Название: Littérature et Philosophie mêlées
Автор: Victor Hugo
Издательство: Bookwire
Жанр: Документальная литература
isbn: 4064066075965
isbn:
Veut-on à la fois de l'atroce et du ridicule? Qu'on lise une lettre du représentant Dumont à la Convention, en date du 1er octobre 1793: «Citoyens collègues, je vous marquais, il y a deux jours, la cruelle situation dans laquelle se trouvaient les sans-culottes de Boulogne, et la criminelle gestion des administrateurs et officiers municipaux. Je vous en dis autant de Montreuil, et j'ai usé en cette dernière ville de mon excellent remède—la guillotine.—Après avoir ainsi agi au gré de tous les patriotes, j'ai eu le doux avantage d'entendre, comme à Montreuil, les cris répétés de vive la Montagne! Quarante-quatre charrettes ont emmené devant moi les personnes…»
Le Moniteur, livre si fécond en méditations, est à peu près le seul avantage que nous ayons retiré de trente ans de malheurs. Notre révolution de boue et de sang a laissé un monument unique et indélébile, un monument d'encre et de papier.
L'hermine de premier président du parlement de Paris fut plus d'une fois ensanglantée par des meurtres populaires ou juridiques; et l'histoire recueillera ce fait singulier, que le premier titulaire de cette charge, Simon de Bucy, pour qui elle fut instituée en 1440, et le dernier qui en fut revêtu, Bochard de Saron, furent tous deux victimes des troubles révolutionnaires. Fatalité digne de méditation!
Tout historien qui se laisse faire par l'histoire, et qui n'en domine pas l'ensemble, est infailliblement submergé sous les détails.
Sindbad le marin, ou je ne sais quel autre personnage des Mille et une Nuits, trouva un jour, au bord d'un torrent, un vieillard exténué qui ne pouvait passer. Sindbad lui prêta le secours de ses épaules, et le bonhomme s'y cramponnant alors avec une vigueur diabolique, devint tout à coup le plus impérieux des maîtres et le plus opiniâtre des écuyers. Voilà, à mon sens, le cas de tout homme aventureux qui s'avise de prendre le temps passé sur son dos pour lui faire traverser le Léthé, c'est-à-dire d'écrire l'histoire. Le quinteux vieillard lui trace, avec une capricieuse minutie, une route tortueuse et difficile; si l'esclave obéit à tous ses écarts, et n'a pas la force de se faire un chemin plus droit et plus court, il le noie malicieusement dans le fleuve.
FRAGMENTS DE CRITIQUE A PROPOS D'UN LIVRE POLITIQUE ÉCRIT PAR UNE FEMME
Décembre 1819.
I
Le Baile Molino demandant un jour au fameux Ahmed pacha pourquoi Mahomet défendait le vin à ses disciples: Pourquoi il nous le défend? s'écria le vainqueur de Candie; c'est pour que nous trouvions plus de plaisir à le boire.» Et en effet, la défense assaisonne. C'est ce qui donne la pointe à la sauce, dit Montaigne; et, depuis Martial, qui chantait à sa maîtresse: Galla, nega, satiatur amor, jusqu'à ce grand Caton, qui regretta sa femme quand elle ne fut plus à lui, il n'est aucun point sur lequel les hommes de tous les temps et de tous les lieux se soient montrés aussi souvent les vrais et dignes enfants de la bonne Ève.
Je ne voudrais donc pas qu'on défendît aux femmes d'écrire; ce serait en effet le vrai moyen de leur faire prendre la plume à toutes. Bien au contraire, je voudrais qu'on le leur ordonnât expressément, comme à ces savants des universités d'Allemagne, qui remplissaient l'Europe de leurs doctes commentaires, et dont on n'entend plus parler depuis qu'il leur est enjoint de faire un livre au moins par an.
Et en effet c'est une chose bien remarquable et bien peu remarquée, que la progression effrayante suivant laquelle l'esprit féminin s'est depuis quelque temps développé. Sous Louis XIV, on avait des amants, et l'on traduisait Homère; sous Louis XV, on n'avait plus que des amis, et l'on commentait Newton; sous Louis XVI, une femme s'est rencontrée qui corrigeait Montesquieu à un âge où l'on ne sait encore que faire des robes à une poupée. Je le demande, où en sommes-nous? où allons-nous? que nous annoncent ces prodiges? quelles sont ces nouvelles révolutions qui se préparent?
Il y a une idée qui me tourmente, une idée qui nous a souvent occupés, mes vieux amis et moi; idée si simple, si naturelle, que si une chose m'étonne, c'est qu'on ne s'en soit pas encore avisé, dans un siècle où il semble que l'on s'avise de tout et où les récureurs de peuples en sont aux expédients.
Je songeais, dis-je, en voyant cette émancipation graduelle du sexe féminin, à ce qu'il pourrait arriver s'il prenait tout à coup fantaisie à quelque forte tête de jeter dans la balance politique cette moitié du genre humain, qui jusqu'ici s'est contentée de régner au coin du feu et ailleurs. Et puis les femmes ne peuvent-elles pas se lasser de suivre sans cesse la destinée des hommes? Gouvernons-nous assez bien pour leur ôter l'espérance de gouverner mieux? aiment-elles assez peu la domination pour que nous puissions raisonnablement espérer qu'elles n'en aient jamais l'envie? En vérité, plus je médite et plus je vois que nous sommes sur un abîme. Il est vrai que nous avons pour nous les canons et les bayonnettes, et que les femmes nous semblent sans grands moyens de révolte. Cela vous rassure, et moi, c'est ce qui m'épouvante.
On connaît cette inscription terrible placée par Fonseca sur la route de Torre del Greco: Posteri, posteri, vestra res agitur! Torre del Greco n'est plus; la pierre prophétique est encore debout.
C'est ainsi que je trace ces lignes, dans l'espoir qu'elles seront lues, sinon de mon siècle, du moins de la postérité. Il est bon que, lorsque les malheurs que je prévois seront arrivés, nos neveux sachent du moins que, dans cette Troie nouvelle, il existait une Cassandre, cachée dans un grenier, rue Mézières, n° 10. Et s'il fallait, après tout, que je dusse voir de mes yeux les hommes devenus esclaves et l'univers tombé en quenouille, je pourrai du moins me faire honneur de ma sagacité; et, qui sait? je ne serai peut-être pas le premier honnête homme qui se sera consolé d'un malheur public en songeant qu'il l'avait prédit.
II
La politique, disait Charles XII, c'est mon épée. C'est l'art de tromper, pensait Machiavel. Selon Mme de M——, ce serait le moyen de gouverner les hommes par la prudence et la vertu. La première définition est d'un fou, la seconde d'un méchant, celle de Mme de M—— est la seule qui soit d'un honnête homme. C'est dommage qu'elle soit si vieille et que l'application en ait été si rare.
Après avoir établi cette définition, Mme de M—— expose l'origine des sociétés. Jean-Jacques les fait commencer par un planteur de pieux, et Vitruve par un grand vent, probablement parce que le système de la famille était trop simple. Avec ce bon sens de la femme, supérieur au génie des philosophes, Mme de M—— se contente d'en chercher le principe dans la nature de l'homme, dans ses affections, dans sa faiblesse, dans ses besoins. Tout le passage dénote dans l'auteur beaucoup d'érudition et de sagacité. Il est curieux de voir une femme citer tour à tour Locke et Sénèque, l'Esprit des lois et le Contrat social; mais, ce qui est encore plus remarquable, c'est l'accent de bonne foi et de raison auquel nous n'étions plus accoutumés, et qui contraste si étrangement avec le ton rogue et sauvage qu'ont adopté depuis quelque temps les précepteurs du genre humain.
L'auteur, suivant la marche des idées, s'occupe ensuite des chefs des sociétés. On a beaucoup écrit sur les devoirs des rois, beaucoup plus que sur les devoirs des peuples. Il en a été des portraits d'un bon souverain comme de ces pyramides placées sur le bord des routes du Mexique, où chaque voyageur se faisait un devoir d'apporter sa pierre. Il n'y a si mince grimaud qui n'ait voulu charbonner à son tour le maître des nations. On dirait que les philosophes eux-mêmes СКАЧАТЬ