Название: André Cornélis
Автор: Paul Bourget
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066084431
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—Et il a besoin de cette école, a-t-il ajouté en me regardant avec des yeux froids, comme au moment où il m'a serré le bras si fort. Bref, on a résolu que je serais pensionnaire, mais pas dans un collège de Paris.
—L'air y est trop mauvais..., a dit mon beau-père.
Pourquoi ne lui sais-je aucun gré du souci qu'il semble prendre de ma santé? Je ne prévois pourtant guère ce qu'il prévoit déjà, lui, l'homme qui veut m'écarter à jamais de ma mère, qu'il sera plus aisé de me laisser interne dans un collège situé hors de la ville, quand ils reviendront. Quel besoin a-t-il de ces calculs? Est-ce qu'il ne lui suffit pas d'énoncer une volonté pour que Mme Termonde lui obéisse? Comme je souffre lorsque j'entends sa voix, à elle, lui dire «tu», de même qu'à mon père! Et je pense à mes rentrées d'autrefois lorsque je commençais mes classes à Bonaparte, et que ce pauvre père m'aidait à mes devoirs. C'est mon beau-père qui m'a conduit au lycée, hier dans l'après-midi. C'est lui qui m'a présenté au proviseur, un maigre et long bonhomme à tête chauve qui m'a tapé sur la joue en me disant:
—Ah! il vient de Bonaparte... le collège des muscadins...
J'ai eu, le soir même, la curiosité de chercher ce mot dans le dictionnaire, et j'ai trouvé cette définition: «Jeune homme qui a de la recherche dans sa parure...» Et c'est vrai qu'avec mes vêtements coquets où s'est complue la fantaisie de ma mère, mon grand col blanc, mes bottines anglaises, ma veste joliment coupée, je ne ressemble point aux garnements en tunique parmi lesquels je vais vivre. Ils ont leurs képis déformés. Presque tous leurs boutons sont arrachés. Leurs gros bas bleus tombent sur leurs souliers éculés. Ils achèvent d'user à l'intérieur des costumes de l'an passé. Plusieurs m'ont regardé avec curiosité dès les premières récréations de ce premier jour. Un d'entre eux m'a même demandé: «Que fait ton père?» Je n'ai pas répondu. Ce que j'appréhende avec une angoisse insoutenable, c'est qu'on me parle de cela. Hier, tandis que le train nous amenait à Versailles, mon beau-père et moi, dans ce vagon où nous n'avons pas échangé une parole, comme j'aurais voulu dire cette épouvante, le conjurer de ne pas me jeter au milieu d'autres enfants, ainsi abandonné à leurs indiscrètes férocités, lui promettre, si je demeurais à la maison, de travailler plus et mieux qu'autrefois! Mais le regard de ses yeux bleus est si aigu quand il se pose sur moi; j'ai besoin de tant d'efforts pour prononcer, en m'adressant à lui, ces enfantines syllabes, ce mot de «papa» que je dis toujours en pensée à l'autre, à l'endormi sans réveil possible qui est là-bas dans le cimetière de Compiègne! Et je n'ai pas supplié M. Termonde, et je me suis laissé enfermer au lycée sans une phrase de regret. J'aime encore mieux, plutôt que de m'être plaint à lui, errer comme je le fais parmi les étrangers. Maman doit venir demain, veille de son départ, et cette entrevue toute prochaine m'empêche de trop sentir l'inévitable séparation. Pourvu qu'elle vienne sans mon beau-père?...
Elle est venue,—et avec lui. Dans ce parloir, décoré de mauvais portraits des élèves qui ont obtenu le prix d'honneur au concours général, elle s'est assise. Mes camarades causaient aussi avec leurs mères, mais laquelle était digne d'être aimée comme la mienne? Avec la sveltesse de sa taille, la grâce de son cou un peu long, ses yeux profonds, son fin sourire, encore une fois elle m'est apparue si belle! Et je n'ai rien pu lui dire parce que mon beau-père, «Jack», comme elle l'appelle avec la mutinerie d'une prononciation anglaise, était là aussi, entre nous. Ah! cette antipathie qui paralyse toutes les puissances affectueuses du cœur, l'ai-je assez connue alors, et depuis? J'ai cru voir que ma mère était étonnée, presque attristée de ma froideur à cette minute de nos adieux. Mais n'aurait-elle pas dû comprendre que je ne lui montrerais jamais ma tendresse, à elle, devant lui? Et elle est partie, elle voyage, et moi je suis resté...
D'autres images surgissent qui me montrent notre salle d'étude pendant les soirs de ce premier hiver de mon emprisonnement. Le poêle de fonte rougeoie au milieu de cette salle éclairée au gaz. Un bol rempli d'eau est posé sur le couvercle de peur que la chaleur ne nous entête. Tout le long des murs court la ligne de nos pupitres, et derrière chacun de nous se trouve un petit placard où nous rangeons nos livres et nos papiers. Un grand silence pèse sur la vaste pièce, rendu comme plus perceptible par le bruissement des feuillets tournés, le grincement des plumes, et une toux étouffée de moment à autre. Le maître se tient là-bas, sur une estrade haute de deux marches. Il s'appelle Rodolphe Sorbelle, et il est poète. L'autre jour, il a laissé tomber de sa poche un papier chargé de ratures sur lequel nous avons déchiffré les vers suivants:
Je voudrais être oiseau des champs,
Avoir un bec,
Chanter avec;
Je voudrais être oiseau des champs,
Avoir des ailes,
Voler sur elles.
Mais je ne puis en faire autant,
Car j'ai le bec
Beaucoup trop sec,
Et je suis pion,
Cré nom de nom!...
Cette prodigieuse poésie a fait notre joie, à nous autres petits collégiens féroces. Nous la chantons continuellement, au dortoir, en promenade, en cour, fredonnant les dernières paroles sur l'air classique des «lampions». Mais le vieux chien de cour a la dent mauvaise, il se défend à coups de retenues et on ne le brave guère en face. La lampe suspendue au-dessus de sa tête éclaire ses cheveux d'un gris verdâtre, son front rouge, et son paletot jadis bleu, aujourd'hui blanchâtre à force d'usure. Il rime sans doute, car il écrit, il efface, et, par instants, il relève ce front où les veines se gonflent, ses gros yeux bleus, qui expriment une si réelle bonté lorsque nous ne le tourmentons pas de nos taquineries, fouillent la salle et font le tour des trente-cinq pupitres. Moi aussi je regarde ces compagnons de mon esclavage actuel. Ils ont des visages que je commence à si bien connaître: Rocquain, tout petit, avec un nez trop grand, rouge dans une face longue et blême;—Parizelle, immense, avec sa mâchoire en avant. Il est blond, il a des yeux verts, des taches de rousseur, et par gageure, l'autre été, il a mangé un hanneton. Il y a aussi Gervais, un brun tout frisé, qui écrit son testament chaque semaine. Il m'a communiqué le dernier de ces opuscules où se trouve cette clause: «Je lègue à Leyreloup un bon conseil enfermé dans ma lettre à Cornélis». Leyreloup est son ancien ami qui lui a joué le tour de le rouler, l'automne dernier, dans un tas de feuilles sèches, entraîné à cette malice par le grand Parizelle, que le rancuneux Gervais considère depuis lors comme un scélérat, et le conseil enfermé dans la lettre posthume est un avis de défiance à l'égard du géant... Tout ce petit monde est la proie de mille intérêts puérils et qui, dès cette époque, m'apparaissent tels, quand je les compare aux souvenirs que je porte en moi. Et eux aussi, mes camarades, semblent comprendre qu'il y a dans ma vie quelque chose qui n'est pas dans la leur; ils ne m'ont infligé aucune des misères qui sont l'épreuve accoutumée des nouveaux, mais je ne suis l'ami d'aucun d'eux, excepté de ce même Gervais qui va en rangs avec moi lorsque nous sortons. C'est un garçon imaginatif et qui dévore chez lui une collection de numéros du Journal pour tous. Il a découvert là une suite de romans qui s'appellent: l'Homme aux figures de cire, СКАЧАТЬ