Название: Baccara
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066089610
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Avant l'arrivée des Eck et des Debs à Elbeuf, on s'occupait peu des usages des juifs, mais du jour où cette vieille femme s'était installée dans sa maison, son rigorisme l'avait imposée à la curiosité et aussi à la critique. C'était monnaie courante de la conversation de raconter qu'elle se faisait apporter le gibier vivant pour que son sacrificateur le saignât;—qu'elle ne mangeait pas des poissons sans écailles; qu'on faisait traire son lait directement de la vache dans un pot lui appartenant;—qu'elle avait une vaisselle pour le gras, une autre pour le maigre;—que le poisson seul pouvait être arrangé au beurre, à l'huile ou à la graisse;—que, dans les repas où il était servi de la viande, elle ne mangeait ni fromage, ni laitage, ni gâteaux;—qu'on préparait sa nourriture le vendredi pour le samedi, et, comme ce jour-là les Israëlites ne doivent pas toucher au feu, on mettait une plaque de fer sur des braises, et sur cette plaque on plaçait le vase contenant les mets tout cuits, ce vase ne pouvait être pris que par des mains juives;—enfin, que ses cheveux coupés étaient recouverts d'un bandeau de velours, et qu'elle obligeait sa fille et sa belle-fille à ne pas laisser pousser leurs cheveux.
Sans doute il y avait dans tout cela des exagérations, mais le vrai n'indiquait-il pas un rigorisme de pratiques religieuses peu encourageant? Elle le connaissait, ce rigorisme dans la foi, depuis vingt ans qu'elle en avait trop souffert auprès de sa belle-mère pour vouloir y exposer sa fille. Et puis, femme d'un juif! Si bien dégagée qu'elle fût de certains préjugés, elle ne l'était point encore de celui-là. Aucune jeune fille de sa connaissance et dans son monde n'avait épousé un juif: cela ne se faisait pas à Elbeuf.
Mais M. Eck ne lui laissa pas le temps de réfléchir, il continuait:
—Pien entendu, Michel n'a jamais entretenu matemoiselle Perthe de son amour, c'est un honnête homme, un calant homme, croyez-le, matame Ateline. Je ne tis pas que ses yeux n'aient pas barlé, mais ses lèvres ne se sont pas ouvertes. Peut-être sait-elle cependant qu'elle est aimée, car les jeunes filles sont bien fines pour teviner ces choses, mais elle ne le sait pas par des baroles formelles. Michel a foulu qu'avant tout les familles fussent d'accord, et c'est là ce qui m'amène chez vous. J'espérais trouver M. Ateline; et Michel, qui ne manque pas les occasions où il peut voir matemoiselle Perthe, a tenu à m'accompagner, pien que cela ne soit peut-être pas très convenable. Le hasard a foulu que M. Ateline fût absent et j'en suis heureux, puisque j'ai pu fous adresser ma demande: en ces circonstances une mère vaut mieux qu'un père. Vous la transmettrez à M. Ateline et, si fous le jugez pon, à matemoiselle Perthe. Pour Michel, je fous prie d'insister sur son amour; c'est sincèrement, c'est tentrement qu'il aime et bour lui ce n'est pas un mariage de convenance, c'est un mariage d'inclination. Bour moi, je vous prie d'insister sur l'honneur que nous attachons à unir notre famille à la vôtre. Je veux vous barler franchement, à coeur ouvert; je n'ai pas d'ampition et ne recherche pas une alliance avec M. Ateline parce qu'il est député et sera un jour ou l'autre ministre; je suis técoré et n'ai rien à attendre du gouvernement; quant à la situation de nos affaires, elle est ponne; là où d'autres berdent de l'argent, nous en gagnons; les inventaires vous le brouferont, quand nous pourrons vous les communiquer, vous verrez, vous verrez qu'elle est ponne.
Il se frotta les mains:
—Elle est ponne, elle est ponne; la maison Eck et Debs est organisée pour bien marcher, elle marchera et durera tant qu'il y aura un Eck, tant qu'il y aura un Debs pour la soutenir. Et je ne crois pas que la graine en manque de sitôt. Donc, ce que nous cherchons uniquement dans ce mariage, c'est l'honneur d'être de fotre famille: le père Eck ne fiffra pas toujours; les fils, les neveux le remplaceront, et alors, est-ce que ce serait une mauvaise raison sociale: Eck et Debs-Ateline? La fieille maison continuerait; le fieil arbre repousserait avec des rameaux nouveaux; les enfants de Michel seraient des Ateline.
Sur ce mot, il se leva.
—Vous n'attendez pas mon mari? demanda madame Adeline.
—Non; je remets notre cause entre vos mains, elle sera mieux blaidée que je ne la blaiderais moi-même.
Ils rentrèrent dans le bureau, où ils trouvèrent Léonie, la figure épanouie par un éclat de rire.
—Je fois qu'on s'est amusé, dit le père Eck, on a taillé une ponne pafette.
—C'est M. Michel qui nous fait rire, dit Léonie.
—Il est pien heureux, Michel, de faire rire les cholies filles; et qu'est-ce donc qu'il vous contait?
—Il nous apprenait pourquoi les Carthaginois mettaient des gants; le savez-vous, monsieur Eck?
—Ma foi, non, matemoiselle; de mon temps, les sciences historiques n'étaient pas aussi avancées que maintenant, et nous ne savions pas que les Carthaginois se cantaient.
—Ils se gantaient parce qu'ils craignaient les Romains.
—Ah! vraiment? dit le père Eck qui n'avait pas compris.
—Pardonnez-moi, madame, dit Michel en s'adressant avec un sourire d'excuse à madame Adeline, mademoiselle Léonie faisait un devoir sur Annibal qui ne l'amusait pas beaucoup; j'ai voulu l'égayer. Je crois que maintenant elle n'oubliera plus Annibal.
—M. Michel sait trouver un mot agréable pour chacun, dit la maman.
Madame Adeline regardait sa fille dans les yeux, et à leur éclat il était évident que, pour Berthe aussi, Michel avait trouvé quelque chose d'agréable,—mais à coup sûr de moins enfantin que pour Léonie. L'aimait-elle donc?
V
L'oncle et le neveu partis, madame Adeline ne reprit pas son travail; elle n'avait plus la tête aux chiffres; et, d'ailleurs, le temps avait marché.
On quitta le bureau, Berthe roula sa grand'mère dans la salle à manger, et madame Adeline, qui, pour diriger la fabrique, n'en surveillait pas moins la maison, alla voir à la cuisine si tout était prêt pour servir quand le maître arriverait, puis elle revint dans la salle à manger attendre.
—Comment va le cartel? demanda la Maman; est-ce qu'il n'avance pas?
—Non, grand'mère, répondit Berthe, il va comme Saint-Étienne.
—Comment ton père n'est-il pas arrivé? aurait-il manqué le train?
Cela fut dit d'une voix qui tremblait, avec une inquiétude évidente, en regardant sa belle-fille, qui, elle aussi, montrait une impatience extraordinaire.
Tout le monde avait l'oreille aux aguets; on entendit des pas pressés dans la cour, Berthe courut ouvrir la porte du vestibule.
Presque aussitôt Adeline entra dans la salle à manger, tenant dans sa main celle de sa fille; tout de suite il alla à sa mère, qu'il embrassa, puis, après avoir embrassé aussi sa femme et Léonie, il se débarrassa de son pardessus, qu'il donna à Berthe, et de son chapeau, que lui prit Léonie.
Alors il s'approcha de la cheminée où, sur des vieux landiers en fer ouvragé, brûlaient de belles bûches de charme avec une longue flamme blanche.
—Brrr, il ne fait pas chaud, dit-il en СКАЧАТЬ