Souvenirs d'égotisme. Stendhal
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Название: Souvenirs d'égotisme

Автор: Stendhal

Издательство: Public Domain

Жанр: Биографии и Мемуары

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СКАЧАТЬ eu le plus grand tort de ne pas cultiver cet aimable vieillard de 1821 à 1830; je crois qu’il s’est éteint en même temps que sa respectable femme. Mais j’étais fou, mon horreur pour le vil allait jusqu’à la passion au lieu de m’en amuser, comme je fais aujourd’hui des actions de la cour de…54.

      M. le comte de Ségur m’avait fait faire des compliments en 1817, à mon retour d’Angleterre, sur Rome, Naples et Florence, brochure que j’avais fait mettre à sa porte.

      Au fond du cœur, sous le rapport moral, j’ai toujours méprisé Paris. Pour lui plaire, il fallait être, comme M. de Ségur, le grand maître.

      Sous le rapport physique, Paris ne m’a jamais plu. Même vers 1803, je l’avais en horreur comme n’ayant pas de montagnes autour de lui. Les montagnes de mon pays (le Dauphiné), témoins des mouvements passionnés de mon cœur, pendant les seize premières années de ma vie, m’ont donné là-dessus un bias (pli, terme anglais) dont jamais je ne pus revenir.

      Je n’ai commencé à estimer Paris que le 28 juillet 1830. Encore le jour des Ordonnances, à onze heures du soir, je me moquais du courage des Parisiens et de la résistance qu’on attendait d’eux, chez le comte Réal. Je crois que cet homme si gai et son héroïque fille, madame la baronne Lacuée, ne me l’ont pas encore pardonné.

      Aujourd’hui, j’estime Paris. J’avoue que pour le courage il doit être placé au premier rang, comme pour la cuisine, comme pour l’esprit. Mais il ne m’en séduit pas davantage pour cela. Il me semble qu’il y a toujours de la comédie dans sa vertu. Les jeunes gens nés à Paris de pères provinciaux et à la mâle énergie, qui est celle de faire leur fortune, me semblent des êtres étiolés, attentifs seulement à l’apparence extérieure de leurs habits, au bon goût de leur chapeau gris, à la bonne tournure de leur cravate, comme MM. Féburier, Viollet-le-Duc, etc. Je ne conçois pas un homme sans un peu de mâle énergie, de constance et de profondeur dans les idées, etc. Toutes choses aussi rares à Paris que le tour grossier ou même dur.

      Mais il faut finir ici ce chapitre. Pour tâcher de ne pas mentir et de ne pas cacher mes fautes, je me suis imposé d’écrire ces souvenirs à vingt pages par séance comme une lettre. Après mon départ, on imprimera sur le manuscrit original. Peut-être ainsi parviendrai-je à la véracité, mais aussi il faudra que je supplie le lecteur (peut-être né ce matin dans la maison voisine) de me pardonner mes terribles digressions.

      CHAPITRE V

23 juin 1832. – Mero.

      Je m’aperçois en 1832 – en général, ma philosophie est du jour où j’écris, j’en étais bien loin en 1821 – je vois donc que j’ai été un mezzo-termine entre la grossièreté énergique du général Grosse, du comte Regnault de St-Jean-d’Angély et les grâces un peu lilliputiennes, un peu étroites de M. le comte de Ségur, de M. Petit, le maître de l’hôtel de Bruxelles, etc.

      Par la bassesse seule j’ai été étranger aux extrêmes que je me donne.

      Faute de savoir faire, faute d’industrie, comme me disait, à propos de mes livres et de l’Institut, M. Delécluze, des Débats, j’ai manqué cinq ou six occasions de la plus grande fortune politique, financière ou littéraire. Par hasard, tout cela est venu successivement frapper à ma porte. Une rêverie tendre en 1821 et plus tard philosophique et mélancolique (toute vanité à part, exactement pareille à celle de Jacques de As you like it) est devenue un si grand plaisir pour moi, que quand un ami m’aborde, je donnerais un boulet pour qu’il ne m’adressât pas la parole. La vue seule de quelqu’un que je connais me contrarie. Quand je vois un tel être de loin, et qu’il faut que je pense à le saluer, cela me contrarie cinquante pas à l’avance. J’adore, au contraire, rencontrer des amis le soir en société, le samedi chez M. Cuvier, le dimanche chez M. de Tracy, le mardi chez madame Ancelot, le mercredi chez le baron Gérard, etc…

      Un homme doué d’un peu de tact s’aperçoit facilement qu’il me contrarie en me parlant dans la rue. Voilà un homme qui est un peu sensible à mon mérite, se dit la vanité de cet homme, et elle a tort.

      De là mon bonheur à me promener fièrement dans une ville étrangère, où je suis arrivé depuis une heure et où je suis sûr de n’être connu de personne. Depuis quelques années ce bonheur commence à me manquer. Sans le mal de mer, j’irais voyager en Amérique. Me croirait-on? Je porterais un masque, je changerais de nom avec délices. Les mille et une nuits que j’adore occupent plus du quart de ma tête. Souvent je pense à l’anneau d’Angélique; mon souverain plaisir serait de me changer en un long Allemand blond et de me promener ainsi dans Paris.

      Je viens de voir, en feuilletant, que j’en étais à M. de Tracy.

      M. de Tracy, fils d’une veuve, est né vers 176555 avec trois cent mille francs de rente. Son hôtel était rue de Tracy, près la rue Saint-Martin.

      Il fit le négociant sans le savoir, comme une foule de gens riches de 1780. M. de Tracy fit sa rue et y perdit 2 ou 300,000 fr. et ainsi de suite. De façon que je crois bien qu’aujourd’hui cet homme (si aimable quand, vers 1790, il était l’amant de Mme de Praslin), ce profond raisonneur a changé ses trois cent mille livres de rente en trente au plus.

      Sa mère, femme d’un rare bon sens, était tout à fait de la cour; aussi, à vingt-deux ans, ce fils fut colonel et colonel d’un régiment où il trouva parmi les capitaines un Tracy, son cousin, apparemment aussi noble que lui, et auquel il ne vint jamais dans l’idée d’être choqué de voir cette poupée de vingt-deux ans venir commander le régiment où il servait.

      Cette poupée qui, me disait plus tard Mme de Tracy, avait des mouvements si admirables, cachait cependant un fond de bon sens. Cette mère, femme rare, ayant appris qu’il y avait un philosophe à Strasbourg (et remarquez, c’était en 1780, peut-être, non pas un philosophe comme Voltaire, Diderot, Raynal) ayant appris, dis-je, qu’il y avait à Strasbourg un philosophe qui analysait les pensées de l’homme, images ou signes de tout ce qu’il a vu, de tout ce qu’il a senti, comprit que la science de remuer ces images, si son fils l’apprenait, lui donnerait une bonne tête.

      Figurez-vous quelle tête il devait avoir en 1785: un fort joli jeune homme, fort noble, tout à fait de la cour, avec trois cent mille livres de rente.

      Mme la marquise de Tracy fit placer son fils dans l’artillerie, ce qui, deux ans de suite, le conduisit à Strasbourg. Si jamais j’y passe, je demanderai quel était l’Allemand philosophe célèbre là, vers 1780.

      Deux ans après, M. de Tracy était à Rethel, je crois, avec son régiment qui, ce me semble, était de dragons, chose à vérifier sur l’almanach Royal du temps56.

      M. de Tracy ne m’a jamais parlé de ces citrons; j’ai su leur histoire par un autre misanthrope, un M. Jacquemont, ancien moine, et, qui plus est, homme du plus grand mérite. Mais M. de Tracy m’a dit beaucoup d’anecdotes sur la première France réformante, M. de Lafayette y commandait en chef57.

      Une haute taille et, en haut de ce grand corps, une figure imperturbable, froide, insignifiante comme un vieux tableau de famille, cette tête couverte d’une perruque à cheveux courts, mal faite; cet homme vêtu de quelque habit gris mal fait, et entrant, en boitant un peu et s’appuyant sur son bâton, dans le salon de Mme de Tracy qui l’appelait: mon cher Monsieur, avec un son de voix enchanteur, était le général de Lafayette en 1821, et СКАЧАТЬ



<p>54</p>

Rome, sans doute.

<p>55</p>

Antoine-Louis-Claude Destutt, comte de Tracy, naquit en 1754 et mourut en 1836.

<p>56</p>

Ici un blanc, et en marge, cette simple note: les citrons.

<p>57</p>

Ici une demi-page blanche. Puis vient ex abrupto le portrait de M. de La Fayette.