Les deux nigauds. Comtesse de Ségur
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Название: Les deux nigauds

Автор: Comtesse de Ségur

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066089054

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СКАЧАТЬ compagnons de l'intérieur voulaient réclamer, mais les autres voyageurs étaient impatients de partir, le conducteur se voyait en retard; sans écouter les lamentations de Prudence, de Mme Petitbeaudoit et des deux Polonais (c'est-à-dire de Boginski et de son compagnon), il monta sur le siège, fouetta les chevaux, et la diligence partit.

      PRUDENCE.—Vous voilà donc revenue avec votre vilaine bête. Madame, Prenez garde toujours qu'elle ne gêne ni moi ni mes jeunes maîtres, et qu'elle ne nous empeste pas plus que de droit.

      MADAME COURTEMICHE.—Qu'appelez-vous vilaine bête, Madame?

      PRUDENCE.—Celle que vous avez sous le bras. Madame.

      MADAME COURTEMICHE.—Bête vous-même. Madame.

      PRUDENCE.—Vilaine vous-même, Madame.

      —Mesdames, de grâce, dit Mme Petitbeaudoit, de la douceur, de la charité!

      —Oui, Mesdames, reprit un des Polonais avec un accent très prononcé, donnez-nous la paix.

      PRUDENCE.—Je ne demande pas mieux, moi, pourvu que le chien ne se mette pas de la partie comme tout à l'heure.

      SECOND POLONAIS.—Moi vous promets que si chien ouvre sa gueule, moi, faire taire.

      PRUDENCE.—Avec quoi?

      SECOND POLONAIS.—Avec le poignard qui a tué Russes à Ostrolenka.

      PREMIER POLONAIS.—Et avec le bras qui a tué Russes à Varshava.

      MADAME COURTEMICHE.—Ciel! mon pauvre Chéri-Mignon! Malheureux Polonais, la France qui vous reçoit, la France qui vous nourrit, la France qui vous protège! Et vous oserez percer le coeur d'un enfant de France?

      PREMIER POLONAIS.—Chien pas enfant de France; moi tuer chien, pas tuer

       Français.

      PRUDENCE, riant.—Ah! ah! ah! Je n'en demande pas tant; que ce chien reste seulement tranquille et ne nous ennuie pas.

      Innocent et Simplicie, placés en face de Prudence, de Mme Courtemiche et de son chien, étaient plus effrayés qu'amusés de tout ce qui s'était passé depuis qu'ils étaient installés dans la diligence. Le chien leur causait une grande terreur, sa maîtresse plus encore. Ils se tenaient blottis dans leur coin, ne quittant pas des yeux Chéri-Mignon, toujours prêt à montrer les dents et à s'en servir; Mme Courtemiche leur lançait des regards flamboyants, ainsi qu'aux Polonais, qu'elle prenait pour des assassins, des égorgeurs.

      Mme Courtemiche gardait son chien sur ses genoux; Prudence, se voyant plus à l'aise, se calma entièrement; fatiguée de ses dernières veilles pour les préparatifs du départ, elle s'endormit; Innocent et Simplicie fermèrent aussi les yeux; le silence régnait dans cet intérieur, si agité une demi-heure auparavant. Chacun dormit jusqu'au relais; il fallait encore deux heures de route.

      Mais pendant ce calme, ce silence, Mme Courtemiche seule veillait Chéri-Mignon flairait des provisions dans le panier que Prudence avait placé par terre sous, ses jambes; il luttait depuis quelques instants contre sa maîtresse pour s'assurer du contenu du panier. Mme Courtemiche l'avait péniblement retenu tant qu'un oeil ouvert pouvait le voir et le dénoncer. Mais quand elle vit le sommeil gagner tous ses compagnons de route, elle ne résista plus aux volontés de l'animal gourmand et gâté, et, le déposant doucement près du panier, non seulement elle le laissa faire, mais encore elle aida au vol en défaisant sans bruit le papier qui enveloppait la viande. Chéri-Mignon fourra son nez dans le panier, saisit un gros morceau de veau froid, et se mit à le dévorer avec un appétit dont se réjouissait le faible coeur de sa sotte maîtresse: A peine avait-il avalé le dernier morceau que la diligence s'arrêta et que chacun se réveilla. Les chevaux furent bientôt attelés; la voiture repartit.

      —Il est près de midi, dit Prudence: c'est l'heure de déjeuner; avez-vous faim, Monsieur Innocent et Mademoiselle Simplicie?

      —Très faim, fut la réponse des deux enfants.

      ==Alors nous pouvons déjeuner, et si ces messieurs les Polonais ont bon appétit, nous trouverons bien un morceau à leur offrir.

      Les yeux des Polonais brillèrent, leurs bouches s'ouvrirent; les pauvres gens n'avaient rien mangé depuis la veille, pour ménager leur maigre bourse et pouvoir payer le dîner au Mans. Prudence les avait pris en amitié à cause de leurs menaces contre le chien; elle reçut avec plaisirs les vifs remerciements des deux affamés,

      Prudence se baisse, prend le panier, le trouve léger, y jette un prompt et méfiant regard.

      —On a fouillé dans le panier! s'écrie-t-elle. On a pris la viande! Un morceau de veau, blanc comme du poulet, pas un nerf, et pesant cinq livres!

      Prudence lève son visage étincelant de colère; elle parcourt de l'oeil tous ses compagnons de route; les Polonais désappointés, Mme Petitbeaudoit stupéfaite ne font naître aucun soupçon. L'air mielleux et placide de Mme Courtemiche éveille sa méfiance: Chéri-Mignon a le museau gras, il y passe sans cesse la langue; son ventre est gonflé outre mesure; de petits morceaux de papier gras paraissent sur son front et sur une de ses oreilles.

      —Voilà le voleur! s'écrie Prudence. C'est ce chien maudit qui a mangé notre déjeuner, notre meilleur morceau! un morceau que j'avais choisi entre cent chez le boucher, que j'avais fait rôtir avec tant de soin! Messieurs les Polonais, vengez-vous!

      A peine Prudence avait-elle proféré ces derniers mots, à peine Mme Courtemiche avait-elle eu le temps de frémir devant la vengeance qu'elle prévoyait, que les deux Polonais. obéissant à un même sentiment, s'étaient élancés sur le chien et l'avaient précipité sur la grande route par la glace restée ouverte.

      La stupéfaction de Mme Courtemiche donna à la diligence lancée au galop, le temps de faire un assez long trajet avant qu'elle, fût revenue de son saisissement. Un silence solennel régnait dans l'intérieur; chacun contemplait Mme Courtemiche et se demandait à quel excès pourrait se porter sa colère. Son visage, devenu violet, commençait à blêmir, sa lèvre inférieure tremblait, ses mains se crispaient. Elle cherchait à faire expier à Prudence le secours que lui avaient accordé les Polonais; elle n'osait pourtant s'attaquer à Prudence elle-même; mais l'attachement qu'elle paraissait avoir pour ses jeunes maîtres, dirigea l'attaque de Mme Courtemiche. Elle poussa un cri sauvage, et, s'élançant sur Innocent avant que personne eût pu l'arrêter, elle lui appliqua soufflet sur soufflet, coup de poing sur coup de poing. Prudence n'avait pas encore eu le temps de s'interposer entre cette femme furieuse et sa victime, que les Polonais avaient ouvert la portière placée au fond de la voiture, et, profitant d'un moment d'arrêt, ils avaient saisi Mme Courtemiche et l'avaient déposée un peu rudement sur la même grande route où avait été lancé son Chéri-Mignon. La diligence, en s'éloignant, leur laissa voir longtemps encore Mme Courtemiche, d'abord assise sur la grande route, puis levée et menaçant du poing la voiture qui disparaissait rapidement à ses regards. Prudence approuva et remercia les Polonais, Mme Petitbeaudoit les blâma et leur dit qu'il pourrait leur en arriver des désagréments; les Polonais s'en moquèrent et demandèrent à Prudence d'examiner le panier et ce qui restait. On profita des places qui restaient libres pour se mettre à l'aise et pour défaire tout ce que renfermait le panier.

      La prévoyance de la bonne reçut sa récompense; on trouva encore un gros morceau de jambon, des oeufs durs, des pommes de terre, des galettes et force poires et pommes. Le vin et le cidre n'avaient pas, été oubliés. Dans la joie de sa vengeance СКАЧАТЬ