Consuelo. George Sand
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Название: Consuelo

Автор: George Sand

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ Ou peut-être, dira un troisième, s’est-il fatigué hier. Il est bien jeune en effet pour chanter plusieurs jours de suite. Vous feriez bien d’attendre qu’il fût plus mûr et plus robuste pour le lancer sur les planches. – Et le comte dira: Diable! s’il s’enroue pour avoir chanté deux airs, ce n’est pas là mon affaire. – Alors, pour s’assurer que j’ai de la force et de la santé, ils me feront faire des exercices tous les jours, jusqu’à perdre haleine, et ils me casseront la voix pour s’assurer que j’ai des poumons. Au diable la protection des grands seigneurs! Ah! quand pourrai-je m’en affranchir, et, fort de ma renommée, de la faveur du public, de la concurrence des théâtres, quand pourrai-je chanter dans leurs salons par grâce, et traiter de puissance à puissance avec eux?

      En devisant ainsi avec lui-même, Anzoleto arriva dans une de ces petites places qu’on appelle corti à Venise, bien que ce ne soient pas des cours, et que cet assemblage de maisons, s’ouvrant sur un espace commun, corresponde plutôt à ce que nous appelons aujourd’hui à Paris cité. Mais il s’en faut de beaucoup que la disposition de ces prétendues cours soit régulière, élégante et soignée comme nos squares modernes. Ce sont plutôt de petites places obscures, quelquefois formant impasse, d’autres fois servant de passage d’un quartier à l’autre; mais peu fréquentées, habitées à l’entour par des gens de mince fortune et de mince condition, le plus souvent par des gens du peuple, des ouvriers ou des blanchisseuses qui étendent leur linge sur des cordes tendues en travers du chemin, inconvénient que le passant supporte avec beaucoup de tolérance, car son droit de passage est parfois toléré aussi plutôt que fondé. Malheur à l’artiste pauvre, réduit à ouvrir les fenêtres de son cabinet sur ces recoins tranquilles, où la vie prolétaire, avec ses habitudes rustiques, bruyantes et un peu malpropres, reparaît tout à coup au sein de Venise, à deux pas des larges canaux et des somptueux édifices. Malheur à lui, si le silence est nécessaire à ses méditations; car de l’aube à la nuit un bruit d’enfants, de poules et de chiens, jouant et criant ensemble dans cette enceinte resserrée, les interminables babillages des femmes rassemblées sur le seuil des portes, et les chansons des travailleurs dans leurs ateliers, ne lui laisseront pas un instant de repos. Heureux encore quand l’improvisatore ne vient pas hurler ses sonnets et ses dithyrambes jusqu’à ce qu’il ait recueilli un sou de chaque fenêtre, ou quand Brighella n’établit pas sa baraque au milieu de la cour, patient à recommencer son dialogue avec l’avocato, il tedesco e il diavolo, jusqu’à ce qu’il ait épuisé en vain sa faconde gratis devant les enfants déguenillés, heureux spectateurs qui ne se font scrupule d’écouter et de regarder sans avoir un liard dans leur poche!

      Mais, la nuit, quand tout est rentré dans le silence, et que la lune paisible éclaire et blanchit les dalles, cet assemblage de maisons de toutes les époques, accolées les unes aux autres sans symétrie et sans prétention, coupées par de fortes ombres, pleines de mystères dans leurs enfoncements, et de grâce instinctive dans leurs bizarreries, offre un désordre infiniment pittoresque. Tout devient beau sous les regards de la lune; le moindre effet d’architecture s’agrandit et prend du caractère; le moindre balcon festonné de vigne se donne des airs de roman espagnol, et vous remplit l’imagination de ces belles aventures dites de cape et d’épée. Le ciel limpide où se baignent, au-dessus de ce cadre sombre et anguleux, les pâles coupoles des édifices lointains, verse sur les moindres détails du tableau une couleur vague et harmonieuse qui porte à des rêveries sans fin.

      C’est dans la corte Minelli, près l’église San Fantin, qu’Anzoleto se trouva au moment où les horloges se renvoyaient l’une à l’autre le coup de deux heures après minuit. Un instinct secret avait conduit ses pas vers la demeure d’une personne dont le nom et l’image ne s’étaient pas présentés à lui depuis le coucher du soleil. À peine était-il rentré dans cette cour, qu’il entendit une voix douce l’appeler bien bas par les dernières syllabes de son nom; et, levant le tête, il vit une légère silhouette se dessiner sur une des plus misérables terrasses de l’enceinte. Un instant après, la porte de cette masure s’ouvrit, et Consuelo en jupe d’indienne, et le corsage enveloppé d’une vieille mante de soie noire qui avait servi jadis de parure à sa mère, vint lui tendre une main, tandis qu’elle posait de l’autre un doigt sur ses lèvres pour lui recommander le silence. Ils montèrent sur la pointe du pied et à tâtons l’escalier de bois tournant et délabré qui conduisait jusque sur le toit; et quand ils furent assis sur la terrasse, ils commencèrent un de ces longs chuchotements entrecoupés de baisers, que chaque nuit on entend murmurer sur les toits, comme des brises mystérieuses, ou comme un babillage d’esprits aériens voltigeant par couples dans la brume autour des cheminées bizarres qui coiffent de leurs nombreux turbans rouges toutes les maisons de Venise.

      Comment, ma pauvre amie, dit Anzoleto, tu m’as attendu jusqu’à présent?

      – Ne m’avais-tu pas dit que tu viendrais me rendre compte de ta soirée? Eh bien, dis-moi donc si tu as bien chanté, si tu as fait plaisir, si on t’a applaudi, si on t’a signifié ton engagement?

      – Et toi, ma bonne Consuelo, dit Anzoleto, pénétré tout à coup de remords en voyant la confiance et la douceur de cette pauvre fille, dis-moi donc si tu t’es impatientée de ma longue absence, si tu n’es pas bien fatiguée de m’attendre ainsi, si tu n’as pas eu bien froid sur cette terrasse, si tu as songé à souper, si tu ne m’en veux pas de venir si tard, si tu as été inquiète, si tu m’accusais?

      – Rien de tout cela, répondit-elle en lui jetant ses bras au cou avec candeur. Si je me suis impatientée, ce n’est pas contre toi; si je suis fatiguée, si j’ai eu froid, je ne m’en ressens plus depuis que tu es là; si j’ai soupé je ne m’en souviens pas; si je t’ai accusé… de quoi t’aurais-je accusé? si j’ai été inquiète… pourquoi l’aurais-je été? si je t’en veux? jamais.

      – Tu es un ange, toi! dit Anzoleto en l’embrassant. Ah! ma consolation! que les autres cœurs sont perfides et durs!

      – Hélas! qu’est-il donc arrivé? quel mal a-t-on fait là-bas au fils de mon âme?» dit Consuelo, mêlant au gentil dialecte vénitien les métaphores hardies et passionnées de sa langue natale.

      Anzoleto raconta tout ce qui lui était arrivé, même ses galanteries auprès de la Corilla, et surtout les agaceries qu’il en avait reçues. Seulement, il raconta les choses d’une certaine façon, disant tout ce qui ne pouvait affliger Consuelo, puisque, de fait et d’intention, il lui avait été fidèle, et c’était presque toute la vérité. Mais il y a une centième partie de vérité que nulle enquête judiciaire n’a jamais éclairée, que nul client n’a jamais confessée à son avocat, et que nul arrêt n’a jamais atteinte qu’au hasard, parce que dans ce peu de faits ou d’intentions qui reste mystérieux, est la cause tout entière, le motif, le but, le mot enfin de ces grands procès toujours si mal plaidés et toujours si mal jugés, quelles que soient la passion des orateurs et la froideur des magistrats.

      Pour en revenir à Anzoleto, il n’est pas besoin de dire quelles peccadilles il passa sous silence, quelles émotions ardentes devant le public il traduisit à sa manière, et quelles palpitations étouffées dans la gondole il oublia de mentionner. Je crois même qu’il ne parla point du tout de la gondole, et qu’il rapporta ses flatteries à la cantatrice comme les adroites moqueries au moyen desquelles il avait échappé sans l’irriter aux périlleuses avances dont elle l’avait accablé. Pourquoi, ne voulant pas et ne pouvant pas dire le fond des choses, c’est-à-dire la puissance des tentations qu’il avait surmontées par prudence et par esprit de conduite, pourquoi, dites-vous, chère lectrice, ce jeune fourbe allait-il risquer d’éveiller la jalousie de Consuelo? Vous me le demandez, madame? Dites-moi donc si vous n’avez pas pour habitude de conter à l’amant, je veux dire à l’époux de votre choix, tous les hommages dont vous avez été entourée par les autres, tous les aspirants que vous avez éconduits, tous les rivaux que vous avez sacrifiés, non seulement avant l’hymen, mais après, mais tous les jours de bal, mais hier et ce matin encore! Voyons, madame, si vous СКАЧАТЬ