Название: Pauvre Blaise
Автор: Comtesse de Ségur
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066089900
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Comme elle achevait ces mots, elle vit accourir Anfry, essoufflé et suant, juste au moment où un nuage de poussière annonçait l'approche de la voiture de poste.
Anfry se plaça, le chapeau à la main, d'un côté de la grille; Mme Anfry se rangea avec Blaise de l'autre côté: la berline attelée de quatre chevaux de poste apparut, tourna au galop et enfila l'avenue du château. Elle passa si rapidement que Blaise eut à peine le temps d'apercevoir un monsieur et une dame au fond de la voiture, un petit garçon et une petite fille sur le devant. Ils passèrent sans répondre aux révérences de Mme Anfry et aux saluts du concierge; la petite fille seule salua.
Quand la voiture fut hors de vue, le mari et la femme se regardèrent d'un air chagrin; ils fermèrent lentement la grille, rentrèrent sans mot dire dans leur maison et s'assirent près d'une table sur laquelle était préparé leur frugal dîner. Blaise vint les rejoindre et, de même que ses parents, se plaça silencieusement près de la table.
«Mon ami, dit enfin Mme Anfry, comment trouves-tu les domestiques des nouveaux maîtres?
—Mauvais, répondit Anfry; grossiers, mauvaises langues. Mauvais, répéta-t-il en soupirant.
MADAME ANFRY
Blaise craint que les maîtres ne soient guère meilleurs.
ANFRY
Cela se pourrait bien! Ce ne sera pas comme avec les anciens qui n'y sont plus. Blaise, mon garçon, ajouta-t-il en se tournant vers lui, ne va pas au château; n'y va que si on te demande, et restes-y le moins possible.
BLAISE
C'est bien ce que je compte faire, papa; je n'ai pas du tout envie d'y aller. Quand mon cher petit M. Jacques y demeurait, c'était bien différent; je l'aimais et il voulait toujours m'avoir... Je ne le reverrai peut-être jamais! Mon Dieu! mon Dieu! que c'est donc triste d'aimer des gens qui vous quittent.»
Et le pauvre Blaise versa quelques larmes.
ANFRY
Allons, Blaise, du courage, mon garçon! Qui sait? tu le reverras peut-être plus tôt que tu ne penses. M. de Berne m'a bien promis qu'il tâcherait de me placer dans son autre terre, où il va habiter.
BLAISE
Et puis il la vendra encore, et il nous faudra encore changer de maîtres.
ANFRY
Mais non; tu ne sais pas et tu parles comme si tu savais. L'autre terre est une terre de famille, qui ne doit jamais être vendue; tandis que celle-ci était de la famille de Madame, et ils ne pouvaient pas habiter deux terres à la fois. Est-ce vrai?
—A quoi sert de parler de tout cela? dit Mme Anfry. Mangeons notre dîner; veux-tu du fromage, Blaisot, en attendant la salade aux oeufs durs?»
Blaise accepta le fromage, puis la salade, et, tout en soupirant, il mangea de bon appétit, car, à onze ans, on pleure et on mange tout à la fois.
Le reste du jour se passa tranquillement pour la famille du concierge; personne ne les demanda. Quand la nuit fut venue, ils mirent les verrous à la grille, le concierge fit sa tournée pour voir si tout était bien fermé, et il rentra pour se coucher. Sa femme et son fils dormaient déjà profondément.
II
PREMIERE VISITE AU CHATEAU
«M. le comte demande le concierge», dit d'une voix impérieuse un des domestiques du château.
C'était de grand matin. Mme Anfry faisait son ménage, Blaise nettoyait la vaisselle, et Anfry était allé scier du bois pour les fourneaux de la cuisine et de la lingerie.
Le domestique avait ouvert bruyamment la porte et restait sur le seuil; il regardait le modeste mobilier du concierge.
«Votre mobilier ne fait pas honneur à vos anciens maîtres, dit le valet en ricanant; si M. le comte passait par ici, il vous ferait bien vite changer tout cela.
—Qu'est-ce que vous trouvez à mon mobilier qui parle contre les anciens maîtres? répondit vivement Mme Anfry. Est-ce qu'il y manque quelque chose? Tout n'est-il pas en bon état? C'était de bons maîtres, ceux qui n'y sont plus, et je n'en demande pas de meilleurs au bon Dieu.
LE DOMESTIQUE
Ha! ha! le bon Dieu! Comme s'il se mêlait d'un concierge et de son mobilier.
MADAME ANFRY
Le bon Dieu se mêle de tout, et d'un pauvre concierge tout comme d'un prince et d'un roi; et je n'entends pas qu'on se raille du bon Dieu chez moi, entendez-vous bien!
LE DOMESTIQUE
Voyons, voyons, Madame la concierge, il ne faut pas vous emporter pour un mot dit en plaisanterie; mais M. le comte demande le concierge et je ne le vois pas ici.
MADAME ANFRY
Il est au château à scier du bois; allez le chercher là-bas, vous lui ferez la commission.
LE DOMESTIQUE
Si vous y envoyiez votre garçon, cela me donnerait le temps d'aller faire un tour au village et de faire connaissance avec les cafés.
MADAME ANFRY.
Mon garçon n'a que faire au château; on lui a dit hier qu'on n'y entrait pas en blouse; il ne se mettra pas en prince pour y aller, et il n'ira pas.
LE DOMESTIQUE.
Vous êtes maussade, Madame la concierge; mais prenez-y garde, on pourrait bien chercher à vous remplacer et à vous faire partir.
MADAME ANFRY
Comme vous voudrez. Si les maîtres sont comme les valets, je ne tiens pas à y rester; nous sommes connus dans le pays, et nous ne manquerons pas de travail ni de place, mon mari et moi.»
Le domestique vit qu'il n'y avait rien à gagner en continuant la conversation; il se retira en grommelant, et remonta lentement l'avenue du château. Il trouva le concierge au bûcher, comme le lui avait dit Mme Anfry.
«M. le comte vous demande, lui dit-il brusquement.
—Je ne suis guère en toilette pour me présenter chez M. le comte, répondit Anfry.
—Puisqu'il vous demande, c'est qu'il vous veut comme vous êtes, reprit le domestique d'un ton bourru.
—C'est vrai», se borna à répondre Anfry.
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