Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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      Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S)

      Q

       QUAI, s. m. (quay). Mur de soutènement élevé pour maintenir les berges d'une rivière ou d'un port, pour encaisser les cours d'eau, éviter les inondations ou les empiétements.

      Les ports antiques étaient munis de beaux quais, et, dans toutes les villes romaines élevées sur le bord des fleuves, des quais réglaient leur cours. Nos villes du moyen âge laissent voir souvent encore des traces de quais, bien bâtis, en gros quartiers de pierre.

      Les anciennes murailles romaines de la Cité de Paris servirent longtemps de quais, et l'on en retrouvé la trace sur beaucoup de points; mais on n'éleva qu'assez tard des quais sur les rives de droite et de gauche de la Seine et lorsque la ville s'était déjà fort étendue au nord et au sud.

      «Anciennement, dit le P. du Breuil 1, le long du petit bras de la Seine, qui passe par dessous le pont Saint-Michel, et s'estend jusques à la porte de Nesle 2, il n'y avoit point de muraille du costé des Augustins: ains seulement une saulsaye, à l'ombre de laquelle les habitants de Paris souloient promener et rafraîchir en esté. Mais pource qu'en hyver le débordement des eaux venoit jusques dans les maisons de la dicte rue. Le roy Philippe quatrième, dit le Bel, commanda aux prevost et eschevins de Paris de faire (ou plustot continuer le quay ja commencé) de grosses murailles en toute diligence avant l'hyver, par ses lettres patentes données in regali abbatia beatæe Mariæ, juxta Pontisaram (qui est Maubuisson), le 9 de juin 1312...»

      Les murs de ce quai existaient encore en partie avant les travaux de canalisation du petit bras de la Seine. Ils étaient faits en belles assises réglées de roche de la plaine.

      Sous François Ier et Henri II, on construisit à Paris des quais sur les deux rives de la Seine, depuis la vallée de Misère jusqu'à la porte Neuve en aval du Louvre 3, et depuis la porte Saint-Bernard jusqu'au bas de Saint-Victor 4.

      La construction de ces quais ne différait pas de celle adoptée de nos jours; elle consistait en un mur très-épais en blocage revêtu extérieurement d'un parement de pierre de taille; quelquefois, si ces murs de soutènement avaient beaucoup de relief, on leur donnait de la résistance et de l'assiette par des contre-forts intérieurs noyés dans les remblais. La place étant rare, dans la plupart des villes du moyen âge, on cherchait à gagner sur la rivière au moyen d'encorbellements, sans rétrécir le chenal.

      Mais ce mode de construction, dont nous donnons un exemple (fig. 1), avait l'inconvénient de présenter une suite d'obstacles au cours de l'eau dans les fortes crues, et on ne l'employa guère que si les murs de quais avaient un très-grand relief au-dessus de l'étiage. On préféra, dans certaines circonstances, laisser un chenal voûté sous le quai, en posant le mur extérieur sur des piles isolées réunies par des arcs. Quelques portions de quais avaient ainsi été construites à Paris, notamment le long de la Cité, côté nord. La ville de Lyon possédait d'assez belles parties de quais sur la rive droite de la Saône dès le XVe siècle, qui avaient été élevées pour garantir cette rive basse, le long des coteaux de Fourvières; contre les inondations de la rivière. Toutefois ces travaux, dans les grandes villes du moyen âge, manquaient d'ensemble; ils étaient fractionnés, laissaient des lacunes, des berges abandonnées. Il fallait, ou la puissance romaine, ou notre centralisation administrative moderne, avec ses moyens d'expropriation, pour pouvoir ordonner et mener à fin tout un système de quais le long des rives d'un fleuve traversant une ville populeuse. Ce n'est que de nos jours, en effet, qu'on a pu établir des lignes de quais continues dans des villes comme Paris, Lyon, Bordeaux, Nantes, Rouen, etc., et notre génération a vu encore, dans la plupart de ces grandes cités, les maisons, sur bien des points, baignées par les cours d'eau.

       QUATREFEUILLE, s. m. Dans le langage des archéologues, c'est le nom que l'on donne à un membre d'architecture composé de quatre lobes circulaires. La figure 1 donne en A un quatrefeuille parfait, c'est-à-dire composé de quatre demi-cercles, dont les diamètres sont les quatre côtés d'un carré. Les quatrefeuilles sont parfois tracés de telle façon que les cercles ne se rencontrent pas, comme on le voit en a. Nous signalons aussi des ouvertures en quatrefeuille disposées comme le tracé B: sur les flancs des tours de la cathédrale de Paris, par exemple, et principalement dans des constructions du commencement du XIIIe siècle. On dit aussi quintefeuille pour désigner un membre composé de cinq lobes (voy. en C). Pendant le XIVe siècle, le quintefeuille est quelquefois tracé suivant la figure D, c'est-à-dire au moyen d'arcs brisés; toutefois cette forme est rarement adoptée. Ces figures géométriques remplissent habituellement (sauf celle B) les oeils supérieurs des fenêtres à meneaux; c'est un moyen de diminuer l'espace à vitrer et de maintenir les panneaux de verre. Les quatrefeuilles et quintefeuilles forment aussi des ornements sur des nus, et alors sont aveugles; les extrémités de redents sont fréquemment ornées de bouquets feuillus (voy. FENÊTRE, MENEAU, REDENT).

      R

       RECLUSOIR, s. m. Il était d'usage de pratiquer, auprès de certaines églises du moyen âge, de petites cellules dans lesquelles s'enfermaient des femmes renonçant pour jamais au monde. Ces reclusoirs avaient le plus souvent une petite ouverture grillée s'ouvrant sur l'intérieur de l'église. Le P. du Breuil 5 raconte qu'une certaine Alix la Bourgotte s'était fait enfermer ainsi dans un petit logis proche du grand portail de l'église des Innocents: «Et pour remarque, ajoute-t-il, se voit encore un treillis en une petite fenêtre qui a veuë dans l'église, par où elle entendoit la messe.» Un tombeau de bronze avait été élevé à cette recluse en la chapelle Notre-Dame, en 1466. Toutes les recluses n'étaient pas volontaires. «Renée de Vendomois ayant fait tuer son mari», dit l'abbé Lebeuf en parlant du reclusoir des saints Innocents «le roi, en considération du duc d'Orléans, lui fit grâce en 1485; et le parlement, entre autres punitions, la condamna à demeurer perpétuellement recluse et murée au cimetière des Innocents, en une petite maison qui lui devoit être faite... J'avois pensé, ajoute Lebeuf, que la turricule octogone et isolée que l'on voit dans ce cimetière auroit pu être la prison qu'on lui donna.» Mais l'édicule dont parle Lebeuf était bien plutôt une lanterne des morts, comme il était d'usage d'en élever dans presque tous les cimetières du moyen âge.

      Le même auteur rapporte qu'en l'église Saint-Médard «avoit été fait, comme en plusieurs autres de Paris, au XIVe et XVe siècle un reclusoir, c'est-à-dire une cellule où vivoit une femme recluse pour le reste de ses jours.»

      Il n'y avait jamais, dans chaque église, qu'une seule recluse à la fois, celles qui prétendaient lui succéder attendaient qu'elle fût morte. Cet usage était fort ancien, puisque dans l'ancienne abbaye de Saint-Victor, et avant sa reconstruction par Louis le Gros, une certaine Basilla, recluse, avait été ensevelie dans le reclusoir où elle avait passé sa vie 6.

      On voit encore dans l'église du Mas-d'Azil (Ariége), proche du choeur et dans l'épaisseur du mur, une petite cellule dans laquelle il était d'usage d'enfermer un fou. Cette cellule très-exiguë ne prenait de jour et d'air que de l'intérieur de l'église. Il y avait bien là tout ce qu'il fallait pour rendre fou un homme sensé; nous n'avons pu savoir si c'était dans l'espoir de guérir ces malheureux qu'on les chartrait ainsi. Charles V fit élever un bel oratoire de boiseries à Saint-Merry, sa paroisse, pour une certaine Guillemette, qui passait pour sainte et se tenait constamment СКАЧАТЬ



<p>1</p>

Le Théâtre des antiquités de Paris, édit. de 1612, p. 772.

<p>2</p>

Le quai Conti.

<p>3</p>

Corrozet, Antiquités de Paris, p. 160.

<p>4</p>

Du Breuil, p. 771.

<p>5</p>

Théâtre des antiq. de Paris, édit. de 1612, p. 837.--Hist. du dioc. de Paris, l'abbé Lebeuf, t. I, p. 80.

<p>6</p>

Hist. du dioc. de Paris, l'abbé Lebeuf, t II, p. 542.