Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1 - (A). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ fit le voyage d'outre-mer, il ne s'inspira guère des édifices arabes qu'il fut à même de visiter, car la Sainte-Chapelle ressemble aussi peu aux anciens monuments du Caire qu'aux temples de Pestum. Quoi qu'il en soit, la légende est bonne à noter en ce qu'elle donne la mesure de l'estime que le roi saint Louis faisait de l'artiste. Pierre de Montereau fut enterré avec sa femme au milieu du choeur de cette belle chapelle de Saint-Germain des Prés, qu'il avait élevée avec un soin particulier et qui passait à juste titre pour un chef-d'oeuvre, si nous jugeons de l'ensemble par les fragments déposés dans les dépendances de l'église de Saint-Denis. Cette tombe n'était qu'une dalle gravée; elle fut brisée et jetée aux gravois lorsque la chapelle qui la contenait fut démolie.

      Libergier construisit à Reims une église, Saint-Nicaise, admirable monument élevé dans l'espace de trente années par cet architecte; une belle et fine gravure du XVIIe siècle nous conserve seule l'aspect de la façade de cette église, la perle de Reims; elle fut vendue et démolie comme bien national. Toutefois les Rémois, plus scrupuleux que les Parisiens, en détruisant l'oeuvre de leur compatriote, transportèrent sa tombe dans la cathédrale de Reims, où chacun peut la voir aujourd'hui; c'est une pierre gravée. Libergier tient à la main gauche une verge graduée, dans sa droite un modèle d'église avec deux flèches comme saint Nicaise; à ses pieds sont gravés un compas et une équerre; deux anges disposés des deux côtés de sa tête tiennent des encensoirs. L'inscription suivante pourtourne la dalle:

      CI.GIT.MAISTRE.HUES.LIBERGIERS.QUI.COMENSA.CESTE.EGLISE.AN.LAN.DE. LINCARNATION.

      M.CC.ET.XX.IX.LE.MARDI.DE.PAQUES.ET.TRESPASSA.LAN.DE.LINCARNATION. M.CC.LXIII.LE.SAMEDI.APRES.PAQUES.POUR.DEU.PRIEZ.POR.LUI 3.

      Libergier porte le costume laïque; nous donnerons ce que nous possédons de son oeuvre dans le mot ÉGLISE.

      Jean de Chelles construisait, en 1257, sous l'épiscopat de Regnault de Corbeil, les deux pignons du transsept et les premières chapelles au choeur de Notre-Dame de Paris. La grande inscription sculptée en relief sur le soubassement du portail sud, par la place qu'elle occupe, et le soin avec lequel on l'a exécutée, fait ressortir l'importance que l'on attachait au choix d'un homme capable, et le souvenir que l'on tenait à conserver de son oeuvre. Voici cette inscription:

      ANNO.DOMINI.MCCLVII.MENSE.FEBRUARIO.IDUS.SECUNDO.

      HOC.FUIT.INCEPTUM.CHRISTI.GENITRICIS.HONORE.

      KALLENSI.LATUOMO.VIVENTE.JOHANNE.MAGISTRO.

      En 1277 le célèbre architecte Erwin de Steinbach commençait la construction du portail de la cathédrale de Strasbourg, et au-dessus de la grande porte on lisait encore il y a deux siècles cette inscription:

      ANNO.DOMINI.MCCLXXVII.IN.DIE.BEATI

      URBANI.HOC.GLORIOSUM.OPUS.INCOHAVIT.

      MAGISTER.ERVINUS.DE.STEINBACH.

      Erwin meurt en 1318, et son fils continue son oeuvre jusqu'à la grande plate-forme des tours.

      Ce respect pour l'oeuvre de l'homme habile, intelligent, n'est plus dans nos moeurs, soit; mais n'en tirons point vanité, il ne nous semble pas que l'oubli et l'ingratitude soient les signes de la civilisation d'un peuple.

      Ces grands architectes des XIIe et XIIIe siècles, nés la plupart dans le domaine royal et plus particulièrement sortis de l'Ile-de-France, ne nous sont pas tous connus. Les noms de ceux qui ont bâti les cathédrales de Chartres et de Reims, de Noyon et de Laon, l'admirable façade de la cathédrale de Paris ne nous sont pas conservés, mais les recherches précieuses de quelques archéologues nous font chaque jour découvrir des renseignements pleins d'intérêt sur ces artistes, sur leurs études, et leur manière de procéder. Nous verrons paraître prochainement un recueil de croquis faits par l'un d'eux, Villard de Honnecourt, avec des observations et annotations sur les monuments de son temps. Villard de Honnecourt, qui dirigea les constructions du choeur de la cathédrale de Cambrai, démolie aujourd'hui, et qui fut appelé en Hongrie pour entreprendre d'importants travaux, était le contemporain et l'ami de Pierre de Corbie, architecte célèbre du XIIIe siècle, constructeur de plusieurs églises en Picardie et qui pourrait bien être l'auteur des chapelles absidales de la cathédrale de Reims. Ces deux artistes composèrent ensemble une église sur un plan fort original, décrit par Villard 4.

      C'est principalement dans les villes du nord qui s'érigent en communes au XIIe siècle que l'on voit l'architecture se dégager plus rapidement des traditions romanes. Le mouvement intellectuel dans ces nouveaux municipes du nord ne conservait rien du caractère aristocratique de la municipalité romaine; aussi ne doit-on pas être surpris de la marche progressive des arts et de l'industrie, dans un espace de temps assez court, au milieu de ces cités affranchies avec plus ou moins de succès, et de l'importance que devaient prendre parmi leurs concitoyens les hommes qui étaient appelés à diriger d'immenses travaux, soit par le clergé, soit par les seigneurs laïques, soit par les villes elles-mêmes.

      Il est fort difficile de savoir aujourd'hui quelles étaient exactement les fonctions du maître de l'oeuvre au XIIIe siècle. Était-il seulement chargé de donner les dessins des bâtiments et de diriger les ouvriers, ou administrait-il, comme de nos jours, l'emploi des fonds? Les documents que nous possédons et qui peuvent jeter quelque lumière sur ce point, ne sont pas antérieurs au XIVe siècle, et à cette époque, l'architecte n'est appelé que comme un homme de l'art que l'on indemnise de son travail personnel. Celui pour qui l'on bâtit, achète à l'avance et approvisionne ses matériaux nécessaires, embauche des ouvriers, et tout le travail se fait suivant le mode connu aujourd'hui sous le nom de RÉGIE. L'évaluation des ouvrages, l'administration des fonds ne paraissent pas concerner l'architecte. Le mode d'adjudication n'apparaît nettement que plus tard, à la fin du XIVe siècle, mais alors l'architecte perd de son importance; il semble que chaque corps d'état traite directement en dehors de son action pour l'exécution de chaque nature de travail; et ces adjudications faites au profit du maître de métier, qui offre le plus fort rabais à l'extinction des feux, sont de véritables forfaits.

      Voici un curieux document 5 qui indique d'une manière précise quelle était la fonction de l'architecte au commencement du XIVe siècle. Il s'agit de la construction de la cathédrale de Gérone; mais les usages de la Catalogne, à cette époque, ne devaient pas différer des nôtres, d'ailleurs il est question d'un architecte français.

      Le chapitre de la cathédrale de Gérone se décide, en 1312, à remplacer la vieille église romane par une nouvelle, plus grande et plus digne. Les travaux ne commencent pas immédiatement, et on nomme les administrateurs de l'oeuvre (obreros), Raymond de Viloric et Arnauld de Montredon. En 1316 les travaux sont en activité, et on voit apparaître, en février 1320, sur les registres capitulaires, un architecte désigné sous le nom de maître Henry de Narbonne. Maître Henri meurt et sa place est occupée par un autre architecte son compatriote, nommé Jacques de Favariis; celui-ci s'engage à venir de Narbonne six fois l'an, et le chapitre lui assure un traitement de deux cent cinquante sous par trimestre (la journée d'une femme était alors d'un denier).» Voici donc un conseil d'administration qui probablement est chargé de la gestion des fonds, puis un architecte étranger, appelé, non pour suivre l'exécution chaque jour, et surveiller les ouvriers, mais seulement pour rédiger les projets, donner les détails, et veiller de loin en loin à ce que l'on s'y conforme; pour son travail d'artiste on lui assure, non des honoraires proportionnels, mais un traitement qui équivaut, par trimestre, à une somme de quinze cents francs de nos jours. Il est probable qu'alors le mode d'appointements СКАЧАТЬ



<p>3</p>

Voy. la Notice de M. Didron sur cet architecte et la gravure de sa tombe. Annales archéologiques, t. I, p. 82 et 117.

<p>4</p>

M. Lassus, notre confrère et ami, mettra bientôt au jour le manuscrit de Villard de Honnecourt; et par ce que nous en connaissons, il est certain que ce travail donnera une idée complète des connaissances théoriques en architecture au XIIIe siècle.

<p>5</p>

Extrait du registre intitulé: Curia del vicariato de Gerona, liber notularum ab anno 1320 ad 1322. folio 48.