Название: Cruelle Énigme
Автор: Paul Bourget
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
– «Je ne suis pas venu ici pour me plaindre à vous, mon parrain, dit-il; vous me recevriez mal, et vous n'auriez pas tort… J'ai à vous demander un service, un grand service. Mais je voudrais que tout restât entre nous de ce que je vais vous confier.
– «Je ne prends pas de ces engagements-là, fit le comte. On n'a pas toujours le droit de se taire, ajouta-t-il. Tout ce que je peux te promettre, c'est de garder ton secret, si mon affection pour qui tu sais ne me fait pas un devoir de parler. Va, maintenant, et décide toi-même…
– «Soit, repartit le jeune homme après un silence durant lequel il avait, sans doute, jugé la situation où il se trouvait; vous agirez comme vous voudrez… Ce que j'ai à vous dire tient dans une courte phrase. Mon parrain, pouvez-vous me prêter trois mille francs?»
Cette question était tellement inattendue pour le comte qu'elle changea, du coup, la suite de ses idées. Depuis le début de l'entretien, il cherchait à deviner le secret du jeune homme, qui était aussi le secret de ses deux amies, et il avait nécessairement pensé qu'il s'agissait de quelque aventure de femme. A vrai dire, cela n'était point pour le choquer. Bien que très dévot, Scilly était demeuré trop essentiellement soldat pour n'avoir pas sur l'amour des théories d'une entière indulgence. La vie militaire conduit ceux qui la mènent à une simplification de pensée qui leur fait admettre tous les faits, quels qu'ils soient, dans leur vérité. Une «gueuse», aux yeux de Scilly, c'était pour un jeune homme la maladie nécessaire. Il suffisait que cette maladie ne se prolongeât point, et que le jeune homme n'y laissât pas trop de lui-même. Il eut soudain un doute, pour lui plus affreux, car il considérait, sur son expérience de régiment, les cartes comme plus dangereuses de beaucoup que les femmes.
– «Tu as joué? fit-il brusquement.
– «Non, mon parrain, répondit le jeune homme. J'ai tout simplement dépensé ces mois-ci plus que ma pension; j'ai des dettes à régler, et, ajouta-t-il, je pars après-demain pour l'Angleterre.
– «Et ta mère sait ce voyage?
– «Sans doute; je vais passer quinze jours à Londres chez mon ami de l'ambassade, Emmanuel Deroy, que vous connaissez.
– «Si ta mère te laisse partir, reprit le vieillard qui continuait de poursuivre son enquête avec logique, c'est que ta conduite à Paris la fait cruellement souffrir. Réponds-moi avec franchise. Tu as une maîtresse?
– «Non, répondit Hubert avec un nouveau passage de pourpre sur ses joues; je n'ai pas de maîtresse.
– «Si ce n'est ni la dame de pique ni celle de cœur, fit le général, qui ne douta pas une minute de la véracité de son filleul, – il le savait incapable d'un mensonge, – me feras-tu l'honneur de me dire où s'en sont allés les cinq cents francs par mois que ta mère te donne, une paye de colonel, et pour ton argent de poche?
– «Ah! mon parrain, reprit le jeune homme visiblement soulagé, vous ne connaissez pas les exigences de la vie du monde. Tenez, hier, j'ai rendu à dîner au café Anglais à trois amis; c'est tout près de six louis. J'ai envoyé plusieurs bouquets, pris des voitures pour aller à la campagne, donné quelques souvenirs. On est si vite à bout de ces cinq billets de banque! Bref, je vous le répète, j'ai des dettes que je veux payer, j'ai à suffire aux frais de mon voyage, et je ne veux pas m'adresser à ma mère en ce moment, ni à ma grand'mère. Elles ne savent pas ce que c'est que l'existence d'un jeune homme à Paris. A un premier malentendu, je ne veux pas en ajouter un second. Dans les rapports que nous avons aujourd'hui ensemble, elles verraient des fautes où il n'y a eu que des nécessités inévitables. Et puis, une scène avec ma mère, je ne peux pas la supporter physiquement.
– «Et si je refuse?.. interrogea Scilly.
– «Je m'adresserai ailleurs, fit Alexandre-Hubert; cela me sera terriblement pénible, mais je le ferai.»
Il y eut un silence entre les deux hommes. Toute l'histoire s'obscurcissait encore au regard du général, comme la fumée qu'il envoyait de sa pipe par bouffées méthodiques. Mais ce qu'il voyait nettement, c'était le caractère définitif de la résolution d'Hubert, quelle qu'en fût la cause secrète. Lui répondre non, c'était l'envoyer à un usurier peut-être, ou tout au moins le contraindre à quelque démarche cruelle pour son amour-propre. Avancer cette somme à son filleul, c'était acquérir, au contraire, un droit à suivre de plus près le mystère qui se cachait au fond de son exaltation comme derrière la mélancolie des deux femmes. Et puis, pour tout dire, le comte aimait Hubert d'une affection bien voisine de la faiblesse. S'il avait été remué profondément par le désespoir morne de Mme Liauran et de Mme Castel, il était maintenant tout bouleversé par la visible angoisse écrite sur le visage de cet enfant, qui était dans sa pensée un fils adoptif aussi cher que l'eût été un fils véritable.
– «Mon ami, dit-il enfin en prenant la main d'Hubert et avec un son de voix où il ne transparaissait plus rien de la dureté du commencement de leur conversation, je t'estime trop pour croire que tu m'associerais à quelque action qui déplût à ta mère. Je ferai ce que tu désires, mais à une condition…»
Les yeux d'Hubert trahirent une inquiétude nouvelle.
– «C'est tout simplement que tu me fixes la date où tu comptes me rembourser cet argent. Je veux bien t'obliger, continua le vieux soldat; mais il ne serait digne, ni de toi d'emprunter une somme que tu croirais ne pas pouvoir rendre, ni de moi de me prêter à un calcul de cet ordre… Veux-tu revenir demain dans l'après-midi? Tu m'apporteras le tableau de ce que tu peux distraire chaque mois de ta pension… Ah! il ne faudra plus offrir de bouquets, de dîners au café Anglais et de souvenirs… Mais n'as-tu pas vécu si longtemps sans ces sottes dépenses?..»
Ce petit discours, où l'esprit d'ordre essentiel au général, sa bonté de cœur et son sentiment de la régularité de la vie se mélangeaient en égale proportion, toucha Hubert si profondément qu'il serra les doigts de son parrain sans répondre, comme brisé par des émotions qu'il n'avait pas dites. Il se doutait bien, tandis que cette entrevue avait lieu au quai d'Orléans, que la veillée se prolongeait à l'hôtel de la rue Vaneau et que les deux êtres qu'il aimait si profondément y commentaient son absence. Comme si un fil mystérieux l'eût uni à ces deux femmes assises au coin de leur feu solitaire, il souffrait des douleurs qu'il causait… Et, en effet, dans le petit salon paisible, une fois le général parti, les «deux saintes» étaient demeurées longtemps silencieuses. De tout le fracas de la vie parisienne, il n'arrivait à elles qu'un vaste et confus bourdonnement, analogue à celui d'une mer entendue de très loin. C'était le symbole de ce qu'avait été si longtemps la destinée de Mme Castel et de sa fille, que l'intimité de cette pièce close, – avec cette rumeur de la vie au dehors. Marie-Alice Liauran, couchée sur sa chaise longue, toute mince dans ses vêtements noirs, semblait écouter cette rumeur, – ou ses pensées, car elle avait abandonné l'ouvrage auquel elle travaillait, tandis que sa mère continuait de faire aller et venir le crochet d'écaille de son tricot, assise dans sa bergère, tout en noir aussi; et, quelquefois, elle levait les yeux sur sa fille, avec un regard où se СКАЧАТЬ