Souvenirs d'égotisme. Stendhal
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Название: Souvenirs d'égotisme

Автор: Stendhal

Издательство: Public Domain

Жанр: Биографии и Мемуары

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СКАЧАТЬ dans Paris, que je trouvai pire que laid, insultant pour ma douleur, avec une seule idée: n’être pas deviné.

      Je me logeais à Paris, rue Richelieu, Hôtel de Bruxelles, nº 47, tenu par un M. Petit, ancien valet de chambre de M. de Damas34.

      La politesse, la grâce, l’à-propos de ce M. Petit, son absence de tout sentiment, son horreur pour tout mouvement de l’âme qui avait de la profondeur, son souvenir vif pour des jouissances de vanité qui avaient trente ans de date, son honneur parfait en matière d’argent, en faisaient, à mes yeux, le modèle parfait de l’ancien Français. Je lui confiai bien vite les 3000 francs qui me restaient; il me remit, malgré moi, un bout de reçu que je me hâtai de perdre, ce qui le contraria beaucoup lorsque, quelques mois après, ou quelques semaines, je repris mon argent pour aller en Angleterre où me poussa le mortel dégoût que j’éprouvais à Paris.

      J’ai bien peu de souvenirs de ces temps passionnés, les objets glissaient sur moi inaperçus, ou méprisés, quand ils étaient entrevus. Ma pensée était sur la place Belgiojoso, à Milan. Je vais me recueillir pour tâcher de penser aux maisons où j’allais.

      CHAPITRE II

      Voici le portrait d’un homme de mérite avec qui j’ai passé toutes mes matinées pendant huit ans. Il y avait estime, mais non amitié. J’étais descendu à l’hôtel de Bruxelles, parce que là logeait le Piémontais le plus sec, le plus dur, le plus ressemblant à la Rancune (du Roman Comique) que j’aie jamais rencontré. M. le baron de Lussinge35 a été le compagnon de ma vie de 1821 à 1831; né vers 1785, il avait trente-six ans en 1821. Il ne commença à se détacher de moi et à être impoli dans le discours que lorsque la réputation d’esprit me vint, après l’affreux malheur du 15 septembre 1826.

      M. de Lussinge, petit, râblé, trapu, n’y voyant pas à trois pas, toujours mal mis par avarice et employant nos promenades à faire des budgets de dépense personnelle pour un garçon vivant seul à Paris, avait une rare sagacité. Dans mes illusions romanesques et brillantes, je voyais comme trente, tandis que ce n’était que quinze, le génie, la bonté, la gloire, le bonheur de tel homme qui passait, lui ne les voyant que comme six ou sept.

      Voilà ce qui a fait le fond de nos conversations pendant huit ans; nous nous cherchions d’un bout de Paris à l’autre.

      Lussinge, âgé alors de trente-six ou trente-sept ans, avait le cœur et la tête d’un homme de cinquante-cinq ans. Il n’était profondément ému que des événements à lui personnels; alors il devenait fou, comme au moment de son mariage. A cela près, le but constant de son ironie, c’était l’émotion. Lussinge n’avait qu’une religion: l’estime pour la haute naissance. Il est, en effet, d’une famille du Bugey, qui y tenait un rang élevé en 1500; elle a suivi à Turin les ducs de Savoie, devenus rois de Sardaigne.

      Lussinge avait été élevé à Turin à la même académie qu’Alfiéri; il y avait pris cette profonde méchanceté piémontaise, au monde sans pareille, qui n’est cependant que la méfiance du sort et des hommes. J’en retrouve plusieurs traits à Emor36; mais, par-dessus le marché ici, il y a des passions et, le théâtre étant plus vaste, moins de petitesses bourgeoises. Je n’en ai pas moins aimé Lussinge jusqu’à ce qu’il soit devenu riche, ensuite avare, peureux et enfin désagréable dans ses propos et presque malhonnête en janvier 1830.

      Il avait une mère avare mais surtout folle, et qui pouvait donner tout son bien aux prêtres. Il songea à se marier; ce serait une occasion pour sa mère de se lier par des actes qui l’empêcheraient de donner son bien à son confesseur. Les intrigues, les démarches, pendant qu’il allait à la chasse d’une femme, m’amusèrent beaucoup. Lussinge fut sur le point de demander une fille charmante qui eût donné à lui le bonheur et l’éternité à notre amitié: je veux parler de la fille du général Gilly, – depuis madame Douin, femme d’un avoué, je crois. Mais le général avait été condamné à mort après 1815, cela eût effarouché la noble baronne, mère de Lussinge. Par un grand bonheur, il évita d’épouser une coquette, depuis madame Varambon. Enfin, il épousa une sotte parfaite, grande et assez belle, si elle eût eu un nez. Cette sotte se confessait directement à Mgr de Quélen, archevêque de Paris, dans le salon duquel elle allait se confesser. Le hasard m’avait donné quelques données sur les amours de cet archevêque, qui peut-être avait alors madame de Podinas, dame d’honneur de madame la duchesse de Berry, et, depuis ou avant, maîtresse du fameux duc de Raguse. Un jour, indiscrètement pour moi – c’est là, si je ne me trompe, un de mes nombreux défauts – je plaisantai madame de Lussinge sur l’archevêque.

      C’était chez madame la comtesse d’Avelles37.

      – Ma cousine, imposez le silence à M. Beyle, s’écria-t-elle, furieuse.

      Depuis ce moment, elle a été mon ennemie, quoique avec des retours de coquetterie bien étranges. Mais me voilà embarqué dans un épisode bien long; je continue, car j’ai vu Lussinge deux fois par jour pendant huit ans, et plus tard il faudra revenir à cette grande et florissante baronne, qui a près de cinq pieds six pouces.

      Avec sa dot, ses appointements de chef de bureau au ministère de la Police, les donations de sa mère, Lussinge réunit vingt-deux ou vingt-trois mille livres de rente, vers 1828. De ce moment, un seul sentiment le domina, la peur de perdre. Méprisant les Bourbons, non pas autant que moi, qui ai de la vertu politique, mais les méprisant comme maladroits, il arriva à ne pouvoir plus supporter sans un vif accès d’humeur l’énoncé de leurs maladresses.

      Il voyait vivement et à l’improviste un danger pour sa propriété – chaque jour il y en avait quelque nouvelle (maladresse), comme on peut le voir dans les journaux de 1826 à 1830. Lussinge allait au spectacle le soir et jamais dans le monde; il était un peu humilié de sa place. Tous les matins, nous nous réunissions au café, je lui racontais ce que j’avais appris la veille; ordinairement, nous plaisantions sur nos différences de partis. Le 3 janvier 1830, je crois, il me nia je ne sais quel fait antibourbonien – que j’avais appris chez M. Cuvier, alors conseiller d’État, fort ministériel.

      Cette sottise fut suivie d’un fort long silence; nous traversâmes le Louvre sans parler. Je n’avais alors que le strict nécessaire, lui, comme on sait, vingt-deux mille francs. Je croyais m’apercevoir, depuis un an, qu’il voulait prendre à mon égard un ton de supériorité. Dans nos discussions politiques, il me disait:

      – Vous, vous n’avez pas de fortune.

      Enfin, je me déterminai au pénible sacrifice de changer de café sans le lui dire. Il y avait neuf ans que j’allais tous les jours à dix heures et demie au café de Rouen, tenu par M. Pique, bon bourgeois, et Madame Pique, alors jolie, dont Maisonnette38, un de nos amis communs, obtenait, je crois, des rendez-vous à cinq cents francs l’un. Je me retirai au café Lemblin, le fameux café libéral également situé au Palais-Royal. Je ne voyais plus Lussinge que tous les quinze jours; depuis, notre intimité devenue un besoin pour tous les deux, je crois, a voulu souvent se renouer, mais jamais elle n’en a eu la force. Plusieurs fois après, la musique ou la peinture, où il était instruit, était pour nous des terrains neutres, mais toute l’impolitesse de ses façons revenait avec âpreté dès que nous parlions politique et qu’il avait peur pour ses 22,000 francs, il n’y avait pas moyen de continuer. Son bon sens n’empêchait de m’égarer trop loin dans mes illusions poétiques, ma gaîté – car je devins gai ou plutôt j’acquis l’art de le paraître – le distrayait de son humeur sombre et de la terrible peur de perdre.

      Quand СКАЧАТЬ



<p>34</p>

Voir Lamiel, chapitre XV.

<p>35</p>

Probablement le baron de Mareste. Voir Beyle, Correspondance et Lettres inédites, et Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, vol. III (article sur Etienne Delécluze).

<p>36</p>

Anagramme de Rome.

<p>37</p>

D’Argout.

<p>38</p>

Joseph Lingay, dont il sera question plus loin.