Vie de Henri Brulard, tome 2. Stendhal
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Название: Vie de Henri Brulard, tome 2

Автор: Stendhal

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ à travers un brouillard, que Treillard, qui arrivait de son village (Tullins, je pense86), voulut absolument tirer le coup de pistolet comme pour se donner le droit de bourgeoisie parmi nous87.

      En écrivant ceci, l'image de l'arbre de la Fraternité apparaît à mes yeux, ma mémoire fait des découvertes. Je crois voir que l'arbre de la Fraternité était environné d'un mur de deux pieds de haut garni de pierre de taille et soutenant une grille de fer de cinq ou six pieds de haut88.

      Jomard89 était un gueux de prêtre, comme plus tard Ming, qui se fit guillotiner pour avoir empoisonné son beau-père, un M. Martin, de Vienne, ce me semble, ancien membre du Département, comme on disait. Je vis juger ce coquin-là, et ensuite guillotiner. J'étais sur le trottoir, devant la pharmacie de M. Plana.

      Jomard avait laissé croître sa barbe, il avait les épaules drapées dans un drap rouge, comme parricide.

      J'étais si près qu'après l'exécution je voyais les gouttes de sang se former le long du couteau avant de tomber. Cela me fit horreur, et pendant je ne sais combien de jours je ne pus manger de bouilli (bœuf).

       CHAPITRE XXXIV 90

      Je crois que j'ai expédié tout ce dont je voulais parler avant d'entrer dans le dernier récit que j'aurai à faire des choses de Grenoble, je veux dire de ma cascade dans les mathématiques.

      Mlle Kably était partie depuis longtemps et il ne m'en restait plus qu'un souvenir tendre; Mlle Victorine Bigillion était beaucoup à la campagne; mon seul plaisir en lecture était Shakespeare et les Mémoires de Saint-Simon, alors en sept volumes, que j'achetai plus tard en douze volumes, avec les Caractères de91, passion qui a duré comme celle des épinards en physique et qui est aussi forte pour le moins à cinquante-trois92 qu'à treize ans.

      J'aimais d'autant plus les mathématiques que je méprisais davantage mes maîtres, MM. Dupuy et Chabert. Malgré l'emphase et le bon ton, l'air de noblesse et de douceur, qu'avait M. Dupuy en adressant la parole à quelqu'un, j'eus assez de pénétration pour deviner qu'il était infiniment plus ignare que M. Chabert. M. Chabert qui, dans la hiérarchie sociale des bourgeois de Grenoble, se voyait tellement au-dessous de M. Dupuy, quelquefois, le dimanche ou le jeudi matin, prenait un volume d'Euler ou de …93 et se battait ferme avec la difficulté. Il avait cependant toujours l'air d'un apothicaire qui sait de bonnes recettes, mais rien ne montrait comment ces recettes naissent les unes des autres, nulle logique, nulle philosophie dans cette tête; par je ne sais quel mécanisme d'éducation ou de vanité, peut-être par religion, le bon M. Chabert haïssait jusqu'au nom de ces choses.

      Avec ma tête d'aujourd'hui, j'avais il y a deux minutes l'injustice de m'étonner comment je ne vis pas sur-le-champ le remède. Je n'avais aucun secours, par vanité mon grand-père répugnait aux mathématiques, qui étaient la seule borne de sa science presque universelle. Cet homme, ou plutôt monsieur Gagnon n'a jamais rien oublié de ce qu'il a lu, disait-on avec respect à Grenoble. Les mathématiques formaient la seule réponse de ses ennemis. Mon père abhorrait les mathématiques par religion, je crois, il ne leur pardonnait un peu que parce qu'elles apprennent à lever le plan des domaines. Je lui faisais sans cesse des copies du plan de ses biens à Claix, à Echirolles, à Fontagnier, au Chayla (vallée près …94), où il venait de faire une bonne affaire.

      Je méprisais Bezout, autant que MM. Dupuy et Chabert.

      Il y avait bien cinq à six forts à l'Ecole centrale, qui furent reçus à l'Ecole polytechnique en 1797 ou 98, mais ils ne daignaient pas répondre à mes difficultés95, peut-être exposées peu clairement, ou plutôt qui les embarrassaient.

      J'achetai ou je reçus en prix les œuvres de l'abbé Marie, un volume in-8°. Je lus ce volume avec l'avidité d'un roman. J'y trouvai les vérités exposées en d'autres termes, ce qui me fit beaucoup de plaisir et récompensa ma peine, mais du reste rien de nouveau.

      Je ne veux pas dire qu'il n'y ait pas réellement du nouveau, peut-être je ne le comprenais pas, je n'étais pas assez instruit pour le voir.

      Pour méditer plus tranquillement, je m'étais établi dans le salon meublé de douze beaux fauteuils brodés par ma pauvre mère et que l'on n'ouvrait qu'une ou deux fois l'an, pour ôter la poussière. Cette pièce m'inspirait le recueillement, j'avais encore, dans ce temps-là, l'image des jolis soupers donnés par ma mère. On quittait ce salon étincelant de lumières pour passer, à dix heures sonnant, dans la belle salle-à-manger, où l'on trouvait un poisson énorme. C'était le luxe de mon père; il avait encore cet instinct dans l'état de dévotion et de spéculations d'agriculture où je l'ai vu abaissé.

      C'est sur la table T96 que j'avais écrit97 le premier acte ou les cinq actes de mon drame, que j'appelais comédie, en attendant le moment du génie, à peu près comme si un ange eût dû m'apparaître.

      Mon enthousiasme pour les mathématiques avait peut-être eu pour base principale mon horreur pour l'hypocrisie, l'hypocrisie, à mes yeux, c'était ma tante Séraphie, madame Vignon et leurs p[rêtres].

      Suivant moi, l'hypocrisie était impossible en mathématiques et, dans ma simplicité juvénile, je pensais qu'il en était ainsi dans toutes les sciences où j'avais ouï dire qu'elles s'appliquaient. Que devins-je quand je m'aperçus que personne ne pouvait m'expliquer comment il se faisait que: moins par moins donne plus (-X-= +)? (C'est une des bases fondamentales de la science qu'on appelle algèbre.)

      On faisait bien pis que ne pas m'expliquer cette difficulté (qui sans doute est explicable, car elle conduit à la vérité), on me l'expliquait par des raisons évidemment peu claires pour ceux qui me les présentaient98.

      M. Chabert, pressé par moi, s'embarrassait, répétait sa leçon, celle précisément contre laquelle je faisais des objections, et finissait par avoir l'air de me dire:

      «Mais c'est l'usage, tout le monde admet cette explication. Euler et Lagrange, qui apparemment valaient autant que vous, l'ont bien admise. Nous savons que vous avez beaucoup d'esprit (cela voulait dire: Nous savons que vous avez remporté un premier prix de belles-lettres et bien parlé à M. Tortelebeau et aux autres membres du Département), vous voulez apparemment vous singulariser.»

      Quant à M. Dupuy, il traitait mes timides objections (timides à cause de son ton d'emphase) avec un sourire de hauteur voisin de l'éloignement. Quoique beaucoup moins fort que M. Chabert, il était moins bourgeois, moins borné, et peut-être jugeait sainement de son savoir en mathématiques. Si aujourd'hui je voyais ces Messieurs huit jours, je saurais sur-le-champ à quoi m'en tenir. Mais il faut toujours en revenir à ce point.

      Elevé sous une cloche de verre par des parents dont le désespoir rendait encore l'esprit plus étroit, sans aucun contact avec les hommes, j'avais des sensations vives à quinze ans, mais j'étais bien plus incapable qu'un autre enfant de juger les hommes et de deviner leurs diverses comédies. Ainsi, je n'ai pas grande confiance, au fond, dans tous les jugements dont j'ai rempli99 les 536 pages précédentes. Il n'y a de sûrement СКАЧАТЬ



<p>86</p>

qui arrivait de son village (Tullins, je pente) …– Bompertuis, à une lieue de Voiron. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>87</p>

pour se donner le droit de bourgeoisie parmi nous.– Ce fut Mante. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>88</p>

une grille de fer de cinq ou six pieds de haut.– Non. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>89</p>

Jomard …– En surcharge, de la main de R. Colomb: «Zomard.»

<p>90</p>

Le chapitre XXXIV est le chapitre XXIX du manuscrit (fol. 528 à 550; il n'y a pas de fol. 527). – Ecrit à Rome, du 24 au 26 janvier 1836.

<p>91</p>

les Caractères de …– Un mot illisible.

<p>92</p>

à cinquante-trois qu'à treize ans.– Ms.: «25 x √4 + 3.»

<p>93</p>

un volume d'Euler ou de …– Le nom a été laissé en blanc.

<p>94</p>

au Chayla (vallée près …) …– Le nom a été laissé en blanc.

<p>95</p>

répondre à mes difficultés …– Variante: «Questions.»

<p>96</p>

C'est sur la table T …– Suit un plan d'une partie de l'appartement Beyle, rue des Vieux-Jésuites. Dans le salon, en face de la fenêtre, en T, est la table où travaillait le jeune Henri; dans la «chambre toujours fermée de ma mère»était un «tableau en toile cirée».

<p>97</p>

que j'avais écrit …– Variante: «Composé.»

<p>98</p>

pour ceux qui me les présentaient– On lit en face du fol. 535 (fol. 534 verso): «Testament, – Je donne et lègue ce volume et tous les volumes de la Vie de Henri Brulard à M. Abraham Constantin, chevalier de la Légion d'honneur, et après lui, s'il ne les imprime pas, à MM. Levavasseur, libraire, place Vendôme, Philarète Chasles, homme de lettres, Amyot, Pourret, libraires. Rome, le 20 janvier 1836. H. BEYLE.»

<p>99</p>

tous les jugements dont j'ai rempli …– Variante: «Que j'ai écrits dans … »