Название: Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1 - (A)
Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
Жанр: Техническая литература
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Voici comment au XVe siècle l'architecte qui réédifia en grande partie le choeur de l'église d'Eu sut prévenir le relèvement des arcs-boutants surmontés seulement de la trop faible charge des aqueducs à jour. Au lieu de poser immédiatement les pieds-droits de l'aqueduc sur l'extrados de l'arc (63), comme dans le choeur de la cathédrale d'Amiens, il établit d'abord sur cet extrados un premier étai de pierre AB. Cet étai est appareillé comme une plate-bande retournée, de façon à opposer une résistance puissante au relèvement de l'arc produit au point C par la poussée de la voûte; c'est sur ce premier étai, rendu inflexible, que sont posés les pieds-droits de l'aqueduc, pouvant dès lors être allégé sans danger. D'après ce système, les à-jour D ne sont que des étrésillons qui sont destinés à empêcher toute déformation de l'arc de E en C; l'arc ECH et sa tangente AB ne forment qu'un corps homogène parfaitement rigide par suite des forces contraires qui se neutralisent en agissant en sens inverse. L'inflexibilité de la première ligne AB étant opposée au relèvement de l'arc, le chaperon FG conserve la ligne droite et forme un second étai de pierre qui maintient encore les poussées supérieures de la voûte; la figure ECHFG présente toute la résistance d'un mur plein sans en avoir le poids. Ces arcs-boutants sont à doubles volées, et le même principe est adopté dans la construction de chacune d'elles.
L'emploi de l'arc-boutant dans les grands édifices exige une science approfondie de la poussée des voûtes, poussée qui, comme nous l'avons dit plus haut, varie suivant la nature des matériaux employés, leur poids et leur degré de résistance. Il ne faut donc pas s'étonner si de nombreuses tentatives faites par des constructeurs peu expérimentés ne furent pas toujours couronnées d'un plein succès, et si quelques édifices périssent par suite du défaut d'expérience de leurs architectes.
Lorsque le goût dominant vers le milieu du XIIIe siècle poussa les constructeurs à élever des églises d'une excessive légèreté et d'une grande élévation sous voûtes, lorsque l'on abandonna partout le système des arcs-boutants primitifs dont nous avons donné des types (fig. 50, 52, 54), il dut y avoir, et il y eut en effet pendant près d'un demi-siècle, des tâtonnements, des hésitations, avant de trouver ce que l'on cherchait: l'arc-boutant réduit à sa véritable fonction. Les constructeurs habiles résolurent promptement le problème par des voies diverses, comme à Saint-Denis, comme à Beauvais, comme à Saint-Pierre de Chartres, comme à la cathédrale du Mans, comme à Saint-Étienne d'Auxerre, comme à Notre-Dame de Semur, comme aux cathédrales de Reims, de Coutances et de Bayeux, etc., tous édifices bâtis de 1220 à 1260; mais les inhabiles (et il s'en trouve dans tous les temps) commirent bien des erreurs jusqu'au moment où l'expérience acquise à la suite de nombreux exemples put permettre d'établir des règles fixes, des formules qui pouvaient servir de guide aux constructeurs novices ou n'étant pas doués d'un génie naturel. À la fin du XIIIe siècle, et pendant le XIVe, on voit en effet l'arc-boutant appliqué sans hésitation partout; on s'aperçoit alors que les règles touchant la stabilité des voûtes sont devenues classiques, que les écoles de construction ont admis des formules certaines; et si quelques génies audacieux s'en écartent, ce sont des exceptions.
Il existe en France trois grandes églises bâties pendant le XIVe siècle, qui nous font voir jusqu'à quel point ces règles sur la construction des voûtes et des arcs-boutants étaient devenues fixes: ce sont les cathédrales de Clermont-Ferrand, de Limoges et de Narbonne. Ces trois édifices sont l'oeuvre d'un seul homme, ou au moins d'une école particulière, et bien qu'ils soient élevés tous trois au delà de la Loire, ils appartiennent à l'architecture du nord. Comme plan et comme construction, ces trois églises présentent une complète analogie; ils ne diffèrent que par leur décoration; leur stabilité est parfaite; un peu froids, un peu trop soumis à des règles classiques, ils sont par cela même intéressants à étudier pour nous aujourd'hui. Les arcs-boutants de ces trois édifices (les choeurs seuls ont été construits à Limoges et à Narbonne) sont combinés avec un grand art et une connaissance approfondie des poussées des voûtes; aussi dans ces trois cathédrales, très-légères d'ailleurs comme système de bâtisse, les piles sont restées parfaitement verticales dans toute leur hauteur, les voûtes n'ont pas une lézarde, les arcs-boutants ont conservé toute la pureté primitive de leur courbe.
Nous donnons ici (64) un des arcs-boutants de la cathédrale de Clermont-Ferrand, construits comme toute cette église en lave de Volvic.
Un des arcs-boutants de la cathédrale de Narbonne (65), construits en pierre de Sainte-Lucie, qui est un calcaire fort résistant. Quant au choeur de la cathédrale de Limoges, il est bâti en granit. Dans l'un comme dans l'autre de ces arcs-boutants, les piles A reposent sur les piles de tête des chapelles, et le vide AB se trouve au-dessus de la partie mince des murs de séparation de ces chapelles, comme à Amiens. Ces constructions sont exécutées avec une irréprochable précision. Alors, au XIVe siècle, l'arc-boutant, sous le point de vue de la science, avait atteint le dernier degré de la perfection; vouloir aller plus loin, c'était tomber dans l'abus; mais les constructeurs du moyen âge n'étaient pas gens à s'arrêter en chemin. Évidemment ces étais à demeure étaient une accusation permanente du système général adopté dans la construction de leurs grandes églises; ils s'évertuaient à les dissimuler, soit en les chargeant d'ornements, soit en les masquant avec une grande adresse, comme à la cathédrale de Reims, par des têtes de contre-forts qui sont autant de chefs-d'oeuvre, soit en les réduisant à leur plus simple expression, en leur donnant alors la roideur que doit avoir un étai. C'est ce dernier parti qui fut franchement admis au XIVe siècle dans la construction des arcs-boutants de l'église de Saint-Urbain de Troyes (66).
Que l'on veuille bien examiner cette figure, et l'on verra que l'arc-boutant se compose d'un petit nombre de morceaux de pierre; ce n'est plus, comme dans tous les arcs précédents, une succession de claveaux peu épais, conservant une certaine élasticité, mais au contraire des pierres posées bout à bout, et acquérant ainsi les qualités d'un étai de bois. Ce n'est plus par la charge que l'arc conserve sa rigidité, mais par la combinaison de son appareil. Ici, la buttée n'est pas obtenue au moyen de l'arc ABC, mais par l'étai de pierre DE. L'arc ABC, dont la flexibilité est d'ailleurs neutralisée par l'horizontale BG et le cercle F, n'est là que pour empêcher l'étai DE de fléchir. Si l'architecte qui a tracé cet arc-boutant eût pu faire tailler le triangle DBG dans un seul morceau de pierre, il se fût dispensé de placer le lien AB. Toutefois, pour oser appareiller un arc-boutant de cette façon, il fallait être bien sûr du point de la poussée de la voûte et de la direction de cette poussée, car si ce système de buttée eût été placé un peu au-dessus ou au-dessous de la poussée, si la ligne DE n'eût pas été inclinée suivant le seul angle qui lui convenait, il y aurait eu rupture au point B. Pour que cette rupture n'ait pas eu lieu, il faut supposer que la résultante des pressions diverses de la voûte agit absolument suivant la ligne DE. Ce n'est donc pas trop s'avancer que de dire: le système de l'arc-boutant, au XIVe siècle, était arrivé à son développement le plus complet. Mais on peut avoir raison suivant les règles absolues de la géométrie, et manquer de sens.
L'homme qui a dirigé СКАЧАТЬ