Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
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Название: Nouvelles Asiatiques

Автор: Gobineau Arthur

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ et un nez comme un Hottentot ou un bourgeois de Paris; mais il n'est pas nécessaire de causer une heure avec chacun de ces êtres pour s'apercevoir et conclure qu'aucun lien intellectuel et moral n'existe entre eux, si ce n'est la conviction qu'il faut manger quand on a faim et dormir quand le sommeil presse. Sur tous les autres sujets, la manière de colliger des idées, la nature de ces idées, l'accouplement de ces idées, leur éclosion, leur floraison, leurs couleurs, tout diffère. Pour le nègre de la contrée au sud du lac Tjad, il est raisonnable, indispensable, louable, pieux, de massacrer l'étranger aussitôt qu'on le peut saisir, et si on lui arrache le dernier souffle du corps au moyen d'une torture finement graduée, modulée et appliquée, tout n'en est que mieux et la conscience de l'opérateur s'en trouve à merveille. Laissez tomber le même étranger dans les mains d'un Arabe d'Égypte, celui-ci n'aura ni paix ni trêve, ni repos ni contentement que de façon ou d'autre il ne lui ait arraché son dernier sou, et, s'il est possible, retiré jusqu'à sa chemise. Le Nègre et l'Arabe ne s'entendent assurément pas sur la manière de traiter l'humanité. Mais supposez-les tous les deux en conférence avec saint Vincent de Paul? Quel sera le point commun entre ces trois natures? Introduisez un moraliste comme juge de l'entretien, pensez-vous qu'il soit en droit de soutenir, comme il l'aura fait jusqu'alors, que les hommes sont partout les mêmes? En droit, assurément, non; en fait, il n'y manquera pas, pour le triomphe du système et la simplicité du mécanisme.

      C'est parce que les hommes sont partout essentiellement différents que leurs passions, leurs vues, leur façon d'envisager eux-mêmes, les autres, les croyances, les intérêts, les problèmes dans lesquels ils sont engagés, c'est pour cela que leur étude présente un intérêt si varié et si vif, et qu'il est important de se livrer à cette étude, pour peu que l'on tienne à se rendre compte du rôle que les hommes, et non pas l'homme, remplissent au milieu de la création. C'est là ce qui donne à l'histoire sa valeur, à la poésie une partie de son mérite, au roman toute sa raison d'être.

      Dans les Nouvelles ici rassemblées, le but qu'on s'est proposé a donc été de montrer un certain nombre de variétés de l'esprit asiatique et en quoi cet esprit, observé en général, s'éloigne du nôtre. Ce sont les observateurs pénétrés de cette vérité qui se sont montrés les plus propres à vivre au milieu des Persans, des Afghans, des Turcs et des gens du Caucase. Quand on l'a oubliée et qu'on se place ensuite en face de ces populations avec l'intention de les décrire, on ne formule plus à leur égard que des jugements ridicules: on se borne à les trouver perverses, et rien que perverses, par cela seul qu'elles ne ressemblent pas aux Européens. La conclusion nécessaire à tirer de ce jugement serait qu'elles représentent la corruption, tandis que les Occidentaux sont la vertu. Afin de ne pas tomber dans un pareil non-sens, il ne faut pas parler des Asiatiques en moraliste.

      Peut-être aussi trouvera-t-on quelque avantage à se rendre compte de ce que sont devenus aujourd'hui les premiers civilisateurs du monde, les premiers conquérants, les premiers savants, les premiers théologiens que la planète ait connus. Leur sénilité donnera probablement à réfléchir sur certains signes qui se produisent actuellement en Europe, et qui ne sont pas sans présenter des analogies avec la même décrépitude.

       NOUVELLES ASIATIQUES

      I

      LA DANSEUSE DE SHAMAKHA

CAUCASE

      Don Juan Moreno y Rodil était lieutenant dans les chasseurs de Ségovie, quand son régiment se trouva entraîné à prendre part à une insurrection militaire qui échoua. Deux majors, trois capitaines et une couple de sergents furent pris et fusillés. Quant à lui, il s'échappa, et, après avoir erré pendant quelques mois en France, dans un état fort misérable, il réussit, au moyen de quelques connaissances qu'il s'était faites, à se procurer un brevet d'officier au service de Russie, et reçut l'ordre d'aller rejoindre son corps au Caucase où, dans ce temps-là, bonne et rude guerre était le pain quotidien.

      Le lieutenant Moreno s'embarqua à Marseille. Il était naturellement d'une humeur assez austère; son exil, sa misère et, plus que tout cela, le chagrin profond de quitter pour bien des années au moins une femme qu'il adorait, redoublaient ses dispositions naturelles, de sorte que personne moins que lui n'était tenté de rechercher les joies de l'existence.

      A force de naviguer, le bâtiment qui le portait vint prendre terre au fond de la mer Noire, à la petite ville de Poti. C'était alors le port principal du Caucase du côté de l'Europe.

      Sur une plage, sablonneuse en partie, en partie boueuse, couverte d'herbes de marécage, une forêt épaisse, à moitié plongée dans l'eau, s'éloignait à l'infini dans l'intérieur des terres, en suivant le cours d'un fleuve large, au lit tortueux, plein de roches, de fanges et de troncs d'arbres échoués. C'était le Phase, la rivière d'or de l'antiquité, aujourd'hui le Rioni. Au milieu d'une végétation vigoureuse, ici règne la fièvre, et tout ce qui appartient à la nature mouvante en souffre autant que la nature végétale y prospère. La fièvre a usurpé là en souveraine le sceptre d'Acté et des enfants du Soleil. Les maisons, construites au milieu des eaux stagnantes et sur les souches des grands arbres élagués, s'élèvent en l'air sur des pilotis afin d'éviter les inondations; d'énormes trottoirs de planches les unissent les unes aux autres; les toits lourds couverts de bardeaux projettent en avant leur carapace épaisse et garantissent, autant que faire se peut, des pluies fréquentes, les croisées étroites de ces habitations semblables à des coques d'escargot.

      Moreno fut saisi par l'aspect de ces nouveautés. A bord de son navire, on connut sa qualité d'officier russe, et il était annoncé comme tel dès son débarquement. C'est pourquoi, dans une rue assez large où il errait dépaysé, il vit venir à lui un grand jeune homme extrêmement blond, le nez sensiblement aplati, les yeux bridés en l'air et la lèvre supérieure ornée d'une petite moustache rare, hérissée comme celle d'un chat. Ce jeune homme n'était pas beau, mais leste, découplé, et avait l'air ouvert et cordial. Il portait la tunique d'officier du génie et l'aiguillette d'argent, particulière aux membres de ce corps qui se sont distingués dans leurs études. Sans s'arrêter à l'accueil réservé de Don Juan, ce garçon lui tint brusquement, en français, le petit discours que voici:

      – Monsieur, j'apprends à la minute qu'un officier aux dragons d'Iméréthie se trouve à Poti, allant rejoindre son corps à Bakou. Cet officier, c'est vous-même. Comme camarade je viens me mettre à votre disposition. Je fais la même route que vous. S'il vous plaît, nous voyagerons ensemble, et, pour commencer, je sollicite l'honneur de vous offrir un verre de champagne au Grand Hôtel de Colchide que vous apercevez là-bas. D'ailleurs, si je ne me trompe, l'heure du dîner n'est pas loin, j'ai invité quelques amis et vous ne me refuserez pas le plaisir de vous les présenter.

      Tout cela fut dit de bonne grâce, avec cet air sémillant, dont les Russes ont hérité depuis que les Français, qui passent pour l'avoir inventé, l'ont perdu.

      L'exilé espagnol accepta la main du nouveau venu, et lui répondit:

      – Monsieur, je m'appelle Juan Moreno.

      – Moi, monsieur, je m'appelle Assanoff, c'est-à-dire je m'appelle en réalité Mourad, fils de Hassan-Khan; je suis Russe, c'est-à-dire Tatare de la province de Shyrcoan et musulman, pour vous servir, c'est-à-dire à la façon dont aurait pu l'être M. de Voltaire, grand homme! et dont je lis avec plaisir les ouvrages, quand je n'ai pas sous la main ceux de M. Paul de Kock.

      Là-dessus, Assanoff, passant son bras sous celui de Moreno, l'entraîna vers la place en face du fleuve, où s'apercevait d'assez loin une grande maison basse, longue baraque, au fronton de laquelle on lisait en lettres blanches sur une planche bleu de ciel: Grand Hôtel de Colchide, tenu par Jules Marron (aîné); le tout en français.

      A leur entrée dans la salle de l'hôtel où le couvert était mis, les deux officiers trouvèrent leurs convives déjà réunis, buvant à petits coups de СКАЧАТЬ