Название: Les bases de la morale évolutionniste
Автор: Spencer Herbert
Издательство: Public Domain
Жанр: Философия
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Dans une lettre adressée, il y a seize ans environ, à M. Mill, et où je repoussais le nom d'anti-utilitaire qu'il m'avait appliqué (cette lettre a été publiée depuis dans le livre de M. Bain mental and moral Science), j'ai essayé d'éclaircir la différence que je viens de signaler. Voici quelques passages de cette lettre:
L'idée que je défends c'est que la morale proprement dite-la science de la conduite droite-a pour objet de déterminer comment et pourquoi certains modes de conduite sont nuisibles, certains autres avantageux. Ces résultats bons et mauvais ne peuvent être accidentels, ils doivent être des conséquences nécessaires de la constitution des choses. A mon avis, l'objet de la science morale doit être de déduire des lois de la vie et des conditions de l'existence quelles sortes d'actions tendent nécessairement à produire le bonheur, quelles autres à produire le malheur. Cela fait, ces déductions doivent être reconnues comme les lois de la conduite; elles doivent être obéies indépendamment de toute considération directe et immédiate de bonheur ou de misère.
Un exemple fera peut-être mieux comprendre ce que je veux dire. Dans les premiers temps, l'astronomie planétaire ne possédait que des observations accumulées relativement aux positions et aux mouvements du soleil et des planètes; de loin en loin ces observations permettaient de prédire, approximativement, que certains corps célestes occuperaient certaines positions à telles époques. La science moderne de l'astronomie planétaire consiste en déductions de la loi de la gravitation, déductions qui font connaître, pourquoi les corps célestes occupent nécessairement certaines places à certaines époques. Le rapport qui existe entre l'ancienne astronomie et l'astronomie moderne est analogue à celui qui existe aussi, selon moi, entre la morale de l'utile et la science morale proprement dite. L'objection que je fais à l'utilitarisme courant, c'est qu'il ne reconnaît pas la forme développée de la morale: il ne s'aperçoit pas qu'il n'a pas encore dépassé la période primitive de la science Morale.
Sans doute, si l'on demandait aux utilitaires si c'est par hasard que cette sorte d'actions produit du mal et cette autre du bien, ils répondraient négativement: ils admettraient que de pareilles séquences sont des parties d'un ordre nécessaire auquel les phénomènes sont soumis. Cette vérité est au-dessus de toute discussion, et s'il y a des relations causales entre les actes et leurs résultats, les règles de la conduite ne peuvent devenir scientifiques que le jour où elles seront déduites de ces relations: on continue à se contenter de cette forme de l'utilitarisme dans laquelle ces relations causales restent ignorées en pratique. On suppose qu'à l'avenir, comme aujourd'hui, l'utilité doit être déterminée uniquement par l'observation des résultats, et qu'il n'est pas possible de connaître par déduction de principes fondamentaux quelle conduite doit être nuisible, quelle autre doit être avantageuse.
22. Pour rendre plus précise cette idée de la science morale que j'indique ici, je vais la présenter sous un aspect concret. Je commencerai par un exemple fort simple, et, par degrés, je rendrai cet exemple de plus en plus complexe.
Si nous arrêtons la plus grande partie du sang qui circule dans un membre, en liant sa principale artère, aussi longtemps que ce membre fonctionnera les parties appelées à travailler perdront plus qu'elles ne recevront, et il en résultera un certain affaiblissement. Le rapport entre l'arrivée régulière des matières nutritives dans ce membre, par des artères, et l'accomplissement régulier de ses fonctions, forme une partie de l'ordre physique. Si, au lieu d'arrêter la nutrition d'un membre en particulier, nous faisons perdre au patient une grande quantité de sang, nous supprimons ainsi les matériaux nécessaires à la réparation non d'un seul membre mais de tous les membres, et non seulement des membres mais aussi des viscères: nous déterminons à la fois une diminution des forces musculaires et un amoindrissement des fonctions vitales. Ici encore, la cause et l'effet ont des rapports nécessaires. Le dommage qui résulte d'une grande perte de sang en résulte sans qu'il soit utile de faire intervenir un commandement divin, ou un ordre politique, ou une intuition morale. Faisons un pas de plus. Supposons un homme dans l'impossibilité de prendre assez de cette nourriture, solide ou liquide, contenant les substances que le sang doit fournir pour la réparation des tissus; supposons qu'il ait un cancer de l'oesophage et qu'il ne puisse avaler: qu'arrive-t-il? Par cette perte indirecte, comme par la perte directe, il est fatalement réduit à l'impuissance d'accomplir les actes d'un homme en bonne santé. Dans ce cas, comme dans les autres, la connexion entre la cause et l'effet est une connexion qui ne peut être établie ou détruite par aucune autorité extérieure aux phénomènes eux-mêmes. Supposons encore que, au lieu d'être arrêtés après avoir passé la bouche, les aliments n'y arrivent même pas, de telle sorte que, chaque jour, cet homme soit forcé d'user ses tissus en cherchant de quoi se nourrir, et que, chaque jour aussi, il ne puisse manger ces aliments qu'il s'est épuisé à chercher: comme plus haut, le progrès vers la mort par inanition est inévitable; la connexion entre les actes et les effets est indépendante de toute autorité, quelle qu'elle soit, théologique ou politique. De même, si on le force à coups de fouet à travailler, et si on ne lui donne pas en retour une nourriture proportionnée à son travail, les maux qui s'ensuivront sont également certains; les ordres d'un pouvoir sacré ou profane n'y peuvent rien.
Passons maintenant aux actes qu'on regarde d'ordinaire comme soumis à des règles de conduite. Voici un homme auquel on dérobe continuellement le produit de son travail, qui devait servir à réparer sa dépense d'énergie nervoso-musculaire, à renouveler ses forces. Ici encore, la relation qui existe entre la conduite et ses conséquences prend racine dans la nature des choses; une loi de l'Etat ne pourrait pas la changer, et nous n'avons pas besoin pour l'établir d'une généralisation empirique. Si l'action qui atteint cet homme ne produit pas de résultats aussi immédiats ou aussi décisifs, nous trouvons tout de même dans l'ordre physique le fondement de la moralité. Par exemple, on lui paye ses services en fausse monnaie, ou bien on lui fait attendre ce payement au delà de l'époque marquée, ou bien les aliments qu'il achète sont falsifiés. Evidemment tous ces actes, que nous condamnons comme injustes et que la loi punit, empêchent, comme les faits cités plus haut, l'établissement d'un équilibre physiologique régulier entre la consommation et la réparation.
Il en est de même pour les actes dont les effets sont encore beaucoup plus éloignés. Si l'on empêche cet homme de défendre son droit, si la prédominance d'une classe lui interdit tout progrès, si un juge corrompu rend un jugement contraire à l'évidence, si un témoin dépose contre la vérité: ces différents actes l'affectent sans doute moins directement, mais leur culpabilité ne tient-elle pas à la même raison originelle?
On peut en dire autant des actions qui produisent un dommage diffus, indéfini. Que notre homme, au lieu d'être trompé, soit calomnié: ici, comme dans les cas précédents, on entrave l'exercice des activités qui servent au soutien de sa vie, car la perte de sa réputation est funeste à ses affaires. Ce n'est pas tout. La dépression mentale qui en résulte le rend, dans une certaine mesure, incapable d'efforts énergiques et peut le faire tomber malade. Ainsi le colportage criminel de faux jugements tend à la fois à diminuer sa vie et à diminuer son aptitude à conserver sa vie. De là vient la gravité morale de la calomnie.
Allons plus loin; suivons jusqu'à leurs ramifications dernières les effets produits par quelques-uns des actes que condamne la morale dite СКАЧАТЬ