Название: Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)
Автор: Морис Леблан
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066308377
isbn:
La conversation fut longue. Ils sortirent ensemble, et tous les trois passèrent furtivement par les bureaux de la Maison de Ville. À sept heures, Lupin dînait et repartait. À dix heures, il arrivait au château de Bruggen et s’enquérait de Geneviève, afin de pénétrer avec elle dans la chambre de Mme Kesselbach.
On lui répondit que Mlle Ernemont avait été rappelée à Paris par une dépêche de sa grand-mère.
– Soit, dit-il, mais Mme Kesselbach est-elle visible ?
– Madame s’est retirée aussitôt après le dîner. Elle doit dormir.
– Non, j’ai aperçu de la lumière dans son boudoir. Elle me recevra.
À peine d’ailleurs attendit-il la réponse de Mme Kesselbach. Il s’introduisit dans le boudoir presque à la suite de la servante, congédia celle-ci, et dit à Dolorès :
– J’ai à vous parler, madame, c’est urgent… Excusez-moi… J’avoue que ma démarche peut vous paraître importune… Mais vous comprendrez, j’en suis sûr…
Il était très surexcité et ne semblait guère disposé à remettre l’explication, d’autant plus que, avant d’entrer, il avait cru percevoir du bruit.
Cependant, Dolorès était seule, étendue. Et elle lui dit, de sa voix lasse :
– Peut-être aurions-nous pu demain.
Il ne répondit pas, frappé soudain par une odeur qui l’étonnait dans ce boudoir de femme, une odeur de tabac. Et tout de suite, il eut l’intuition, la certitude qu’un homme se trouvait là, au moment où lui-même arrivait, et qu’il s’y trouvait encore, dissimulé quelque part…
Pierre Leduc ? Non, Pierre Leduc ne fumait pas. Alors ?
Dolorès murmura :
– Finissons-en, je vous en prie.
– Oui, oui, mais auparavant vous serait-il possible de me dire ? Il s’interrompit. À quoi bon l’interroger ? Si vraiment un homme se cachait, le dénoncerait-elle ? Alors, il se décida, et, tâchant de dompter l’espèce de gêne peureuse qui l’opprimait à sentir une présence étrangère, il prononça tout bas, de façon à ce que, seule, Dolorès entendît :
– écoutez, j’ai appris une chose que je ne comprends pas et qui me trouble profondément. Il faut me répondre, n’est-ce pas, Dolorès ?
Il dit ce nom avec une grande douceur et comme s’il essayait de la dominer par l’amitié et la tendresse de sa voix.
– Quelle est cette chose ? dit-elle.
– Le registre de l’état civil de Veldenz porte trois noms, qui sont les noms des derniers descendants de la famille Malreich, établie en Allemagne…
– Oui, vous m’avez raconté cela…
– Vous vous rappelez, c’est d’abord Raoul de Malreich, plus connu sous son nom de guerre, Altenheim, le bandit, l’apache du grand monde – aujourd’hui mort assassiné.
– Oui.
– C’est ensuite Louis de Malreich, le monstre, celui-là, l’épouvantable assassin, qui, dans quelques jours, sera décapité.
– Oui.
– Puis, enfin, Isilda la folle…
– Oui.
– Tout cela est donc, n’est-ce pas, bien établi ?
– Oui.
– Eh bien ! dit Lupin, en se penchant davantage sur elle, d’une enquête à laquelle je me suis livré tantôt, il résulte que le second des trois prénoms, Louis, ou plutôt la partie de ligne sur laquelle il est inscrit, a été autrefois l’objet d’un travail de grattage. La ligne est surchargée d’une écriture nouvelle tracée avec de l’encre beaucoup plus neuve, mais qui, cependant, n’a pas effacé entièrement ce qui était écrit par en dessous. De sorte que…
– De sorte que ? dit Mme Kesselbach, à voix basse.
– De sorte que, avec une bonne loupe et surtout avec les procédés spéciaux dont je dispose, j’ai pu faire revivre certaines des syllabes effacées, et, sans erreur, en toute certitude, reconstituer l’ancienne écriture. Ce n’est pas alors Louis de Malreich que l’on trouve, c’est…
– Oh ! Taisez-vous, taisez-vous…
Subitement brisée par le trop long effort de résistance qu’elle opposait, elle s’était ployée en deux, et, la tête entre ses mains, les épaules secouées de convulsions, elle pleurait.
Lupin regarda longtemps cette créature de nonchalance et de faiblesse, si pitoyable, si désemparée. Et il eût voulu se taire, suspendre l’interrogatoire torturant qu’il lui infligeait.
Mais n’était-ce pas pour la sauver qu’il agissait ainsi ? Et, pour la sauver, ne fallait-il pas qu’il sût la vérité, si douloureuse qu’elle fût ?
Il reprit :
– Pourquoi ce faux ?
– C’est mon mari, balbutia-t-elle, c’est lui qui a fait cela. Avec sa fortune, il pouvait tout, et, avant notre mariage, il a obtenu d’un employé subalterne que l’on changeât sur le registre le prénom du second enfant.
– Le prénom et le sexe, dit Lupin.
– Oui, fit-elle.
– Ainsi, reprit-il, je ne me suis pas trompé : l’ancien prénom, le véritable, c’était Dolorès ? Mais pourquoi votre mari ? Elle murmura, les joues baignées de larmes, toute honteuse :
– Vous ne comprenez pas ?
– Non.
– Mais pensez donc, dit-elle en frissonnant, j’étais la sœur d’Isilda la folle, la sœur d’Altenheim le bandit. Mon mari, ou plutôt mon fiancé, n’a pas voulu que je reste cela. Il m’aimait. Moi aussi, je l’aimais, et j’ai consenti. Il a supprimé sur les registres Dolorès de Malreich, il m’a acheté d’autres papiers, une autre personnalité, un autre acte de naissance, et je me suis mariée en Hollande sous un autre nom de jeune fille, Dolorès Amonti.
Lupin réfléchit un instant et prononça pensivement :
– Oui, oui, je comprends… Mais alors Louis de Malreich n’existe pas, et l’assassin de votre mari, l’assassin de votre sœur et de votre frère, ne s’appelle pas ainsi… Son nom…
Elle se redressa et vivement :
– Son nom ! Oui, il s’appelle ainsi… oui, c’est son nom tout de même… Louis de Malreich… L et M… Souvenez-vous… Ah ! Ne СКАЧАТЬ