Название: Les bases de la morale évolutionniste
Автор: Spencer Herbert
Издательство: Public Domain
Жанр: Философия
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La croyance ainsi exprimée que la vertu peut être définie d'une autre manière que par le bonheur-autrement cela reviendrait à dire que le bonheur doit être obtenu par des actions conduisant au bonheur-se ramène à la théorie platonicienne d'un bien idéal ou absolu d'où les biens particuliers et relatifs empruntent leur caractère de bonté. Un argument analogue à celui qu'Aristote emploie contre la conception du bien proposée par Platon peut servir également contre sa propre conception de la vertu. Qu'il s'agisse du bien ou de la vertu, il ne faut pas employer le singulier, mais le pluriel: dans la classification même d'Aristote, la vertu, au singulier quand il en parlait en général, se transforme en vertus. Les vertus qu'il distingue alors doivent être ainsi nommées, grâce à quelque caractère commun, intrinsèque ou extrinsèque. Nous pouvons classer ensemble certaines choses, pour deux motifs: 1º parce qu'elles sont toutes faites de la même manière chez des êtres qui présentent d'ailleurs en eux quelque particularité, par exemple lorsque nous réunissons les animaux vertébrés parce qu'ils ont tous une colonne vertébrale; -2º à cause de quelque trait commun dans leurs relations extérieures, par exemple lorsque nous groupons, sous le nom commun d'outils, les scies, les couteaux, les marteaux, les herses, etc. Les vertus sont-elles classées comme telles à cause de quelque communauté de nature intrinsèque? Il doit alors y avoir un trait commun à retrouver dans toutes les vertus cardinales distinguées par Aristote: «le courage, la tempérance, la libéralité, la magnanimité, la magnificence, la douceur, l'amabilité ou l'amitié, la franchise, la justice.» Quel est donc le trait commun à la magnificence et à la douceur? et, si l'on peut démêler un pareil trait commun, est-ce aussi le trait qui constitue essentiellement la franchise? Notre réponse doit être négative. Les vertus ne sont donc pas classées comme telles à cause d'une communauté intrinsèque de caractère. Il faut donc qu'elles le soient à cause de quelque chose d'extrinsèque, et ce quelque chose ne peut être que le bonheur, lequel consiste, suivant Aristote, dans la pratique de ces vertus. Elles sont unies par leur relation commune à ce résultat; mais elles ne le sont point dans leur nature intérieure.
Peut-être rendrons-nous cette induction plus claire en la présentant en ces termes: Si la vertu est primordiale et indépendante, on ne peut donner aucune raison pour expliquer la correspondance qui doit exister entre la conduite vertueuse et la conduite procurant le plaisir, pleinement et dans tous ses effets, à l'auteur ou aux autres, ou à l'un et aux autres à la fois. Or, s'il n'y a pas là une correspondance nécessaire, on pourra concevoir que la conduite classée comme vertueuse soit capable de causer de la peine dans ses résultats définitifs. Pour montrer la conséquence d'une pareille conception, prenons deux vertus considérées comme des vertus par excellence chez les anciens et chez les modernes: le courage et la chasteté. Par hypothèse, nous devons donc concevoir le courage, déployé pour la défense de l'individu aussi bien que pour la défense du pays, non seulement comme entraînant des maux accidentels, mais encore comme étant une cause nécessaire de misères pour l'individu et pour l'Etat; l'absence de courage au contraire, par une conséquence légitime, amènerait le bien-être de l'individu et de la société. De même, par hypothèse, nous devons concevoir les relations sexuelles irrégulières comme directement et indirectement avantageuses: l'adultère amènerait avec lui l'harmonie domestique et l'éducation attentive des enfants; les relations conjugales, au contraire, produiraient le désaccord entre le mari et la femme en proportion de leur durée, et auraient pour résultats les souffrances, les maladies, la mort des enfants. A moins d'affirmer que le courage et la chasteté pourraient encore être regardés comme des vertus malgré cette suite de maux, il faut bien admettre que la conception de la vertu ne peut être séparée de la conception d'une conduite procurant le bonheur. Si cela est vrai de toutes les vertus, quelles que soient d'ailleurs leurs différences, c'est qu'elles doivent d'être classées comme des vertus à leur propriété de donner le bonheur.
14. En passant de ces doctrines morales, pour lesquelles la perfection de nature ou le caractère vertueux de l'action fournissent le principe de jugement, à celles qui prennent pour critérium la rectitude de l'intention, nous nous rapprochons de la théorie de l'intuition morale, et nous pouvons légitimement traiter de ces doctrines en critiquant cette théorie.
Par théorie de l'intuition, j'entends ici non pas celle qui regarde comme produits par l'hérédité ou des expériences prolongées les sentiments d'amour ou d'aversion que nous inspirent certains genres d'actes, mais bien la théorie d'après laquelle ces sentiments nous viennent de Dieu lui-même, indépendamment des résultats expérimentés par nous ou par nos ancêtres. «Il y a donc, dit Hutcheson, comme chacun peut s'en convaincre par une sérieuse attention et par la réflexion, un penchant naturel et immédiat à approuver certaines affections et certains actes qui leur répondent;» Hutcheson admettait, avec ses contemporains, la création spéciale de l'homme et de tous les autres êtres; il considérait donc «ce sens naturel d'une excellence immédiate» comme un guide d'origine surnaturelle. Il dit bien que les sentiments et les actions dont nous reconnaissons ainsi intuitivement la bonté «s'accordent tous en un caractère général, celui de tendre au bonheur des autres;» mais il est obligé d'y voir l'effet d'une harmonie préétablie. Néanmoins on peut établir que l'aptitude à procurer le bonheur, représentée ici comme un trait accidentel des actes qui obtiennent cette approbation morale innée, est réellement la pierre de touche qui révèle le caractère moral de cette approbation. Les intuitionnistes mettent leur confiance dans ces verdicts de la conscience, uniquement parce qu'ils aperçoivent, d'une manière au moins confuse, sinon distincte, que ces verdicts s'accordent avec les indications de ce critérium suprême. En voici la preuve.
Par hypothèse, on apprécie donc la gravité d'un meurtre grâce à une intuition morale que l'esprit humain doit à sa constitution originelle. D'après cette hypothèse, il ne faudrait pas admettre que ce sentiment de la culpabilité naisse, de près ni de loin, de la conscience que le meurtre implique, directement ou indirectement, une diminution du bonheur. Si vous demandez à un partisan de cette doctrine d'opposer son intuition à celle d'un Figien qui regarde le meurtre comme un acte honorable et n'a pas de repos avant d'avoir massacré quelques individus; si vous lui demandez comment on justifiera l'intuition de l'homme civilisé par opposition à celle du sauvage, il n'aura qu'un seul moyen de le faire, c'est de montrer comment, en se conformant à l'une, on arrive au bien-être, tandis que l'autre produit seulement des souffrances particulières ou générales. Demandez-lui pourquoi son sens moral, lui enseignant qu'il est mal de dérober le bien d'autrui, doit être obéi plutôt que le sens moral d'un Turcoman qui prouve combien le vol lui paraît méritoire en faisant des pèlerinages et en portant des offrandes aux tombeaux de voleurs fameux: l'intuitionniste est réduit à reconnaître que, – du moins dans des conditions comme celles où nous vivons, sinon dans celles où le Turcoman est placé, – le mépris du droit de propriété chez les autres non seulement cause une misère immédiate, mais encore implique un état social qui ne saurait comporter aucun bonheur. Demandez-lui encore de justifier le sentiment de répugnance que le mensonge lui inspire, en opposition avec le sentiment d'un Égyptien qui s'estime pour son adresse à mentir, qui croit même très beau de tromper sans autre but que le plaisir de tromper: l'intuitionniste ne le fera qu'en montrant la prospérité sociale favorisée par une entière confiance mutuelle et la désorganisation sociale liée à la défiance universelle; or ces conséquences conduisent respectivement, de toute nécessité, à des sentiments agréables ou à des sentiments désagréables.
Il faut donc bien conclure que l'intuitionniste n'ignore pas, ne peut pas ignorer que le bien et le mal dérivent en dernière analyse du plaisir et de la peine. Admettons qu'il soit guidé, et bien guidé, par les décisions de sa conscience sur le caractère des actes humains: s'il a pleine confiance dans ces décisions, c'est parce qu'il aperçoit, d'une manière vague, mais positive, qu'en s'y conformant il assure son propre bien-être et celui des autres, et qu'en les méprisant il s'expose, lui et les autres, à toutes СКАЧАТЬ