BRABANTIO. – Ainsi laissons le Turc nous enlever Chypre; nous ne l'aurons pas perdue tant que nous pourrons sourire. Celui-là supporte bien les avis, qui n'a rien à leur demander que les consolations qu'il en recueille; mais celui qui, pour payer le chagrin, est obligé d'emprunter à la pauvre patience, supporte à la fois et le chagrin et l'avis. Ces maximes qui s'appliquent des deux côtés, pleines de sucre ou de fiel, sont équivoques; les mots ne sont que des mots; je n'ai jamais ouï dire que ce fût par l'oreille qu'on eût atteint le coeur brisé. Je vous en conjure humblement, passons aux affaires de l'État.
LE DUC. – Le Turc s'avance sur Chypre avec une flotte formidable. Othello, vous connaissez mieux que personne les ressources de la place. Nous y avons, il est vrai, un officier d'une capacité reconnue; mais l'opinion, maîtresse souveraine des événements, croit, en vous donnant son suffrage, assurer le succès. Il vous faut donc laisser obscurcir l'éclat de votre nouveau bonheur par cette expédition pénible et hasardeuse.
OTHELLO. – Graves sénateurs, ce tyran de l'homme, l'habitude, a changé pour moi la couche de fer et de cailloux des camps en un lit de duvet. Je ressens cette ardeur vive et naturelle qu'éveillent en moi les pénibles travaux: j'entreprends cette guerre contre les Ottomans, et, m'inclinant avec respect devant vous, je demande un état convenable pour ma femme, le traitement et le rang dus à ma place, en un mot, un sort et une situation qui répondent à sa naissance.
LE DUC. – Si cela vous convient, elle habitera chez son père.
BRABANTIO. – Je ne veux pas qu'il en soit ainsi.
OTHELLO. – Ni moi.
DESDÉMONA. – Ni moi: je ne voudrais pas demeurer dans la maison de mon père, pour exciter en lui mille pensées pénibles en étant toujours sous ses yeux. Généreux duc, prêtez à mes raisons une oreille propice, et que votre suffrage m'accorde un privilége pour venir en aide à mon ignorance.
LE DUC. – Que désirez-vous, Desdémona?
DESDÉMONA. – Que j'aie assez aimé le More pour vivre avec lui, c'est ce que peuvent proclamer dans le monde la violence que j'ai faite aux règles ordinaires, et la façon dont j'ai pris d'assaut la fortune. Mon coeur a été dompté par les rares qualités de mon seigneur. C'est dans l'âme d'Othello que j'ai vu son visage; et c'est à sa gloire, à ses belliqueuses vertus que j'ai dévoué mon âme et ma destinée. Ainsi, chers seigneurs, si, tandis qu'il part pour la guerre, je reste ici comme un papillon de paix, les honneurs pour lesquels je l'ai aimé me sont ravis, et j'aurai un pesant ennui à supporter durant son absence. Laissez-moi partir avec lui.
OTHELLO. – Vos voix, seigneurs: je vous en conjure, que sa volonté s'accomplisse librement. Je ne le demande point pour complaire à l'ardeur de mes désirs, ni pour assouvir les premiers transports d'une passion nouvelle par une satisfaction personnelle; mais pour me montrer bon et propice à ses voeux. Et que le ciel éloigne de vos âmes généreuses la pensée que, parce que je l'aurai près de moi, je négligerai vos grandes et sérieuses affaires! Non, si les jeux légers de l'amour ailé plongent dans une molle inertie mes facultés de pensée et d'action, si mes plaisirs gâtent mes travaux et leur font tort, que vos ménagères fassent de mon casque un vil poêlon, et que tous les affronts les plus honteux s'élèvent ensemble contre ma renommée!
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Hecatommythi ovvero cento novelle di G. – B. Giraldi Cinthio part. I, décad. III, nov. 7, pages 313-321; édition de Venise, 1508.
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Covered with a Barbary horse.
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Shakspeare se sert ici d'un proverbe grossier: Your daughter and the Moor are now making the beast with two backs.
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C'est probablement le nom de quelque auberge de Venise.
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Magnifiques était le terme d'honneur en usage pour les seigneurs vénitiens.
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Shakspeare se sert ici d'un proverbe grossier:
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