Les trois Don Juan. Guillaume Apollinaire
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les trois Don Juan - Guillaume Apollinaire страница 4

Название: Les trois Don Juan

Автор: Guillaume Apollinaire

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ te prendre au coucher du soleil. Sois prêt.»

      Ébloui, enivré, consterné de ces paroles, Juan passa le reste de la journée dans une agitation violente. Une vraie fête! Une orgie, peut-être! Tout cela lui semblait merveilleux et terrible.

      Il revêtit un pourpoint bleu de ciel, brodé de soie blanche, manches de dessous et chausses de soie blanche aussi.

      Jorge loua la simplicité de ce costume qui faisait ressortir l'éclatante beauté du jeune homme.

      «Tu as eu tort, lui dit-il seulement, de prendre l'épée que t'a donnée ton parrain: c'est une arme de parade ou guerre et non de promenade. J'ai ce qu'il te faut, une rapière à riche garde, dont le fourreau, en velours bleu de ciel, s'harmonisera parfaitement à ton habit.

      «Essaie-la toi-même. Tu verras qu'elle est bonne, bien montée et bien trempée. Tout le poids est dans la garde; la lame est légère et simple. Elle vient, la marque du petit chien en fait foi, de Romero, le meilleur armurier de Tolède.

      «J'ai eu plus d'une fois l'occasion de m'en servir et n'ai jamais eu qu'à m'en louer. Je l'ai, en maintes rencontres, prêtée à des amis qui ont toujours tué ou blessé leur homme. C'est ce que je puis appeler une épée heureuse. Elle te portera bonheur. Je te la donne.»

      Juan ceignit la rapière, remercia son oncle et partit avec lui.

      Le cœur lui battait fort en entrant chez Don Rinalte. Celui-ci vint à la rencontre de ses hôtes dès qu'ils furent annoncés.

      C'était un homme d'une quarantaine d'années, gros et grand, l'allure d'un seigneur et d'un bon vivant.

      Dans le salon se trouvaient déjà les autres convives.

      La vue des femmes mit un éblouissement dans l'âme de Juan. Il les admirait toutes trois sans les distinguer encore.

      Dès l'abord, elles ne se firent point faute de le regarder. Jamais elles n'avaient vu de jeune homme aussi accompli. Les femmes galantes savent juger du premier coup d'œil la beauté masculine.

      Juan se trouvait quelque peu embarrassé de cet examen. Il craignait plutôt d'être un objet de ridicule que d'admiration.

      Mais les autres hommes ne s'y trompèrent pas. Les deux anciens échangèrent un sourire, tandis que le plus jeune pinçait les lèvres.

      Don Niceto Iglesias, dans sa vingt-cinquième année, avait l'œil vif, les dents blanches, les cheveux noirs, les traits réguliers et fins, la taille svelte, toute la grâce andalouse enfin.

      Une main habile avait, de plus, parfait l'élégance de son magnifique costume, satin et velours, or et broderies. Un soin méticuleux avait présidé à sa toilette capillaire.

      Il passait pour le plus joli garçon de Séville. Il le savait et tenait à cette réputation.

      À l'instant, il se sentit dépossédé. La supériorité de son nouveau concurrent était trop manifeste et ne permettait pas le doute. Le jugement des trois courtisanes n'était-il point du reste sans appel?

      Don Niceto devint sur-le-champ jaloux de Don Juan et, pour un fat comme pour une coquette, la jalousie c'est la haine. Mais c'était un homme bien élevé, qui connaissait son monde. Et puis n'était-il pas plus habile de prendre son parti d'une défaite inévitable?

      Il se résolut donc à traiter en ami ce rival inconnu et dans le fond du cœur détesté.

      Juan s'efforça de répondre dignement aux prévenances du jeune cavalier, mais il eut beau faire pour être cordial, il ne fut que poli. L'instinct lui faisait pressentir un ennemi sous ces dehors bienveillants, comme un serpent sous des fleurs.

      Les deux portes du salon s'ouvrirent toutes grandes, et le maître d'hôtel, suivi des laquais porte-flambeaux, annonça que le souper était servi.

      Les femmes se débarrassèrent de leurs mantilles. Les épaules splendides de l'une, plus frêles mais non moins blanches des autres, apparurent à nu. C'était l'usage des courtisanes de se décolleter assez bas. Leur corsage, fendu dans le sens de la longueur, laissait voir leurs seins fermes et marbrés de délicates veines bleues. Par derrière, la ligne du corsage s'infléchissait en arc jusqu'à la taille. Les robes étaient si légères! Elles ignoraient le corset. Ce spectacle ne fut pas sans mettre quelque émoi dans l'âme encore inexperte du jeune Juan.

      Après s'être levé comme tout le monde, il ne sut plus que faire et resta embarrassé comme un nigaud au milieu du salon. Don Niceto offrit son bras à Soledad, qui était considérée comme la maîtresse de maison.

      La Pandora attendait debout. C'était une magnifique créature, grande, admirablement faite, blanche et pâle comme le marbre, avec de grands yeux noirs et des cheveux aile-de-corbeau. Elle avait une robe de satin noir, une basquine jaune, une chaîne d'or au cou et, dans la chevelure, une rose d'un rouge éclatant. Les deux amies étaient vêtues avec un luxe égal. Elles avaient adopté une mode singulière, qui consistait à se couvrir la tête de perruques aux diverses couleurs de l'arc-en-ciel. Celle-ci, fille blonde de la Murcie, cette autre Catalane, s'étaient ainsi donné des chevelures d'or aux reflets d'aubergine et d'orange.

      Voyant que ni l'oncle ni le neveu ne venaient à elle, la Pandora alla résolument au jeune homme et lui donna le bras en souriant.

      Juan trembla, et involontairement il serrait ce beau bras nu qui venait de se poser sur le sien.

      «Voilà un fort beau couple en vérité!» s'exclama Don Rinalte.

      Juan sourit et baissa les yeux; Pandora fit une petite moue dédaigneuse.

      Juan, hasard ou non, se trouva placé à droite de la Pandora, qui avait à sa gauche Don Niceto.

      On trouvait là réuni tout ce qui fait la beauté, l'excellence et le charme d'un repas.

      La salle était décorée avec goût et follement illuminée. Il y avait des fleurs à profusion; la nappe était jonchée de feuilles de roses. La table resplendissait des luxes européens les plus raffinés: toiles damassées de Flandre, cristaux de Venise, argenterie de Florence. Chaque détail avait son prix et révélait quel expert dilettante était Don Rinalte.

      Les mets recherchés, les vins dorés, la beauté demi nue des femmes, l'odeur mêlée des parfums et de la chair, une conversation animée, tout parlait aux sens, invitait à l'abandon et au plaisir.

      Cependant le souper commença tranquillement. Les gens qui savent vivre graduent les jouissances.

      Les femmes, d'ailleurs, témoignaient encore d'une certaine réserve. Juan se demandait même s'il ne s'agissait point là de véritables dames du monde égarées.

      L'influence de la bonne chère se fit sentir peu à peu. Esprits et regards s'animèrent. Les voix s'élevèrent, le ton devint plus vif. L'oncle risqua quelques propos salés qui reçurent des convives le meilleur accueil.

      Juan buvait comme tout le monde, et sa timidité s'évanouissait dans les fumées du vin. Les lumières lui semblaient plus brillantes, les hommes plus spirituels et les femmes plus jolies s'il est possible. Il voyait rose. Son sang circulait plus vite et lui donnait du courage. Il osa parler et parla bien. Il eut de l'esprit, et les hommes eux-mêmes furent obligés de l'applaudir.

      «Il est charmant, dit Rinalte d'un air paternel.

      –Adorable! appuya Niceto.»

      Jorge СКАЧАТЬ