Название: Les bases de la morale évolutionniste
Автор: Spencer Herbert
Издательство: Public Domain
Жанр: Философия
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Si la causation universelle et nécessaire commence aujourd'hui seulement à être pleinement acceptée par ceux dont les travaux la rendent chaque jour plus claire, il faut s'attendre à la voir en général très imparfaitement reconnue par les autres hommes, par ceux dont la culture n'a pas été dirigée de manière à imprimer cette notion dans leur esprit; il faut surtout s'attendre à la leur voir reconnaître bien moins encore dans ces classes de phénomènes où la complexité des faits rend la causation bien plus difficile à suivre qu'autre part: les phénomènes psychiques, sociaux et moraux.
Pourquoi ces réflexions, qui semblent si peu à leur place dans ce livre? Le voici. En étudiant les divers systèmes de morale, je suis très frappé de reconnaître qu'ils se caractérisent tous, soit par l'absence complète de l'idée de causation, soit par une application insuffisante de cette idée. Théologiques, politiques, intuitionnistes ou utilitaires, ils ont tous, sinon au même degré, chacun du moins dans une large mesure, les défauts qui résultent de cette lacune. – Nous allons les étudier dans l'ordre où nous venons de les énumérer.
18. L'école morale que l'on doit considérer comme représentant aujourd'hui encore la doctrine la plus ancienne, c'est l'école qui ne reconnaît d'autre règle de conduite que la prétendue volonté de Dieu. Elle prend naissance chez les sauvages, dont le seul frein, après la peur de leurs semblables, est la crainte que leur inspire l'esprit de quelque ancêtre: pour eux la notion d'un devoir moral, distincte de la notion de prudence sociale, est l'effet de cette crainte. La doctrine morale et la doctrine religieuse sont encore réunies et ne diffèrent à aucun degré.
Cette forme primitive de la doctrine morale, – modifiée seulement par la suppression d'une infinité d'agents surnaturels de second ordre et le développement d'un agent surnaturel unique, – subsiste avec beaucoup de force même de notre temps. Les symboles religieux, orthodoxes ou non, donnent tous un corps à cette croyance que le bien et le mal sont déterminés exclusivement par un ordre de Dieu. Cette supposition tacite a passé des systèmes théologiques aux systèmes de morale; ou plutôt disons que les systèmes de morale, encore peu distincts des systèmes théologiques qui les accompagnaient aux premières phases de leur développement, ont participé à cette hypothèse. Nous la trouvons dans les oeuvres des stoïciens comme dans les livres de certains moralistes chrétiens.
Parmi les derniers, je citerai les Essais sur les principes de la moralité de Jonathan Dymond, un quaker qui fait de «l'autorité divine» le seul fondement du devoir, et de sa volonté révélée le seul principe suprême de la distinction du bien et du mal. Cette théorie n'est pas admise seulement par des écrivains d'une secte aussi peu philosophique. Elle l'est aussi par des écrivains de sectes toutes différentes. Ils affirment que, si l'on ne croit pas en Dieu, l'on n'a plus de guide moral: cela revient à dire que les vérités de l'ordre moral n'ont d'autre origine que la volonté de Dieu, qu'elle soit d'ailleurs révélée dans des livres sacrés ou dans la conscience.
Quand on l'examine de près, on voit bientôt que cette doctrine conduit à la négation de la morale. En effet, dans l'hypothèse où la distinction du bien et du mal n'aurait d'autre fondement que la volonté de Dieu, révélée ou connue intuitivement, les actes que nous jugeons mauvais ne pourraient être jugés tels, si nous ne connaissions pas cette volonté de Dieu dont on parle. Or, si les hommes ne savaient pas que de tels actes sont mauvais comme contraires à la volonté de Dieu, ils ne se rendraient pas coupables de désobéissance en les commettant; et, s'ils n'avaient pas d'autre raison de les trouver mauvais, ils pourraient alors les commettre indifféremment comme les actes que nous jugeons aujourd'hui vertueux: le résultat, en pratique, serait le même de toutes manières. Tant qu'il s'agit de questions temporelles, il n'y aurait aucune différence entre ces deux sortes d'actes. En effet, dire que, dans les affaires de la vie, on s'expose à quelque mal en continuant de faire les actes appelés mauvais, en cessant d'accomplir les actes appelés bons, ce serait avouer que ces actes produisent par eux-mêmes certaines conséquences fâcheuses ou utiles, c'est-à-dire reconnaître une autre source des règles morales que la volonté divine révélée ou supposée, et admettre qu'elles peuvent être établies par une induction fondée sur l'observation des conséquences de ces actes.
Je ne vois aucun moyen d'échapper à cette conclusion. Il faut admettre ou nier que les actes appelés bons et les actes appelés mauvais conduisent naturellement, les uns au bien-être, les autres au malheur. L'admet-on? On reconnaît alors que l'expérience suffit pour apprécier la valeur de la conduite, et l'on doit, par suite, renoncer à la doctrine qui place l'origine des jugements moraux dans les seuls ordres de Dieu. Nie-t-on, au contraire, que les actes classés comme bons ou mauvais diffèrent par leurs effets? On affirme alors tacitement que les affaires humaines iraient tout aussi bien si l'on ignorait cette distinction, et la prétendue nécessité des commandements de Dieu s'évanouit.
Nous sentons ici combien manque la notion de cause. Admettre que telles ou telles actions sont rendues respectivement bonnes ou mauvaises par une simple injonction de la divinité cela revient à croire que telles ou telles actions n'ont pas dans la nature des choses tels ou tels genres d'effets. C'est la preuve que l'on n'a pas conscience de la causation ou qu'on l'ignore entièrement.
19. A la suite de Platon et d'Aristote, qui font des lois de l'Etat les sources du bien et du mal, à la suite de Hobbes, d'après lequel il n'y a ni justice ni injustice jusqu'à ce qu'un pouvoir coercitif soit régulièrement constitué pour édicter et sanctionner des commandements, un grand nombre de penseurs modernes soutiennent que la loi seule est le principe de la distinction du bien et du mal dans la conduite. Cette doctrine implique que l'obligation morale a sa source dans les actes d'un Parlement et peut être changée dans un sens ou dans l'autre par les majorités. Ses partisans tournent en ridicule l'hypothèse des droits naturels de l'homme et prétendent que les droits sont exclusivement le résultat d'une convention: par une conséquence rigoureuse, les devoirs eux-mêmes ne peuvent pas être autre chose. Avant de rechercher si cette théorie s'accorde avec des vérités établies ailleurs, voyons jusqu'à quel point elle est conséquente avec elle-même.
Après avoir soutenu que les droits et les devoirs dérivent d'arrangements sociaux, Hobbes continue en ces termes:
«Si aucun contrat n'a précédé, aucun droit n'a été transféré, et tout homme a droit à toute chose; par conséquent, aucune action ne peut être injuste. Mais, s'il y a un contrat, alors il est injuste de le rompre, et la seule définition de l'injustice est de dire qu'elle est le fait de ne pas se conformer au contrat. Tout ce qui n'est pas injuste est juste… Il faut donc, avant de pouvoir employer les mots de juste et d'injuste, qu'il y ait une puissance coercitive, pour contraindre également tous les hommes à observer leurs contrats, par la crainte de quelque châtiment plus sensible que le profit à espérer de la violation de ces contrats 2.»
Dans ce passage, les propositions essentielles sont celles-ci: la justice consiste dans l'observation d'un contrat; l'observation d'un contrat implique un pouvoir qui l'impose: «il ne peut y avoir de place pour le juste et l'injuste,» à moins que les hommes ne soient contraints à observer leurs contrats. Mais cela revient à dire que les hommes ne peuvent observer leurs contrats sans y être forcés. Accordons que la justice consiste dans l'observation d'un contrat. Supposons maintenant qu'il soit observé volontairement: c'est un acte de justice. En pareil cas, cependant, c'est un acte de justice accompli sans aucune contrainte: ce qui est contraire à l'hypothèse. On ne conçoit qu'une seule réplique, c'est que l'observation volontaire d'un contrat est impossible: n'est-ce pas une absurdité? Faites cette réplique et vous pourrez alors défendre la doctrine qui fonde la distinction du bien et du mal sur l'établissement d'une souveraineté. Refusez de la faire, et cette doctrine est renversée.
Des inconséquences du СКАЧАТЬ
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