Название: Oeuvres complètes de Guy de Maupassant, volume 08
Автор: Guy de Maupassant
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Il y en a d’énormes et de tout petits, des centaines, des milliers peut-être. Le bois en est rempli, peuplé, fourmillant. Quelques-uns, captivés par les maîtres de l’auberge, sont caressants et tranquilles. Un tout jeune, pris l’autre semaine, reste un peu sauvage encore.
Sitôt que l’on demeure immobile, ils approchent, vous guettent, vous observent. On dirait que le voyageur est la grande distraction des habitants de ce vallon. Dans certains jours, pourtant, on n’en aperçoit pas un seul.
Après l’auberge du Ruisseau-des-Singes, la vallée s’étrangle encore; et soudain, à gauche, deux grandes cascades s’élancent presque du sommet du mont: deux cascades claires, deux rubans d’argent. Si vous saviez comme c’est doux à voir, des cascades, sur cette terre d’Afrique! On monte, longtemps, longtemps. La gorge est moins profonde, moins boisée. On monte encore, la montagne se dénude peu à peu. Ce sont des champs à présent; et, quand on parvient au faîte, on rencontre des chênes, des saules, des ormeaux, les arbres de nos pays. On couche à Médéah, blanche petite ville toute pareille à une sous-préfecture de France.
C’est après Médéah que recommencent les féroces ravages du soleil. On franchit une forêt pourtant, mais une forêt maigre, pelée, montrant partout la peau brûlante de la terre bientôt vaincue. Puis plus rien de vivant autour de nous.
Sur ma gauche un vallon s’ouvre, aride et rouge, sans une herbe; il s’étend au loin, pareil à une cuve de sable. Mais soudain une grande ombre, lentement, le traverse. Elle passe d’un bout à l’autre, tache fuyante qui glisse sur le sol nu. Elle est, cette ombre, la vraie, la seule habitante de ce lieu morne et mort. Elle semble y régner, comme un génie mystérieux et funeste.
Je lève les yeux, et je l’aperçois qui s’en va, les ailes étendues, immobiles, le grand dépeceur de charognes, le vautour maigre qui plane sur son domaine, au-dessous de cet autre maître du vaste pays qu’il tue, le soleil, le dur soleil.
Quand on descend vers Boukhrari, on découvre, à perte de vue, l’interminable vallée du Chélif. C’est, dans toute sa hideur, la misère, la jaune misère de la terre. Elle apparaît loqueteuse comme un vieux pauvre Arabe, cette vallée que parcourt l’ornière sale du fleuve sans eau, bu jusqu’à sa boue par le feu du ciel. Cette fois il a tout vaincu, tout dévoré, tout pulvérisé, tout calciné, ce feu qui remplace l’air, emplit l’horizon.
Quelque chose vous passe sur le front: ailleurs ce serait du vent, ici c’est du feu. Quelque chose flotte là-bas sur les crêtes pierreuses: ailleurs ce serait une brume, ici c’est du feu, ou plutôt de la chaleur visible. Si le sol n’était point déjà calciné jusqu’aux os, cette étrange buée rappellerait la petite fumée qui s’élève des chairs vives brûlées au fer rouge. Et tout cela a une couleur étrange, aveuglante et pourtant veloutée, la couleur du sable chaud auquel semble se mêler une nuance un peu violacée, tombée du ciel en fusion.
Point d’insectes dans cette poussière de terre. Quelques grosses fourmis seulement. Les mille petits êtres qu’on voit chez nous ne pourraient vivre dans cette fournaise. En certains jours torrides, les mouches elles-mêmes meurent, comme au retour des froids dans le Nord. C’est à peine si on peut élever des poules. On les voit, les pauvres bêtes, qui marchent, le bec ouvert et les ailes soulevées, d’une façon lamentable et comique.
Depuis trois ans, les dernières sources tarissent. Et le tout-puissant Soleil semble glorieux de son immense victoire.
Cependant, voici quelques arbres, quelques pauvres arbres. C’est Boghar, à droite, au sommet d’un mont poudreux.
A gauche, dans un repli rocheux, couronnant un monticule et à peine distinct du sol, tant il en a pris la coloration monotone, un grand village se dresse sur le ciel, c’est le ksar de Boukhrari.
Au pied du cône de poussière qui porte ce vaste village arabe, quelques maisons sont cachées dans le mouvement de la colline; elles forment la commune mixte.
Le ksar de Boukhrari est un des plus considérables villages arabes de l’Algérie. Il se trouve juste sur la frontière du Sud, un peu au delà du Tell, dans la zone de transition entre les pays européenisés et le grand Désert. Sa situation lui donne une singulière importance politique, car elle en fait une sorte de trait d’union entre les Arabes du littoral et les Arabes du Sahara. Aussi a-t-il toujours été le pouls des insurrections. C’est là qu’arrive le mot d’ordre, c’est de là qu’il repart. Les tribus les plus éloignées envoient leurs gens pour savoir ce qui se passe à Boukhrari. On a l’œil sur ce point de toutes les parties de l’Algérie.
L’administration française, seule, ne s’occupe point de ce qui se trame à Boukhrari. Elle en a fait une commune de plein exercice, sur le modèle des communes de France, administrée par un maire, vieux paysan à l’œil endormi, flanqué d’un garde champêtre. Entre et sort qui veut. Les Arabes venus de n’importe où peuvent circuler, causer, intriguer à leur guise sans être gênés en rien.
Au pied du ksar, à deux ou trois cents mètres, la commune mixte est gouvernée par l’administrateur civil qui dispose des pouvoirs les plus étendus sur un territoire nu, qu’il est presque inutile de surveiller. Il ne peut empiéter sur les attributions du maire son voisin.
En face, sur la montagne, est Boghar, où habite le commandant supérieur du cercle militaire. Il a entre les mains les moyens d’action les plus actifs, mais il ne peut rien dans le ksar, COMMUNE DE PLEIN EXERCICE. Or le ksar n’est habité que par des Arabes. C’est le point dangereux qu’on respecte, tandis qu’on surveille avec soin les environs. On soigne le mal dans ses effets et non dans sa cause.
Qu’arrive-t-il? Le commandant et l’administrateur, quand ils s’entendent, organisent une sorte de police secrète à l’insu du maire, et tâchent d’être informés mystérieusement.
N’est-il point surprenant de voir ce centre arabe, reconnu dangereux par tout le monde, plus libre qu’une ville de France, tandis qu’il serait impossible à un Français quelconque, s’il n’était protégé par quelque personnage influent, de pénétrer et de circuler sur le territoire militaire des cercles avancés du Sud.
Dans la commune mixte on trouve une auberge. J’y passai la nuit, une nuit d’étuve. L’air semblait brûlé par la flamme du dernier jour. Il ne remuait plus, comme s’il eût été figé par la chaleur.
Aux premières lueurs de l’aurore, je me levai. Le soleil parut, acharné à sa besogne d’incendiaire. Devant ma fenêtre ouverte sur l’horizon déjà torride et silencieux une petite diligence dételée attendait. On lisait sur le panneau jaune: «Courrier du Sud!»
Courrier du Sud! On allait donc encore plus au Sud en ce terrible mois d’août. Le Sud! quel mot rapide, brûlant! Le Sud! Le feu! Là-bas, au Nord, on dit en parlant des pays tièdes «le Midi». Ici c’est «le Sud».
Je regardais cette syllabe si courte qui me paraissait surprenante comme si je ne l’avais jamais lue. J’en découvrais, me semblait-il, le sens mystérieux. Car les mots les plus connus comme les visages souvent regardés ont des significations secrètes, dont on s’aperçoit tout d’un coup, un jour, on ne sait pourquoi.
Le Sud! Le désert, les nomades, les terres inexplorées et puis les nègres, tout un monde nouveau, quelque chose comme le commencement d’un univers! Le Sud! comme cela devient énergique sur la frontière du Sahara.
Dans l’après-midi j’allai visiter le ksar.
Boukhrari est le premier village où l’on rencontre des Oulad-Naïl. On est saisi de stupéfaction à СКАЧАТЬ