'ignoreront toujours. Les démons qui s'acharnent autour de ces âmes, qui sont-ils, sinon les formes de la justice divine? C'est pourquoi ces âmes ne la voient ni ne la sentent. Étrangères à toute vérité, elles ne connaissent point leur propre condamnation, et Dieu même ne peut les contraindre à souffrir.

      —Dieu peut tout, dit l'abbé d'Antinoé.

      —Il ne peut l'absurde, répondit la femme voilée. Pour les punir, il faudrait les éclairer et s'ils possédaient la vérité ils seraient semblables aux élus.

      Cependant Paphnuce, plein d'inquiétude et d'horreur, se penchait de nouveau sur le gouffre. Il venait de voir l'ombre de Nicias qui souriait, le front ceint de fleurs, sous des myrtes en cendre. Près de lui Aspasie de Milet, élégamment serrée dans son manteau de laine, semblait parler tout ensemble d'amour et de philosophie, tant l'expression de son visage était à la fois douce et noble. La pluie de feu qui tombait sur eux leur était une rosée rafraîchissante, et leurs pieds foulaient, comme une herbe fine, le sol embrasé. A cette vue, Paphnuce fut saisi de fureur.

      —Frappe, mon Dieu, s'écria-t-il, frappe! c'est Nicias! Qu'il pleure! qu'il gémisse! qu'il grince des dents!… Il a péché avec Thaïs!…

      Et Paphnuce se réveilla dans les bras d'un marin robuste comme Hercule qui le tirait sur le sable en criant:

      —Paix! paix! l'ami. Par Protée, vieux pasteur de phoques! tu dors avec agitation. Si je ne t'avais retenu, tu tombais dans l'Eunostos. Aussi vrai que ma mère vendait des poissons salés, je t'ai sauvé la vie.

      —J'en remercie Dieu, répondit Paphnuce.

      Et, s'étant mis debout, il marcha droit devant lui, méditant sur la vision qui avait traversé son sommeil.

      —Cette vision, se dit-il, est manifestement mauvaise; elle offense la bonté divine, en représentant l'enfer comme dénué de réalité. Sans doute elle vient du diable.

      Il raisonnait ainsi parce qu'il savait discerner les songes que Dieu envoie de ceux qui sont produits par les mauvais anges. Un tel discernement est utile au solitaire qui vit sans cesse entouré d'apparitions; car en fuyant les hommes, on est sûr de rencontrer les esprits. Les déserts sont peuplés de fantômes. Quand les pèlerins approchaient du château en ruines où s'était retiré le saint ermite Antoine, ils entendaient des clameurs comme il s'en élève aux carrefours des villes, dans les nuits de fête. Et ces clameurs étaient poussées par les diables qui tentaient ce saint homme.

      Paphnuce se rappela ce mémorable exemple. Il se rappela saint Jean d'Égypte que, pendant soixante ans, le diable voulut séduire par des prestiges. Mais Jean déjouait les ruses de l'enfer. Un jour pourtant le démon, ayant pris le visage d'un homme, entra dans la grotte du vénérable Jean et lui dit: «Jean, tu prolongeras ton jeûne jusqu'à demain soir.» Et Jean, croyant entendre un ange, obéit à la voix du démon, et jeûna le lendemain, jusqu'à l'heure de vêpres. C'est la seule victoire que le prince des Ténèbres ait jamais remportée sur saint Jean l'Égyptien, et cette victoire est petite. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si Paphnuce reconnut tout de suite la fausseté de la vision qu'il avait eue pendant son sommeil.

      Tandis qu'il reprochait doucement à Dieu de l'avoir abandonné au pouvoir des démons, il se sentit poussé et entraîné par une foule d'hommes qui couraient tous dans le même sens. Comme il avait perdu l'habitude de marcher par les villes, il était ballotté d'un passant à un autre, ainsi qu'une masse inerte; et, s'étant embarrassé dans les plis de sa tunique, il pensa tomber plusieurs fois. Désireux de savoir où allaient tous ces hommes, il demanda à l'un d'eux la cause de cet empressement.

      —Étranger, ne sais-tu pas, lui répondit celui-ci, que les jeux vont commencer et que Thaïs paraîtra sur la scène? Tous ces citoyens vont au théâtre, et j'y vais comme eux. Te plairait-il de m'y accompagner?

      Découvrant tout à coup qu'il était convenable à son dessein de voir Thaïs dans les jeux, Paphnuce suivit l'étranger. Déjà le théâtre dressait devant eux son portique orné de masques éclatants, et sa vaste muraille ronde, peuplée d'innombrables statues. En suivant la foule, ils s'engagèrent dans un étroit corridor au bout duquel s'étendait l'amphithéâtre éblouissant de lumière. Ils prirent leur place sur un des rangs de gradins qui descendaient en escalier vers la scène, vide encore d'acteurs, mais décorée magnifiquement. La vue n'en était point cachée par un rideau, et l'on y remarquait un tertre semblable à ceux que les anciens peuples dédiaient aux ombres des héros. Ce tertre s'élevait au milieu d'un camp. Des faisceaux de lances étaient formés devant les tentes et des boucliers d'or pendaient à des mâts, parmi des rameaux de laurier et des couronnes de chêne. Là, tout était silence et sommeil. Mais un bourdonnement, semblable au bruit que font les abeilles dans la ruche, emplissait l'hémicycle chargé de spectateurs. Tous les visages, rougis par le reflet du voile de pourpre qui les couvrait de ses long frissons, se tournaient, avec une expression d'attente curieuse, vers ce grand espace silencieux, rempli par un tombeau et des tentes. Les femmes riaient en mangeant des citrons, et les familiers des jeux s'interpellaient gaiement, d'un gradin à l'autre.

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