Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
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Название: Nouvelles Asiatiques

Автор: Gobineau Arthur

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ son épaulette de lieutenant. Il fit partie d'une expédition, s'acquitta bien de son devoir et passa capitaine. Les militaires considèrent la vie d'une façon spéciale; si on leur donnait à choisir entre le paradis, en perdant leur ancienneté, et l'enfer avec le grade supérieur, fort peu hésiteraient; et quant à ceux qui choisiraient la présence de Dieu, nul doute que leur éternité ne se passât à déplorer leur sacrifice. Cependant Don Juan garda pendant plusieurs années les désirs de son cœur tournés vers l'Espagne. Son amour ne lui causait plus le mal irritant des premiers mois; c'était une habitude tendre, une préoccupation mélancolique dont son âme restait comme saturée. Il écrivait souvent, on lui répondait; ils espérèrent autant qu'ils purent espérer de voir leur séparation finir. Quand la politique releva leva la hache qu'elle avait laissé tomber entre eux, il fallut bien reconnaître que les conditions matérielles de l'existence ne permettaient pas à Moreno de quitter le Caucase, puisqu'il n'avait que sa solde et ne pouvait recommencer un nouveau métier; et la jeune femme, elle, n'était pas non plus assez riche pour rejoindre son amant. Tout en resta là. Ils ne se marièrent ni l'un ni l'autre, cessèrent avec le temps d'être malheureux; mais, heureux, ils ne le furent jamais.

      Bien longtemps avant l'époque indiquée ici, Moreno rentrant une nuit assez tard de chez le général gouverneur, où il avait passé la soirée, vit, de loin, dans la rue déserte qui longe l'ancien palais du khan tatar, réduit alors à la condition de magasin à poudre, une femme qui marchait dans la même direction que lui. C'était l'hiver; il faisait froid, la neige couvrait la terre à plusieurs pouces d'épaisseur, tout était gelé, et la nuit était assez noire.

      Moreno se dit:

      – Quelle peut être cette malheureuse?

      Le capitaine avait vu beaucoup de misères, il avait contemplé beaucoup de désastres; sa propre existence n'avait pas été gaie. Dans de pareilles circonstances, l'homme devient mauvais ou excellent: Moreno était excellent.

      Aussi bien que les ténèbres s'y prêtaient, il suivait des yeux, avec compassion, cette créature qui s'en allait là, seule; et comme il crut remarquer qu'elle hésitait en marchant et chancelait, il hâtait le pas pour la rejoindre et lui porter secours, quand, à son grand étonnement, il la vit s'arrêter précisément devant sa porte, et, alors, il entendit derrière lui des pas précipités.

      Il se retourna et reconnut à l'instant le Doukhoboretz. Grégoire Ivanitch était nu-tête, sans pelisse, et se hâtait autant que son embonpoint déjà fort accru le lui pouvait permettre. Moreno pensa, ce qui, d'ailleurs, était vrai, que l'Ennemi-de-l'Esprit cherchait à rejoindre la femme, et il lui passa l'idée que c'était à mauvaise intention.

      Il le saisit donc par le bras et s'écria vivement:

      – Où allez-vous?

      – Ah! monsieur le capitaine, je vous en prie, ne me retenez pas! La pauvre fille s'est échappée!

      – Qui? De quelle fille parlez-vous?

      – Ce n'est pas le moment de causer, monsieur le capitaine; mais puisque vous voilà, aidez-moi à la sauver. Nous le pouvons peut-être encore, hélas! et il est certain que, si quelqu'un doit la calmer, ce sera vous!

      Il entraîna Moreno. Celui-ci, étonné, se laissa faire, et quand il ne fut plus qu'à quelques pas de sa maison, il vit avec épouvante la femme étendre les bras contre la porte en cherchant à se soutenir et chanceler; elle allait tomber sur le seuil; il la retint, la saisit dans ses bras, la regarda en face: c'était Omm-Djéhâne.

      Celle-ci, en l'apercevant, eut une sorte de spasme électrique qui lui rendit un éclair de force; elle jeta ses mains autour de son cou, l'embrassa avec force et ne lui dit que ce mot seul:

      – Adieu!

      Puis ses bras se détendirent, elle se laissa aller en arrière; il la regarda stupéfait, et, vraiment, il vit qu'elle était morte.

      Dans ce moment, Grégoire Ivanitch le rejoignit et l'aida à maintenir le corps insensible. Moreno voulait le porter dans son logis.

      – Non, dit l'Ennemi-de-l'Esprit on secouant la tête, la malheureuse enfant n été malade chez moi, c'est moi qui l'ensevelirai et c'est à mes frais qu'elle sera enterrée. La voilà morte; elle ne m'aimait pas! mais je lui voulais du bien, moi, et c'est assez pour que je me regarde comme son seul parent.

      – Enfin, dit Moreno, qu'est-il arrivé?

      – Peu de chose. Elle n'a pas voulu être vendue, elle a refusé d'aller à Trébizonde; elle a refusé de danser, et, ce qui ne lui était jamais arrivé, ce que l'on n'avait jamais vu, elle passait ses jours et ses nuits à pleurer, elle se frappait la poitrine et se déchirait le visage avec ses ongles. Les Splendeurs de la Beauté ne savait plus qu'en faire et avait grande envie de s'en débarrasser. Pour moi, je dis à Omm-Djéhâne: Ma fille, tu l'entends fort mal, et c'est visiblement l'Esprit qui te tourne la tête. Laisse là tes sottes idées! Bois, ris, chante, amuse-toi, ne te refuse aucune fantaisie; tu es jeune, tu es jolie, on t'admire, tu danses comme une fée; le général lui-même sera à tes pieds si tu veux. Pourquoi ne veux-tu pas?

      – Elle me répondit: parce que j'aime et qu'on ne m'aime pas!

      Nous ne pûmes jamais en apprendre davantage. Cependant moi, qui avais été d'abord amoureux d'elle, tout en n'y tenant guère, je la pris en amitié et l'emmenai à ma ferme où elle consentit à venir. Je la soignai, je tâchai de la distraire, et, que voulez-vous? à force de pleurer, elle a commencé à tousser, et j'ai fait venir un médecin. Cet homme lui déclara qu'elle devait se soigner et éviter de prendre froid. Savez-vous ce qu'elle a fait? Elle est allée se rouler dans la neige! Ah! l'Esprit! l'Esprit! Ne m'en parlez pas! Mais vous êtes tous aveugles, vous autres Gentils! A la fin, il y a trois jours, elle m'a dit positivement ce que je vais vous répéter, c'est de la folie pure; mais, pourtant, ce sont bien ses paroles exactes: elle m'a dit:

      – Mène-moi à Bakou!

      – Pourquoi faire? ai-je répondu.

      – Pour mourir, me répliqua-t-elle.

      Le chagrin me serra la gorge, et je lui répondis brusquement:

      – On meurt aussi bien ici qu'à Bakou.

      – Non! Je veux mourir sur le seuil de la porte du capitaine Moreno.

      Je la crus en délire; elle n'avait jamais prononcé votre nom; jamais, dis-je, pas une seule fois! Mais elle s'irrita et me répliqua en colère:

      – Ne me comprends-tu pas?

      Quand elle se fâchait, le sang partait de sa gorge et elle en avait pour des heures de souffrance! Je cédai.

      – Eh bien! partons!

      Nous sommes venus ici. Elle m'a envoyé chercher du secours tout à l'heure, m'assurant qu'elle se sentait plus mal et ce n'était que trop vrai; et, pendant que je lui obéissais … vous voyez!

      Un sanglot coupa la voix du pauvre diable.

      Moreno eut un chagrin profond. Ce n'était pas raisonnable. Ce qui pouvait advenir de plus heureux à Omm-Djéhâne était arrivé justement. Que fut-elle devenue dans la vie? Si elle était restée une vraie et fidèle lesghy, l'abandon d'Assanoff et de ses premiers rêves n'eût pas bouleversé son âme; elle avait souffert beaucoup, elle aurait souffert encore, sans doute, mais l'orgueil satisfait et la conscience assurée l'auraient soutenue jusqu'au bout, et, soit qu'elle eût continué à ravir les hommes de goût de Shamakha par le prestige СКАЧАТЬ