Название: Tartarin de Tarascon
Автор: Alphonse Daudet
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066090142
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Avant de partir, dans le silence et l'ombre de son cabinet, il
s'exerçait un moment, se fendait, tirait au mur, faisait jouer ses
muscles; puis, il prenait son passe-partout, et traversait le jardin,
gravement, sans se presser.--A l'anglaise, messieurs, à l'anglaise!
[30]c'est le vrai courage.--Au bout du jardin, il ouvrait la
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lourde porte de fer. Il l'ouvrait brusquement, violemment, de
façon à ce qu'elle allât battre en dehors contre la muraille....
S'ils avaient été derrière, vous pensez quelle marmelade!... Malheureusement, ils n'étaient pas derrière.
[5]La porte ouverte, Tartarin sortait, jetait vite un coup d'oeil de droite et de gauche, fermait la porte à double tour et vivement. Puis en route.
Sur le chemin d'Avignon, pas un chat. Portes closes, fenêtres
éteintes. Tout était noir. De loin en loin un réverbère,
[10]clignotant dans le brouillard du Rhône....
Superbe et calme, Tartarin de Tarascon s'en allait ainsi dans
la nuit, faisant sonner ses talons en mesure, et du bout ferré de
sa canne arrachant des étincelles aux pavés.... Boulevards,
grandes rues ou ruelles, il avait soin de tenir toujours le milieu
[15]de la chaussée, excellente mesure de précaution qui vous permet de voir venir le danger, et surtout d'éviter ce qui, le soir, dans les rues de Tarascon, tombe quelquefois des fenêtres. A lui voir tant de prudence, n'allez pas croire au moins que Tartarin eût peur.... Non! seulement il se gardait.
[20]La meilleure preuve que Tartarin n'avait pas peur, c'est qu'au lieu d'aller au cercle par le cours, il y allait par la ville, c'est-à-dire, par le plus long, par le plus noir, par un tas de vilaines petites rues au bout desquelles on voit le Rhône luire sinistrement. Le pauvre homme espérait toujours qu'au détour d'un de ces [25]coupe-gorge ils allaient s'élancer de I'ombre et lui tomber sur le dos. Ils auraient été bien reçus, je vous en réponds.... Mais, hélas! par une dérision du destin, jamais, au grand jamais, Tartarin de Tarascon n'eut la chance de faire une mauvaise rencontre. Pas même un chien, pas même un ivrogne. Rien!
[30]Parfois cependant une fausse alerte. Un bruit de pas, des voix Étouffées.... «Attention!» se disait Tartarin, et il restait planté sur place, scrutant I'ombre, prenant le vent, appuyant son oreille contre terre à la mode indienne.... Les pas approchaient.
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Les voix devenaient distinctes.... Plus de doutes! Ils arrivaient.... Ils étaient là. Déjà Tartarin, l'oeil en feu, la poitrine haletante, se ramassait sur lui-même comme un jaguar, et se préparait à bondir en poussant son cri de guerre ... quand [5]tout à coup, du sein de l'ombre, il entendait de bonnes voix tarasconnaises l'appeler bien tranquillement:
«Té! vé! ... c'est Tartarin.... Et adieu, Tartarin!»
Malédiction! c'était le pharmacien Bézuquet avec sa famille
qui venait de chanter la sienne chez les Costecalde.--«Bonsoir! [10]bonsoir!» grommelait Tartarin, furieux de sa méprise, et, farouche, la canne haute, il s'enfonçait dans la nuit.
Arrivé dans la rue du cercle, l'intrépide Tarasconnais attendait
encore un moment en se promenant de long en large devant
la porte avant d'entrer.... A la fin, las de les attendre et certain [15]qu'ils ne se montreraient pas, il jetait un dernier regard de défi dans l'ombre, et murmurait avec colère: «Rien!... rien!... jamais rien!»
Là-dessus le brave homme entrait faire son bezigue avec le
commandant.
VI
Les deux Tartarins
[20]Avec cette rage d'aventures, ce besoin d'émotions fortes, cette folie de voyages, de courses, de diable au vert, comment diantre se trouvait-il que Tartarin de Tarascon n'eût jamais quitté Tarascon?
Car c'est un fait. Jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans, l'intrépide
[25]Tarasconnais n'avait pas une fois couché hors de sa ville. Il n'avait pas même fait ce fameux voyage à Marseille, que tout bon Provençal se paie à sa majorité. C'est au plus s'il connaissait Beaucaire, et cependant Beaucaire n'est pas bien loin de Tarascon, puisqu'il n'y a que le pont à traverser Malheureusement [30]ce diable de pont a été si souvent emporté par les coups
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de vent, il est si long, si frêle, et le Rhône a tant de largeur à
cet endroit que, ma foi! vous comprenez.... Tartarin de
Tarascon préférait la terre ferme.
C'est qu'il faut bien vous l'avouer, il y avait dans notre héros
[5]deux natures très distinctes. «Je sens deux hommes en moi», a dit je ne sais quel Père de l'Église. Il l'eût dit vrai de Tartarin qui portait en lui l'âme de don Quichotte, les mêmes élans chevaleresques, le même idéal héroïque, la même folie du romanesque et du grandiose; mais malheureusement n'avait pas le [10]corps du célèbre hidalgo, ce corps osseux et maigre, ce prétexte de corps, sur lequel la vie matérielle manquait de prise, capable de passer vingt nuits sans déboucler sa cuirasse et quarante-huit heures avec une poignée de riz.... Le corps de Tartarin, au contraire, était un brave homme de corps, très gras, très lourd, [15]très sensuel, très douillet, très geignard, plein d'appétits bourgeois et d'exigences domestiques, le corps ventru et court sur pattes de l'immortel Sancho Pança.
Don Quichotte et Sancho Pança dans le même homme! vous
comprenez quel mauvais ménage ils y devaient faire! quels combats!
[20]quels déchirements!... O le beau dialogue à écrire pour Lucien ou pour Saint-Évremond, un dialogue entre les deux Tartarins, le Tartarin-Quichotte et le Tartarin-Sancho! Tartarin-Quichotte s'exaltant aux récits de Gustave Aimard et criant: «Je pars!»
[25]Tartarin-Sancho ne pensant qu'aux rhumatismes et disant:
«Je reste.»
TARTARIN-QUICHOTTE, très exalté:
Couvre-toi de gloire, Tartarin.
TARTARIN-SANCHO, très calme:
[30]Tartarin, couvre-toi de flanelle.
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