Название: Le Rhin, Tome IV
Автор: Victor Hugo
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Pendant que je vous écris tout ce fatras, le jour a paru. Je suis un peu désappointé. Zurich perd au grand jour; je regrette les vagues profils de la nuit. Les clochers de la cathédrale sont d'ignobles poivrières. Presque toutes les façades sont ratissées et blanchies au lait de chaux. J'ai à ma gauche une espèce d'hôtel Guénégaud. Mais le lac est beau; mais, là-bas, la barrière des Alpes est admirable. Elle corrige ce que le lac, bordé de maisons blanches et de cultures vertes, a peut-être d'un peu trop riant pour moi. Les montagnes me font toujours l'effet de tombes immenses; les basses ont un noir suaire de mélèzes, les hautes ont un blanc linceul de neige.
Je viens de faire une promenade sur le lac dans une façon de petite gondole à trente sous par heure, comme un fiacre. J'ai jeté généreusement trois francs dans le lac de Zurich; je les regrette un peu. C'est beau, mais c'est bien aimable. Ils ont un New-Munster qu'ils vous montrent avec orgueil et qui ressemble à l'église de Pantin. Les sénateurs zuriquois habitent des villas de plâtre, lesquelles ont un faux air des guinguettes de Vaugirard. Dieu me pardonne! j'ai vu passer un omnibus comme à Passy. Je ne m'étonne plus si ces gaillards-là font des révolutions.
Heureusement l'eau bleue du lac est transparente. Je voyais dans les profondeurs vitreuses des montagnes au fond du lac et des forêts sur ces montagnes. Des rochers et des algues me figuraient assez bien la terre noyée par le déluge, et, en me penchant sur le bord de mon fiacre à deux rames, j'avais les émotions de Noé quand il se mettait à la fenêtre de l'arche. De temps en temps je voyais passer de gros poissons zébrés de rubans noirs comme des tigres. J'ai sauvé du bout de ma canne deux ou trois mouches qui se noyaient.
La ville doit beaucoup plaire aux personnes qui adorent la façade du séminaire de Saint-Sulpice. On y bâtit en ce moment des édifices superbes, dont l'architecture rappelle la Madeleine et le corps de garde du boulevard du Temple. Quant à moi, en mettant à part le portail roman de la cathédrale, quelques vieilles maisons perdues et comme noyées dans les neuves, deux aiguilles d'église et trois ou quatre tours d'enceinte, dont une, qui est énorme, ressemble au ventre pantagruélique d'un bourgmestre, je ne suis pas digne d'admirer Zurich. J'ai vainement cherché la fameuse tour de Wellemberg, qui était au milieu de la Limmat, et qui avait servi de prison au comte de Habsbourg et au conseiller Waldman, décapité en 1488. L'aurait-on démolie?
Pendant que je suis en train, pardieu, parlons de l'auberge! A l'hôtel de l'Epée, le voyageur n'est pas écorché; il est savamment disséqué. L'hôtelier vous vend la vue de son lac à raison de huit francs par fenêtre et par jour. La chère que l'on fait à l'hôtel de L'Epée m'a rappelé un vers de Ronsard, qui, à ce qu'il paraît, dînait mal:
La vie est attelée
A deux mauvais chevaux, le boire et le manger.
Nulle part ces deux chevaux ne sont plus mauvais qu'à l'hôtel de l'Epée.
A propos, je ne vous ai pas dit que Zurich s'appelait autrefois Turegum. La Limmat le divise en deux villes, le grand Zurich et le petit Zurich, que réunissent trois beaux ponts, sur lesquels les bourgeois se promènent souvent, dit Georges Bruin de Cologne. La vigne est bien exposée au soleil. Il y a le vin de Zurich et le blé de Zurich.
Je vous embrasse, quoique je sois à treize cent vingt pieds au-dessus de vous.
LETTRE XXXVI
ZURICH
Il pleut. – Description d'une chambre. – Reflet du dehors dans l'intérieur. – Le voyageur prend le parti de fouiller dans les armoires. – Ce qu'il y trouve. —Amours secrètes et Aventures honteuses de Napoléon Buonaparté.– Le livre. – Les estampes. – 1814. – 1840. – Choses curieuses. – Choses sérieuses. – Il pleut.
J'ai quitté l'hôtel de l'Epée. Je suis venu me loger dans la ville, n'importe où. Je n'ai plus la mauvaise auberge, mais je n'ai plus la vue du lac. Il y a des moments où je regrette en bloc le méchant dîner et le magnifique paysage.
Avant-hier, c'était un de ces moments-là. Il pleuvait. J'étais enfermé dans la chambre que j'habite; – une petite chambre triste et froide, ornée d'un lit peint en gris à rideaux blancs, de chaises à dossier en lyre, et d'un papier bleuâtre bariolé de ces dessins sans goût et sans style qu'on retrouve indistinctement sur les robes des femmes mal mises et sur les murs des chambres mal meublées. J'ai ouvert la fenêtre, qui est une de ces hideuses fenêtres d'il y a cinquante ans qu'on appelait fenêtres-guillotines, et je regardais mélancoliquement la pluie tomber. La rue était déserte; toutes les croisées de la maison d'en face étaient fermées; pas un profil aux vitres, pas un passant sur ce pavage de petits cailloux ronds et noirs que la pluie faisait reluire comme des châtaignes mûres. La seule chose qui animât le paysage, c'était la gouttière du toit voisin, espèce de gargouille en fer-blanc figurant une tête d'âne à bouche ouverte, d'où la pluie tombait à flots; une pluie jaune et sale, qui venait de laver les tuiles et qui allait laver le pavé. Il est triste qu'une chose prenne la peine de tomber du ciel sans autre résultat que de changer la poussière en boue.
J'étais retenu au gîte; le gîte était médiocrement plaisant. Que faire? La Fontaine a fait le vers de la circonstance. Je songeais donc. Par malheur, j'étais dans une de ces situations d'âme que vous connaissez sans doute, où l'on n'a aucune raison d'être triste et aucun motif d'être gai; où l'on est également incapable de prendre le parti d'un éclat de rire ou d'un torrent de larmes; où la vie semble parfaitement logique, unie, plane, ennuyeuse et triste; où tout est gris et blafard au dedans comme au dehors. Il faisait en moi le même temps que dans la rue, et, si vous me permettiez la métaphore, je dirais qu'il pleuvait dans mon esprit. Vous le savez, je suis un peu de la nature du lac; je réfléchis l'azur ou la nuée. La pensée que j'ai dans l'âme ressemble au ciel que j'ai sur la tête.
En retournant son œil, – passez-moi encore cette expression, – on voit un paysage en soi. Or, en ce moment-là, le paysage que je pouvais voir en moi ne valait guère mieux que celui que j'avais sous les yeux.
Il y avait deux ou trois armoires dans la chambre. Je les ouvris machinalement, comme si j'avais eu chance d'y trouver quelque trésor. Or, les armoires d'auberges sont toujours vides; une armoire pleine, c'est l'habitation permanente. N'a pas de nid qui passe. Je ne trouvai donc rien dans les armoires.
Pourtant, au moment où je refermais la dernière, j'aperçus sur la tablette d'en haut je ne sais quoi qui me parut quelque chose. J'y mis la main. C'était d'abord de la poussière, et puis c'était un livre. Un petit livre carré comme les almanachs de Liége, broché en papier gris, couvert de cendre, oublié là depuis des années. Quelle bonne fortune! Je secoue la poussière, j'ouvre au hasard. C'était en français. Je regarde le titre: —Amours secrètes et Aventures honteuses de Napoléon Buonaparté, avec gravures. – Je regarde les gravures: – Un homme à gros ventre et à profil de polichinelle, avec redingote et petit chapeau, mêlé à toutes sortes de femmes nues. Je regarde la date: – 1814.
J'ai eu la curiosité de lire. O mon ami, que vous dire de cela? Comment vous donner une idée de ce livre imprimé à Paris par quelque libelliste et oublié à Zurich par quelque Autrichien? – Napoléon Buonaparté était laid; ses petits yeux enfoncés, son profil de loup et ses oreilles découvertes lui faisaient une figure atroce. – Il parlait mal; n'avait aucun esprit et aucune présence d'esprit; marchait gauchement; se tenait sans grâce et prenait leçon de Talma chaque fois qu'il fallait «trôner.» – Du reste, sa renommée militaire СКАЧАТЬ