Название: André Cornélis
Автор: Paul Bourget
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066084431
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—En voilà pour huit jours de bouderie maintenant. C'est un caractère vraiment insupportable...
Ce dernier mot eut cet avantage que je mis un point d'honneur à le démentir et que je ne boudai pas. Mais cette simple scène m'avait trop profondément ulcéré pour que je l'eusse oubliée, et voici que tout mon ressentiment se réveillait à mesure que je faisais ce récit à ma tante. Hélas! ma double vue presque inconsciente d'enfant trop sensible ne s'y trompait pas. C'était toute l'histoire de ma jeunesse que cette scène puérile et douloureuse symbolisait ainsi: mon invincible antipathie envers l'homme qui allait occuper la place de mon père, et la partialité aveugle, en sa faveur, de celle qui aurait dû me défendre d'abord et toujours.
—Il me déteste, disais-je en pleurant à ma tante Louise, que lui ai-je fait?...
—Calme-toi, répondait l'excellente fille; tu es là, comme ton pauvre père, à outrer toujours tes moindres chagrins... Et puis, tâche d'être gentil pour lui, à cause de ta mère, de ne pas t'abandonner à ces violences qui me font peur... Ne t'en fais pas un ennemi, ajouta-t-elle.
C'était si simple qu'elle me parlât de la sorte, et cependant son insistance me parut un peu étrange, dès ce moment-là. Je ne sais pourquoi aussi elle me sembla comme surprise de ma réponse à sa question: «Que sais-tu?» Elle voulait m'apaiser, et elle augmenta encore l'appréhension où j'étais de l'usurpateur,—ainsi je l'appelai depuis,—par le léger tremblement qu'elle avait dans la voix lorsqu'elle en parlait.
—Il faut que tu leur écrives dès ce soir, dit-elle enfin.
Leur écrire! Cette simple formule me fit mal. Ils étaient unis. Jamais, jamais je ne pourrais plus penser à l'un sans penser à l'autre.
—Et vous? demandai-je à ma tante.
—J'ai déjà écrit, répondit-elle.
—Et quand se fait le mariage?
—Il est fait d'hier, fit-elle d'une voix si basse que je l'entendis à peine.
—Et où? demandai-je de nouveau après un silence.
—À la campagne, chez des amis communs, dit-elle; et, tout de suite:—Ils ont préféré que tu n'y fusses pas, pour ne pas déranger tes vacances. Ils sont partis pour trois semaines, puis ils viendront te voir à Paris avant d'aller en Italie... Moi, tu sais que je ne suis pas assez bien pour voyager. Je te garderai jusque-là... Sois doux, ajouta-t-elle, et va écrire.
J'avais bien d'autres questions à lui poser, bien d'autres larmes à répandre. Je me contins pourtant, et, un quart d'heure plus tard, j'étais assis dans le salon de la bonne et chère tante, et à son bureau. Que j'aimais cette pièce du rez-de-chaussée qu'une porte-fenêtre séparait du jardin! C'était une chambre tapissée de souvenirs. À côté du secrétaire ancien, je pouvais voir, appendus au mur dans leurs cadres de toutes formes, les portraits de ceux que la sainte fille avait aimés et qui étaient morts. Que ce petit coin funèbre remuait doucement ma rêverie! Il y avait là une miniature coloriée, représentant mon arrière-grand'mère, la mère de mon aïeule, en costume du Directoire, avec une taille courte et des cheveux à la Prudhon. Il y avait encore mon grand-oncle, son fils, une miniature aussi. Quel aimable et important visage à toupet d'admirateur de Louis-Philippe et de M. Thiers! Il y avait mon grand-père paternel avec sa rude physionomie de parvenu,—et mon père à tous les âges. Plusieurs de ces portraits, déjà très anciens, avaient été faits au daguerréotype; la lumière qui jouait sur les plaques à demi effacées rendait difficile de bien distinguer tous les traits. Une bibliothèque basse régnait un peu plus loin, où je retrouvais tous les livres de prix de mon père, gardés pieusement. Mon Dieu! comme je me sentais protégé par les portières en velours vert traversées de longues bandes de tapisseries,—chef-d'œuvre de ma tante,—qui tombaient à gros plis sur les portes! Comme je regardais avec complaisance le tapis aux nuances passées, dont j'avais, tout petit, voulu cueillir les fleurs! C'était une des légendes de ma première enfance, de ces anecdotes qui se redisent sur un fils qu'on chérit et qui lui font sentir combien les moindres détails de son existence ont été regardés, compris, aimés. J'ai touché plus tard la glace de l'indifférence... Ma tante surtout, parmi ces meubles aux formes démodées, comme je l'aimais, avec son visage où je ne lisais que tendresse absolue pour moi, avec ses yeux dont le regard me faisait du bien à une place mystérieuse de mon âme! Je la sentais si voisine de moi par la seule ressemblance avec mon père,—et ce jour-là davantage encore,—si bien que je me levai quatre ou cinq fois de table pour l'embrasser dans l'intervalle du temps que je mis à écrire ma lettre de félicitations adressée au pire ennemi que je me connusse au monde.—Et ce fut la seconde date ineffaçable de ma vie.
V
Quelles images?... Une grande cour plantée d'arbres anciens, des enfants qui jouent, par une fin de jour en automne, et d'autres enfants qui ne jouent pas, mais qui СКАЧАТЬ